Auster (Paul)
Écrivain américain (Newark, New Jersey, 1947).
Diplômé de Columbia (New York), il est au départ traducteur de poésie française pour des revues américaines. Le succès arrive avec la Trilogie new-yorkaise (1987), série de romans policiers et sentimentaux. Sous ces apparences assez classiques, la fiction de Paul Auster interroge pourtant le pouvoir du langage dans le déchiffrement du monde extérieur et la quête individuelle de l'identité. L'œuvre invente son auteur comme elle invente ses personnages, reprenant l'étymologie sur laquelle joue l'Invention de la solitude : méditation sur la mort du père, découverte et création de soi-même. Suspense et intrigue policière dans la Trilogie new-yorkaise (1987), quête de soi dans Moon Palace (1989), perte de soi dans l'absurde et l'aléatoire dans la Musique du hasard (1990), tels sont les thèmes de prédilection de ce romancier. Il publie Tombouctou en 1999 et le Livre des illusions en 2002. Auster est aussi l'auteur de poèmes (notamment l'Écriture sur le mur, 1974), d'essais (Espaces blancs, 1980 ; l'Art de la faim, 1982) et de scénarios de films (Smoke, 1995).
Austin (John Langshaw)
Logicien anglais (Lancaster 1911 – Oxford 1960).
Professeur de philosophie morale à Oxford (1952-1960), il n'a, de son vivant, publié que quelques articles. Son œuvre a été rassemblée dans le Langage de la perception et Quand dire, c'est faire (1962). L'un des fondateurs de l'« école d'Oxford », il professe qu'il y a plus à trouver dans le discours ordinaire que dans l'idéalisme du discours philosophique et logique. L'étude visée est non pas celle de la phrase, mais « la production d'une énonciation dans la situation de discours ». Austin s'oppose ainsi à la fois à l'abstraction philosophique et à l'abstraction grammaticale. Toute énonciation est d'abord un acte de discours (speech act) produit dans la situation d'ensemble où se trouvent engagés les interlocuteurs. Les concepts d'Austin (acte locutionnaire, forces illocutionnaires, perlocution, etc.) sont aujourd'hui au cœur de l'analyse des formations et pratiques discursives, et particulièrement du discours littéraire.
Australie
Le nombre des Aborigènes d'Australie, évalué à 300 000 au début du siècle, est passé en 1971 à 45 000 (chiffre d'ailleurs variable selon que l'on compte ou non les métis). Les populations autochtones parlaient des langues sœurs entre elles mais, semble-t-il, distinctes des autres familles de langues du monde. On a comptabilisé 268 de ces langues ; la plupart sont mortes aujourd'hui et celles qui survivent ne sont parlées que par quelques milliers ou centaines d'individus. Aucune, jusqu'à l'arrivée des Européens, n'avait été écrite.
Hommes et femmes, noirs et nus, transportant dans un panier tous leurs biens, ne cultivant pas la terre et ne se construisant que des abris précaires, les Australiens parurent à l'Européen (l'Espagnol Torrès en 1606, le Hollandais Tasman en 1642, l'Anglais Cook en 1770) plus près de la bête que de lui-même. Il leur nia tout pouvoir de conceptualisation et tout sens artistique. Ce diagnostic, d'ailleurs, venait « justifier » les procédés barbares de la colonisation : cette dernière va se dérouler selon le principe de la terra nullius, d'un territoire qu'il est d'autant plus légitime d'occuper puisqu'il n'est pas considéré comme habité. Les études récentes sur les « textes » épargnés et les œuvres d'art plastique qui les accompagnent ou sur les systèmes matrimoniaux ont largement démontré la fausseté de ces jugements.
Le pouvoir des mots
Les civilisations de l'oralité ont en commun un certain nombre de traits. D'abord, la parole est considérée comme ayant le pouvoir de créer, d'enchanter ou de tuer, aussi bien que de lier les hommes par leurs promesses. Le rôle des hommes (et des femmes) dans la société correspond en partie à leur pouvoir sur le mot : détenteurs de secrets initiatiques, de formules incantatoires, de recettes, initiateurs, magiciens et guérisseurs ont accès par le mot aux pouvoirs latents du monde. Ensuite, la relation orateur (récitant ou créateur)/auditeurs est capitale. L'œuvre ne naît et ne se transmet que si elle est demandée. Différents genres sont ainsi reconnus par le groupe et portent des noms dans la langue. Les règles de composition sont stables et organisent toute la production. Cependant, l'art se reconnaît à ce que la création les utilise sans les nier. L'acquisition d'une forme littéraire, d'une image, d'un mot ou d'un thème est possible : par transaction avec un autre groupe. En dépit des distances et parfois des frontières linguistiques, une certaine « unité artistique » existe, grâce à ces « achats » ; cependant, le connaisseur reconnaît une « école », un style local ou un « maître » et son influence. D'autre part, en raison de l'importance de la parole révélée, des niveaux de langue existent et correspondent à des situations profanes ou sacrées (vocabulaire familier ou noble, mots d'enfants, formes grammaticales courantes ou recherchées). Il s'agit même parfois de « langue secrète », réservée à des initiés. Par ailleurs, certains éléments du vocabulaire connus de tous ont, pour les initiés, des sens différents : un texte cohérent récité devant l'ensemble du groupe peut être l'objet d'une interprétation ésotérique et d'une « autre lecture » pour les initiés. Enfin, un autre trait que partagent les littératures orales s'énonce en paradoxe : résistance et stabilité, mais aussi vulnérabilité liée à la précarité de la transmission. Hommes et femmes des sociétés australiennes partagent certains aspects de leur culture littéraire et artistique, mais les rites initiatiques mettent les hommes en possession de trésors culturels dont l'accès est interdit aux femmes (quelques groupes, cependant, pratiquaient aussi l'initiation des filles avant le mariage et une certaine somme de connaissances « secrètes » leur étaient alors dévoilées). Qu'il s'agisse des textes sacrés réservés aux hommes (comme dans la plupart des groupes) ou des secrets transmis aux femmes, nos connaissances sont à peu près nulles dans ce domaine qui disparut avec ses « croyants ». De même, si nous savons avec certitude que les langues secrètes ont existé, nous n'avons plus que quelques mots épars à citer. Si la société australienne reconnaissait à certains individus des dons particuliers, ces hommes (ou ces femmes) n'en avaient pas pour autant des statuts spécifiques. Chaque homme devait chasser pour sa famille et ce n'est que momentanément, pendant les fêtes, qu'il pouvait se consacrer à ses activités artistiques à plein temps. L'Australie contraste ainsi avec la plupart des civilisations connues de l'oralité (à l'exception de certaines cultures mélanésiennes qui, elles non plus, n'accordent pas de place spécifique à l'artiste).
