Joukovski (Vassili Andreïevitch)
Poète russe (district de Michenskoïe, gouvern. de Toula, 1783 – Baden-Baden 1852).
Souvent considéré comme un des fondateurs du romantisme russe, Joukovski ne renonça jamais complètement au sentimentalisme karamzinien qui inspira ses débuts et qu'alimentait sa vie privée : un amour malheureux nourrit la mélancolie que l'on retrouve dans beaucoup de ses œuvres. Ses traductions d'écrivains anglais et allemands (Uhland, Schiller, Dryden, Scott, Moore, Byron) ont introduit en Russie la sensibilité romantique, en même temps que son œuvre personnelle, peu abondante, créait un nouveau langage poétique, mélodieux et d'inspiration intime, qui influença Pouchkine et plus encore Lermontov. Ce sont deux traductions qui firent connaître Joukovski du public cultivé, l'Élégie de Gray en 1802 et une adaptation de la Lenore de Bürger en 1808 (Lioudmila). Engagé volontaire en 1812, il écrivit des poèmes guerriers qui le rendirent célèbre (le Poète au camp des guerriers russes), puis il se consacra essentiellement à ses activités officielles, comme l'éducation du futur Alexandre II. Après 1830, il renoue avec l'écriture, puise à d'autres sources, et s'essaie à un vers plus énergique. Ses dernières œuvres – adaptations de contes orientaux traduits de l'allemand – témoignent d'une richesse de couleurs, d'une fantaisie, de sonorités verbales qui éclateront dans sa traduction de l'Odyssée en hexamètres (1847).
Journal de Sarashina
(Sarashina nikki)
œuvre autobiographique japonaise sous forme de notes journalières, composées par une femme connue comme « la fille de Sugawara no Takasue » (1008-? ). Née dans une famille vouée depuis des générations aux lettres, celle-ci est la nièce de l'auteur du Kagero nikki. Dans ses Mémoires, mis en forme sans doute à partir de 1059, cette représentante de la moyenne aristocratie a consigné les principaux événements de sa vie sur près de quarante années (1020-1059) : son retour à Heian (auj. Kyoto), la capitale impériale, après un séjour dans une lointaine province de l'Est où elle avait accompagné son père, et la découverte du Dit du Genji, qui alimentera ses rêves d'adolescente ; son existence à Heian – tracas de la vie domestique, service au palais, espoirs avortés d'ascension sociale – ; son mariage tardif et, pour finir, sa solitude après la mort de son époux. Cette œuvre émouvante constitue un précieux témoignage, à la fois sobre et vivant, sur la vie à la cour impériale au début du XIe s.
Journal d'une éphémère
(Kagero nikki)
Ce chef-d'œuvre du genre japonais kana nikki (notes journalières rédigées en langue vernaculaire) constitue également le premier des ouvrages de ce type. Écrit par la mère du puissant Fujiwara no Michitsuna (955-1020), il couvre une période d'environ vingt ans (954-974), et s'attache en particulier à la description des relations orageuses de l'auteur avec le régent Fujiwara no Kaneie (929-990), dont elle fut l'une des concubines, et le père de Michitsuna. L'œuvre, dont la rédaction semble avoir été achevée vers 980, se présente comme un recueil de Mémoires où l'auteur, dans un style à la fois spontané et minutieux, peint ses sentiments les plus intimes, son attachement douloureux envers son époux et son amour maternel exclusif. Comme la plupart des « journaux en kana » qui suivront son modèle, ce texte mêle aux notations proprement biographiques ou psychologiques des réflexions empreintes de pensée bouddhique et de poésie. Il exerça par la suite une forte influence, notamment sur le Dit du Genji.
journal intime
Le journal intime note, suivant un rythme et à une fréquence variables, des événements extérieurs, des états d'âme (Chopin, Carnet de notes) ou des réflexions morales (Strindberg, Journal d'un fou ; Pavese, le Métier de vivre). Ces notations, effectuées au jour le jour, n'ont apparemment qu'un intérêt technique dans le cas du récit de voyage par exemple ou qu'une valeur anecdotique dans le cas de l'introspection autobiographique. Aussi le journal n'est-il pas d'emblée considéré comme un genre littéraire destiné à une large diffusion. Il s'agit le plus souvent de mémoires intéressant tel ou tel domaine scientifique ou de documents historiques concernant une période, un pays ou un personnage important : tandis que Chateaubriand rédige, en l'idéalisant sous forme de récit, son Itinéraire de Paris à Jérusalem, son valet, Julien, tient un Journal, plus prosaïque mais sans doute plus près de la vérité. C'est un hasard (célébrité soudaine de l'auteur ou des personnes qu'il a rencontrées) ou les hauts et les bas des modes littéraires qui déclenchent la plupart du temps l'engouement – généralement posthume – pour les pensées intimes d'un écrivain. La mort prématurée, le suicide, incitent souvent les éditeurs à publier des manuscrits auxquels la curiosité des lecteurs assure ainsi un succès commercial temporaire (ainsi du Journal de J.-R. Huguenin). Cependant, la liberté du ton propre à l'écriture journalière et l'ambiguïté d'une narration – dont on ne sait si on doit la considérer comme totalement imaginaire (c'est le pur résultat des fantasmes d'un témoin par définition subjectif) ou, par-là même, fondamentalement vraie (qui peut mieux se décrire sinon le sujet lui-même ?) – ont concouru à créer un style spécifique qui, débordant le cadre de l'analyse autobiographique, a envahi, au moins depuis Gide, le domaine de la fiction romanesque.
