Mexique (suite)
Traditions et influences
Les courants réaliste et naturaliste ne se distinguent guère par leur originalité, même chez E. Rabasa (1856-1930) ou Federico Gamboa (1864-1939). En revanche, le modernisme, introduit par S. Díaz Mirón, M. Gutiérrez Nájera et Manuel J. Othón, trouvera après 1896 son centre principal au Mexique, avec la Revista Moderna et des poètes comme Amado Nervo, J. J. Tablada, Luis G. Urbina et E. González Martinez. Cet âge d'or de la poésie servira de transition vers la littérature contemporaine ; le roman, un peu relégué au second plan depuis Lizardi, prendra son essor après la chute du dictateur Porfirio Díaz (1911) avec ce qu'on appelle, précisément, le « roman de la Révolution » (M. Azuela, M. L. Guzmán, Rafael Muñoz). Il en va de même pour les œuvres de l'essayiste J. Vasconcelos, mais c'est Alfonso Reyes qui aura la plus profonde influence sur les intellectuels de son pays. Tandis que Ramón López Velarde (1888-1921) se dégage du modernisme et que José Juan Tablada (1871-1945) introduit le haikai japonais dans la technique poétique, un groupe se forme autour de la revue Contemporáneos (1928-1931). Nourris aux lettres françaises et anglaises, ses membres se montrent essentiellement soucieux d'esthétique et indifférents aux préoccupations sociales (Bernardo Ortiz de Montellano, Carlos Pellicer, José Gorostiza, Jaime Torres Bodet, Xavier Villaurrutia, Salvador Novo). À la suite de Rodolfo Usigli, de nombreux talents nouveaux témoignent de l'importance de l'activité dramatique au Mexique : Elena Garro, Sergio Magaña, Emilio Carballido, Luisa Josefina Hernández, Vicente Leñero. En poésie se manifeste un profond souci d'intégrer les traditions mexicaines à la culture universelle, notamment chez les écrivains rassemblés autour de la revue Taller (1938-1940), dont le plus illustre représentant est Octavio Paz. Si Efraín Huerta mêle la politique à la poésie, Alí Chumacero vise à la rigueur de la forme et au classicisme des images. Dans le concert de la poésie d'aujourd'hui se font entendre des voix diverses, plus personnelles chez Jesus Arellano ou Jaime Sabines, plus chaleureuses chez Rosario Castellanos et Tomás Segovia, parfois empreintes de protection sociale avec Rubén Bonifaz Nuño et Jaime García Terrés. D'autres poètes se distinguent par l'exubérance de leur lyrisme aux confins du surréalisme, tel Marco Antonio Montes de Oca, ou, au contraire, par leur langage très condensé comme Gabriel Zaid. Homero Aridjis cultive une poésie sensuelle, et José Emilio Pacheco, un style dense et précis, souvent imprégné d'ironie.
Identité mexicaine et universalité
Le roman reste longtemps marqué par le souvenir de la révolution de 1910 et, bien que largement ouvert aux influences étrangères, notamment aux nouvelles techniques narratives héritées de Joyce et de Faulkner, il garde un caractère typiquement national avec son mélange de tendresse et de cruauté et son attirance pour le thème de la mort. José Revueltas fonde avec le Deuil humain (1943) le roman moderne, qui dépasse le simple tableau de mœurs pour introduire une réflexion sur le Mexique et la mexicanité, en exploitant toutes les ressources d'une technique enfin dégagée de la tradition. La problématique nationale devient le thème principal d'écrivains comme Agustín Yáñez, Juan Rulfo ou Juan José Arreola. Cependant, l'indigénisme trouve un nouveau souffle avec la fondation de l'Institut national indigéniste (1948), et des auteurs comme R. Pozas ou Rosario Castellanos. Mais la voie ouverte par Yáñez ou Rulfo est celle qu'empruntent désormais la majorité des écrivains, dont les œuvres ont pour thème le Mexique, son essence, ses origines et son destin. C'est souvent une littérature de la désillusion : la révolution a été trahie par la classe dirigeante, qui en a détourné le succès à son seul profit, plongeant le pays dans un marasme idéologique et socio-économique qu'il faut dénoncer pour y remédier. C'est le règne de la corruption et de la violence, ce que montrent Elena Garro, F. del Paso, F. Benítez et, surtout, Carlos Fuentes, dont l'œuvre, dans sa quasi-totalité, est une histoire des mentalités mexicaines de notre temps. C'est aussi le cas de Salvador Elizondo et des écrivains qui font partie de ce qu'on a appelé, dans les années 1960, la Onda et qui s'attachent à décrire la vie de la capitale et de sa bourgeoisie aisée. Le roman propose alors une transposition mythique de la réalité et, exploitant le thème de la relation auteur/lecteur, explore la sensualité, l'opposition à toute forme de répression, l'absurde, utilisant un langage libéré de toute convention et n'hésitant pas à faire des emprunts aux argots et à « l'hispanglish » actuels : J. Agustín, Gustavo Sainz. La génération « du crack » réunit des jeunes écrivains comme Jorge Volpi, auteur de nombreux romans (À la recherche de Klingsor, 1999). Témoignage d'une extraordinaire vitalité que souligne la floraison de multiples « ateliers d'écriture », et signe que la littérature oscille perpétuellement entre les deux pôles reconnus par O. Paz, « mexicanité » et « universalité » : dans cette double attraction réside la raison de son dynamisme.