Dictionnaire de la Littérature 2001Éd. 2001
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troubadour

Dérivé du verbe trobar, troubadour désigne des poètes musiciens qui, entre le tout début du XIIe et le XIVe siècle, ont célébré en occitan une éthique érotique, la fin'amor, dans le cadre formel de la canso. D'origines sociales très diverses, ces poètes musiciens ont fréquenté les brillantes cours méridionales : cour de Poitiers, auprès d'Éléonore d'Aquitaine, du Limousin, de Toulouse (auprès des comtes Raimond V et Raimond VI), de Narbonne, de Montpellier, de Provence, etc. D'autres troubadours, surtout à la suite de la croisade albigeoise, ont été reçus par les cours d'Espagne et d'Italie du Nord. Fait poétique et fait social, la poésie des troubadours est d'abord destinée à la diffusion orale, par des jongleurs (elle sera plus tardivement recueillie dans des « chansonniers »), à l'intention d'un public de connaisseurs et/ou de rivaux en écriture adhérant aux valeurs qui sous-tendent la fin'amor et sensibles aux modulations et aux variations sur des motifs donnés qui sont l'essence même du trobar.

   La forme par excellence de cette poésie est la canso, composée d'un nombre variable de strophes (coblas) qui sont des unités métriques, musicales et sémantiques. Toutes les strophes doivent reproduire le même schéma métrique, les rimes pouvant varier d'une strophe à l'autre (coblas singulars), toutes les deux strophes, ou être identiques dans toutes les strophes (coblas unisonnans). Cette dernière forme est la plus fréquente et la plus difficile. La canso se termine par un envoi ou tornada. Chaque canso doit présenter un schéma métrique, une disposition de rimes et une mélodie uniques, que l'on peut cependant retrouver dans des formes poétiques dérivées comme le sirventés ou présentant une autre thématique (les contrafactures). Les troubadours pratiquent trois sortes de style: le trobar leu, ou plan, désigne une poésie toujours virtuose mais qui se veut accessible à tous. Ainsi des cansos de Jaufré Rudel, de Bernart de Ventadour, le grand poète occitan de l'extase amoureuse et poétique (la chanson dite de l'alouette) et de la souffrance d'aimer, ou encore de Guiraut de Borneilh. Dans la pratique comme dans la réflexion poétique, le trobar leu s'oppose au trobar clus (fermé), qui se veut hermétique et élitiste, et dont les maîtres sont Peire d'Auvergne et Raimbaut d'Orange. Le trobar ric enfin, illustré par Arnaut Daniel (l'inventeur de la sextine), se distingue par la recherche de rimes, de mots aux sonorités rares, de dispositions strophiques compliquées. Plus généralement, la poésie des troubadours est une poésie fondée sur une langue très codée, allusive, dans laquelle quelques mots clés ont la charge de susciter chez l'auditeur un large spectre de connotations. La quête des troubadours est celle d'une poésie pure, qui donne un sens plein aux mots, où l'image, le descriptif, sont plutôt rares et moins importants que le rythme, la mélodie et les associations de sens, qui renvoient très tôt, dans un jeu intertextuel très maîtrisé, à l'ensemble du texte troubadouresque. Très ambigu, le terme de joy (joie, jouissance) qualifie autant la jouissance érotique espérée, toujours retardée, que la quête de la trouvaille poétique qui donne forme au désir et le perpétue.

   Dans une production qui manifeste ainsi une grande unité thématique et formelle, on peut cependant distinguer trois grandes périodes. Des origines à 1140 environ, le trobar est illustré par Guillaume IX d'Aquitaine, le fondateur, par Jaufré Rudel, inventeur du motif de l'amour « de loin », et par Marcabru, premier représentant du trobar clus et premier à mettre en question la conception courtoise de l'amour. Une seconde génération (1140 à 1250 environ), la plus riche, est notamment représentée par Bernart de Ventadour, Peire d'Auvergne, Raimbaut d'Orange, Guiraut de Bornelh, Arnaut Daniel, Folques de Marseille, Bertrand de Born (le poète de la guerre), Raimbaut de Vaqueiras, Peire Vidal, Raimon de Miraval. À la fin du XIIIe siècle, Peire Cardenal est un satiriste aussi violent qu'éloquent ; Guiraut Riquier, considéré comme le « dernier troubadour », unit à une production très diversifiée au plan thématique et formel une réflexion moralisante sur l'amour. La monotonie thématique des cansos a lontemps dérouté lecteurs et critiques habitués à attendre de la poésie « lyrique » l'expression originale de sentiments personnels. Depuis les travaux de P. Guiette, de P. Zumthor, de R. Dragonetti, il est au contraire d'usage de reconnaître le caractère formel d'une production qui ne cherche pas à faire du neuf mais à « renouveler » le chant poétique, à inscrire sa voix, son style dans le matériau traditionnel. Être un fin'amant, donc devenir un grand poète, comme le déclare Bernard de Ventadour, suggère autant la fidélité sentimentale à la dame aimée, que l'adhésion fervente du troubadour aux exigences éthiques et esthétiques de la fin'amor.