Sous sa forme originelle, le journal se distingue par la présence constante de repères temporels, correspondant la plupart du temps à une journée. Ce découpage chronologique peut s'observer tant dans le Journal de bord de Christophe Colomb (partiellement résumé à la troisième personne par Las Casas) que dans le Journal de voyage en Italie dicté par Montaigne à son secrétaire et publié près de 200 ans après sa mort. Le sentiment de la répétition quotidienne est l'élément constitutif essentiel d'où le journal tire son nom. Qu'il s'agisse du Journal d'un Pepys, d'un Green, ou d'un récit fictif comme la bande dessinée de Cabu, le Journal de Catherine, tout se passe comme si le narrateur notait le soir les événements de la journée, voire les rêves de la nuit précédente. À la faveur d'une narration toujours ultérieure, même lorsque le journal est rédigé au présent (celui-ci ne pouvant en toute logique représenter qu'un passé immédiat), le sujet semble prendre une certaine distance vis-à-vis de sa propre personne et juger « objectivement » ses actes, ses désirs, ses velléités, ses projets – ou leur absence : le journal ne marque alors que l'écoulement du temps et, par contraste, le vide d'une vie qui s'écoule avec monotonie : « 20 décembre. J'attends, depuis deux jours. J'attends je ne sais quoi [...]. 21 décembre. Rien de nouveau. » (Journal de Salavin, Duhamel) Sauf dans le cas d'une vie féconde en aventures de toutes sortes, tenir un journal revient donc à enregistrer au jour le jour les événements insignifiants de la vie psychique, à dialoguer avec son double, en fin de compte à s'instituer unique lecteur de sa propre écriture ; tel semble être du moins le fonctionnement initial du modèle du genre de la narration intimiste, le Journal d'Amiel.
L'espace, qui peut être clos (Journal de prison d'A. Sarrazin) ou abstrait (Journal de J. Green par exemple), participe également à l'unité thématique du journal. De même qu'il y a une très grande proximité entre le temps de la narration et l'époque narrée, de même il ne saurait y avoir de solution de continuité dans l'espace parcouru (Stendhal : Rome, Naples et Florence).
En conséquence, le journal se caractérise par une énonciation subjective (le repérage est déictique, c'est-à-dire établi à partir de la personne, du lieu et du moment de l'énonciation), et, le plus souvent, par l'utilisation conventionnelle du style « relâché » (élisions, etc.) en accord avec l'intimisme du contenu et à l'impressionnisme des notations. Il exclut la subdivision en parties et chapitres aussi bien que l'omniscience d'un point de vue surplombant. Ainsi Sardaigne et Méditerranée, de D. H. Lawrence, contrairement à Rome, Naples et Florence de Stendhal, écrit au jour le jour par un mélomane amoureux de l'Italie, apparaît comme un récit idéalisé et reconstruit : la division en chapitres, le résumé thématique qu'en donne chaque titre enlèvent sa spontanéité à l'expérience quotidienne, la débarrassent du superflu.
Aussi le journal intime est-il considéré, à l'exception de l'époque romantique qui prétend privilégier les élans incontrôlés d'un cœur meurtri par la société (le Journal d'un poète de Vigny), comme un genre mineur et informel, mené en secret parallèlement à d'autres œuvres que le public reconnaît et authentifie en les rémunérant. Apparemment décousu, puisqu'il n'a la plupart du temps ni sujet défini ni titre distinctif, le journal révèle cependant une unité plus profonde, celle de la personnalité cachée d'un individu. Il est particulièrement apte à mettre en lumière sinon l'évolution, du moins le caractère d'un sujet : les anecdotes, les détails les plus anodins renvoient en effet toujours au moi qui les enregistre et y réagit ; d'où un mélange subtil de descriptions objectives et, par le biais de celle-ci, d'analyses psychologiques.
Enfin, à la suite des réflexions de Gide (Paludes, les Faux-Monnayeurs), puis de Sartre (la Nausée), le roman contemporain, reprenant à son compte la destruction de l'illustration « vie = aventure romanesque », devient de plus en plus le journal d'un récit en train de s'écrire (F. Sagan, Des bleus à l'âme ; J. Laurent, les Bêtises) ou intègre-t-il au sein d'une narration de type réaliste le point de vue subjectif d'un personnage tel qu'il apparaît à travers les fragments de journal qui lui sont attribués (carnets de Tarrou dans la Peste de Camus, cahiers d'Adam dans le Procès-verbal de Le Clézio).