Les sources et le milieu
La littérature australienne autochtone ne nous est parvenue que sous forme de fragments. Elle est aujourd'hui pratiquement morte du fait de la colonisation : le parcage des aborigènes a déstructuré les anciennes sociétés nomades et produit la rupture des échanges culturels ; la christianisation a supprimé les rites initiatiques et balayé la littérature sacrée qui en dépendait. L'incompréhension, le mépris et la cruauté ont caractérisé les débuts de la colonisation. Ainsi, en Tasmanie, la population était exterminée en 1876, tandis que, dans les régions du Sud, les colons chassaient et déportaient les habitants. Même dans le monde scientifique, l'Australien fut le symbole du « sauvage ». Les savants s'affrontèrent pour décider si l'Australien était un ancêtre attardé de l'homme, « fossilisé » par son isolement, ou s'il était un préhomme, différent dans son essence de l'homme « civilisé » (Freud, Totem et tabou, 1913). L'Aborigène ne cessa jamais de recevoir l'épithète de « primitif », et les théories sur la « mentalité primitive » naquirent pour une bonne part des interprétations hâtives des descriptions australiennes. Lorsque nous avons la chance de posséder des traductions, la version originale n'est souvent que partiellement donnée, ou fait défaut complètement, ou alors les connotations culturelles nécessaires à l'interprétation des textes manquent ou sont sujettes à caution. Actuellement, un très grand effort est fait pour sauver du néant les bribes de savoir et de littérature aborigènes encore disponibles. L'Australian Institute of Aboriginal Studies, le Summer Institute et d'autres œuvres missionnaires, ainsi que des ethnologues et linguistes de différentes parties du monde s'emploient activement à cette tâche de sauvetage – il faut rappeler ici que ce sont les anthropologues qui, les premiers, ont diffusé, à partir de la fin du XIXe s. des études de terrain et des rapports qui ont peu à peu modifié la perception que certains intellectuels avaient des Aborigènes et vont amener les écrivains et artistes blancs à s'y intéresser dans les années 1920-1930.
En raison de la multiplicité des nations qui vivaient sur le continent australien, les formes littéraires comme les thèmes traités présentaient des variantes locales. Cependant, toutes ces cultures offraient un ensemble de traits communs. Chacune s'affirmait en face des autres par des particularités sociales, techniques ou artistiques. Parallèlement, la diversité apparente des langues est le produit d'une très longue évolution sur le continent d'une ancienne famille linguistique, ou d'une même langue. L'une des causes de la diversité est évidemment l'adaptation à des conditions de vie variées. Géographiquement et climatiquement, l'Australie imposait à ses habitants des cadres très différents. Pour les uns, la vie côtière, fluviale ou lacustre, pour les autres, la quête des points d'eau le long des itinéraires dans les semi-déserts. Toutes les nations pratiquaient le nomadisme sur de vastes territoires aux frontières souples, mais admises. L'agriculture – même quand elle était connue par les contacts avec les peuples de l'Indonésie – n'était nulle part pratiquée. Les populations vivaient de chasse, de pêche et de cueillette. Une grande part de l'activité australienne était tournée vers la vie religieuse : des cultes saisonniers, des rites d'initiation, les déplacements périodiques vers des lieux sacrés où se regroupaient de nombreuses familles appartenant à des clans divers et ne parlant pas toujours la même langue entretenaient la création artistique et assuraient la transmission de la culture.
Du point de vue de l'organisation sociale, le groupe était formé d'une réunion de familles polygames, donc nécessairement de membres de clans variés, puisque les mariages se faisaient hors du clan et selon des systèmes très élaborés. Seuls détenaient le pouvoir des décisions importantes les hommes initiés. L'initiation, commencée dans la jeunesse, se continuait à l'âge mûr : en fait, la société était gérontocratique. L'initiation des garçons était partout pratiquée. La somme des connaissances alors acquises comprenait essentiellement des secrets d'ordre mystique, dévoilés à l'initié par des récits, des chants et des danses, l'explication du symbolisme des dessins sacrés, et le maniement des objets sacrés (« churingas » recelant les pouvoirs d'ancêtres ou de héros civilisateurs, rhombes dont la résonance terrifiait les femmes et les non-initiés pour qui c'était la voix des esprits). Les mots donnaient pouvoir aux initiés de créer – tout comme l'avaient fait leur ancêtre-totem – les animaux, les plantes ou les conditions atmosphériques avec lesquels ils entretenaient les mystérieux liens de « sympathie » qu'engendrait l'appartenance à un même nom. Ainsi, l'homme du totem anguille détenait les « maîtres mots » qui feraient se multiplier ce poisson au bénéfice de tout son groupe.