Madagascar (suite)
La littérature moderne
Dès la fin du XIXe siècle, la presse en malgache et en français publie des œuvres relevant de l'influence européenne : nouvelles, essais et, surtout, poésies. C'est par cette voie que des écrivains de langue malgache acquièrent une grande notoriété, comme Ny Avana, Rodlish et Jean Narivony. Après la Première Guerre mondiale, l'activité littéraire en malgache se développe encore. Plusieurs écrivains adoptent des pseudonymes, soit par romantisme, soit pour déjouer les risques de censure : ainsi, Fidelis Justin Rabetsimandranto ne conserve que ses prénoms, et Jean Verdi Salomon Razakandrainy, l'un des écrivains malgaches les plus populaires, signe ses chansons, ses poèmes et ses pièces de théâtre d'un lapidaire Dox. Ces diffusions dans des périodiques ou dans le cercle de chapelles littéraires n'ont guère favorisé la conservation des textes. Le recours aux petits fascicules vendus à bas prix sur les marchés a fait le succès de romans populaires, conçus sur le mode du roman-feuilleton français, mais les récits se déroulent à Madagascar, tantôt dans une société travaillée de grandes mutations, tantôt dans des groupes gardant les pensées ancestrales. L'imaginaire malgache se caractérise aussi par une propension à l'évocation du passé ou du surnaturel. Plusieurs de ces fascicules hebdomadaires publient, en livraisons successives, de vrais romans comme la Main sanglante, de P. E. de Lamarquise, pseudonyme d'Émile Parson, qui dépasse cent pages. Certains de ces récits populaires, toujours très prisés, réussissent à être édités, comme Bina, de A. Rajaonarivelo, dès 1933, et de nos jours, depuis la difficile émergence d'une société d'édition, ceux de Clarisse Ratsifandrihamanana ou encore de Charlotte Rafenomanjato (dont certains textes, tel le Pétale écarlate, 1985, sont écrits en français). Le mode de diffusion par fascicules imprimés sur papier journal permet cependant d'atteindre toutes les couches sociales, même les plus démunies, friandes surtout de calendriers astrologiques ou de recueils de formules ancestrales (proverbes, modèles de discours), réalisés par exemple par Rasamüel qui, avec Wast Ravelomoria, s'est également livré à des études historiques. Rainitovo et Rabary font œuvre d'historiens, particulièrement le second qui utilise les archives des missionnaires. Bien des créations, en particulier dans le domaine foisonnant du théâtre, restent aussi inédites.
Pour la plupart, les auteurs gardent leur langue maternelle, mais certains comme le grand poète Jean-Joseph Rabearivelo (1901-1937) se sont révélés parfaitement bilingues et subtils passeurs entre les deux univers culturels et linguistiques européen et malgache. Son œuvre de créateur et de traducteur dont les pratiques s'entremêlent inextricablement (en particulier dans des recueils comme Presque-songe ou Traduit de la nuit), de façon tout à fait novatrice, a connu une reconnaissance tardive, mais aujourd'hui bien établie. Les deux autres grands écrivains francophones de la première moitié du XXe siècle sont Flavien Ranaivo et, surtout, Jean-Jacques Rabemananjara dont l'engagement politique a accompagné la production littéraire – ses plus grandes œuvres poétiques et dramatiques, chantant son amour de l'île et de la liberté, ont été rédigées en prison : Antsa, 1948 ; Lamba, 1956 ; les Boutriers de l'aurore, 1957. Après 1960, date de l'indépendance de l'île, une politique de malgachisation, accentuée à partir de 1972, a porté un frein à l'épanouissement d'une littérature en français, mais, depuis la fin des années 1970, celle-ci resurgit chez des écrivains que les mœurs et les mythes populaires continuent à inspirer comme P. Reo (Penandrova, 1977), et surtout chez des créateurs comme Esther Nirina, dont la sensibilité poétique s'exprime dans une langue à la beauté de plus en plus épurée (Silencieuse Respiration, 1975 ; Lente Spirale, 1990), Michèle Rakotoson, qui allie dans ses récits veine réaliste et fantastique (Dadabé, 1984 ; le Bain des reliques, 1988 ; Henoÿ, 1998), Jean-Luc Raharimanana, nouvelliste et romancier au verbe poétique et violent, hanté par la misère vertigineuse et les peurs qui vrillent la société malgache contemporaine (Lucarne, 1996 ; Nour, 1947, 2001).