Trouillot (Lyonel)

Écrivain haïtien (Port-au-Prince 1956).

Attiré très jeune par la littérature, il a collaboré à différents périodiques édités en Haïti et à l'étranger pour la diaspora. Professeur de littérature dans l'enseignement supérieur, journaliste, critique littéraire, cofondateur des revues Lakansyèl, Tèm et Langaj, il est aujourd'hui membre du Collectif de la revue haïtienne Cahiers du vendredi. Même s'il est d'abord un poète, Lyonel Trouillot est à l'évidence un romancier puissant, l'une des grandes plumes contemporaines d'Haïti : les Fous de Saint-Antoine, 1989 ; le Livre de Marie, 1993 ; Rue des pas-perdus, 1996 ; Thérèse en mille morceaux, 2000.

trouvère

Le terme désigne au sens strict les poètes musiciens qui, à partir de 1160 environ, ont adapté en français la thématique amoureuse et la forme de la canso des troubadours, avec de notables différences : la poésie des trouvères est souvent de facture moins recherchée, fait un grand usage du refrain, diversifie surtout très tôt son répertoire. Un premier cercle de trouvères, qui se met à l'école de troubadours comme Jaufré Rudel, Bernart de Ventadour, Raimbaut d'Orange, se crée autour de la cour de Marie de Champagne : Chrétien de Troyes, Blondel de Nesles et, surtout, Gace Brûlé, poète très fécond qui puise une inspiration toujours renouvelée dans la douleur d'aimer et la difficulté de « trouver », et le Châtelain de Coucy, poète de la tendresse et du déchirement. Le picard Conon de Béthune choisit plutôt de maudire la dame infidèle (semblable à la « louve ») et de médire de l'amour stérile.

   La chanson d'amour est au centre de la création poétique de cette première génération, comme elle le restera, au XIIIe siècle, chez Thibaut de Champagne, arrière-petit-fils d'Aliénor d'Aquitaine et petit-fils de Marie de Champagne, qui se représente volontiers sous les traits du chasseur blessé par l'amour, capturé par sa dame (Je suis semblable à la licorne...), victime consentante de sa dévotion à la fin'amor, et se compare aux grand héros mythiques, Narcisse, Pyrame, Tristan. Mais tous les trouvères ou presque, anonymes ou non, croisent aussi la thématique amoureuse avec celle de la croisade, passent de l'amour de la dame à l'amour de la Vierge, questionnent l'amour dans les jeux partis et les tensons, pratiquent des genres « popularisants » comme la pastourelle, la chanson de toile, la chanson d'aube, s'ouvrent à la satire sociale, dans la chanson de croisade notamment, ou choisissent la forme brève du rondeau et du motet (Adam de la Halle, par exemple). Si le grand chant, la chanson d'amour, reste comme la canso la forme poétique par excellence, d'autres poètes choisissent aussi, en des formes plus souples (comme le descort), de célébrer les joies de l'amour heureux et de glisser des éléments pseudo-biographiques, comme le très original Colin Muset (XIIIe s.), ou de chanter l'amour sur un mode presque réaliste (Richard de Furnival, XIIIe s.). Au XIIIe siècle, en milieu arrageois, le développement des jeux-partis ouvre la voie à une réflexion sur l'amour qui se prolonge et se théorise dans les nombreux arts d'aimer alors composés. Une autre et très importante source de renouvellement est la poésie mariale, à laquelle s'attachent au XIIIe siècle les noms de Guillaume le Vinier et, surtout, de Gautier de Coincy. Les savantes recherches formelles de ce dernier – rien n'est trop beau pour chanter Marie – annoncent aussi bien les poèmes de Rutebeuf dits de « l'Infortune » que les jeux verbaux encore plus complexes des rhétoriqueurs.

   Les chansonniers médiévaux, dans lesquels la mélodie est très souvent notée et dont les enluminures sont souvent illustration du sujet du poème ou représentation du trouvère en train de chanter ou de composer, ont conservé près de 200 noms de poètes, aristocrates amateurs ou bourgeois, ou poètes professionnels comme Colin Muset et souvent auteurs d'une production abondante (entre 70 et 80 chansons pour Gace Brûé, plus de 70 pour Thibaut de Champagne). Pratiquée jusqu'au début du XIVe, cette poésie disparaît avec l'apparition de l'Ars nova, en musique, mais la thématique et la conception de l'amour dit « courtois » qui la sous-tendent, largement diffusées dans l'Europe médiévale, sont longtemps restées les composantes majeures de l'invention poétique.