Dictionnaire de la Littérature 2001Éd. 2001
E

expressionnisme (suite)

Une expression apocalyptique

La conscience de la crise a d'abord eu une expression poétique, comme dans les premiers poèmes de Benn (Morgue, 1912) marqués par un nihilisme radical. Pour Trakl, l'état du monde s'identifie à celui de l'individu qui se livre à travers le poème : les « signes » de la nature et ceux de l'âme se confondent dans les « métaphores absolues » et le « noir délire » des images. Des visions apocalyptiques caractérisent aussi l'œuvre de Heym : son thème principal est la grande ville, haussée au niveau du mythe ; le pouvoir destructeur du dieu de la ville, Ball, tout comme la folie des masses qui semblent possédées, apparaissent à travers un mélange de réalité et de fantastique. L'expression tourne parfois au rituel bien rodé, mais le style recèle beaucoup d'éléments de renouveau : Stramm refuse ainsi la métaphore et veut « libérer » le mot des conventions grammaticales et syntaxiques.

   À mesure toutefois que les problèmes de l'individu cèdent devant ceux de l'humanité, le théâtre devient la forme la plus appropriée pour représenter les conflits sociaux. Si les auteurs dramatiques expressionnistes ont été influencés par Strindberg, leur précurseur direct fut Frank Wedekind, dont la « dramaturgie de cirque » a mis fin à l'hégémonie du théâtre naturaliste et psychologique. On a affaire à une forme spécifique du théâtre didactique reposant sur des gestes stylisés. L'expressionnisme a créé un nouveau style théâtral, avec des metteurs en scène comme L. Jessner et R. Weichert, abandonnant souvent la scène à l'italienne pour un espace scénique plus libre : le théâtre doit être « la réalité la plus irréelle » (Y. Goll), « la déformation subjective du monde objectif » (P. Szondi). Deux thèmes principaux caractérisent ce théâtre : le conflit des générations (le Fils, de Hasenclever ; Meurtre du père, de Bronnen) et l'homme qui devient capable de penser en termes d'humanité. Le processus dramatique tend à une réalisation exemplaire de l'« homme nouveau », ce qui donne aux « pièces d'annonciation » expressionnistes une tonalité abstraite. Les expressionnistes ont souvent recours à la technique du Stationendrama de Strindberg pour montrer la souffrance dans ses différentes étapes. Sous une forme qui rappelle le monologue lyrique, la pièce montre les échecs du personnage, mais aussi son sacrifice et la révélation finale, destinés à déclencher le processus de conversion chez le spectateur.

   Le style narratif expressionniste refuse le statisme descriptif et le déploiement de l'action et privilégie une « vision intérieure », traduite par des accumulations de mots, des métaphores suggestives, des phrases au rythme éruptif. Chez Döblin, Benn et Edschmid, on est frappé par les alternances de rythme, les interruptions et les contractions. On en trouve des traces dans les œuvres écrites à cette époque par H. Mann et A. Zweig. En revanche, les écrits de Kafka, cette forme claire « d'un monde intérieur onirique », le situent à l'écart du courant expressionniste. Dans tous les domaines, le déclin de l'expressionnisme a commencé au début des années 1920. Son programme idéaliste s'est brisé sur la réalité. Mais il a influencé le dadaïsme et le surréalisme, et un auteur comme Brecht a trouvé ses conceptions esthétiques en partant de l'expressionnisme. Le mouvement a donné lieu à un débat parmi les écrivains exilés sous le IIIe Reich. Certains, avec G. Lukács, y ont vu une source du fascisme. D'autres, comme E. Bloch et H. Eisler, ont insisté sur ses apports esthétiques.

Eyma (Xavier) , pseudonyme d'Adolphe Ricard

Écrivain français (Saint-Pierre, la Martinique, 1815 – Paris 1876).

Après avoir débuté par des poésies et des vaudevilles, il fut chargé d'une mission aux Antilles en 1846, puis visita les États-Unis et se fit l'intermédiaire entre les journaux louisianais et ceux de France. Il a multiplié les écrits en tout genre sur le Nouveau Monde : études (la République américaine, 1861), essais anecdotiques (les Femmes du Nouveau Monde, 1853), nouvelles et romans pittoresques (les Peaux-Rouges, 1854).

Eyüboglu (Bedri Rahmi)

Peintre et poète turc (Görele 1913 – Istanbul 1975).

Son lyrisme comme sa peinture sont fortement influencés par la musique et la poésie populaires (Lettres au Créateur, 1941 ; Mûre noire, 1948). Son frère Sabahattin (Akçaabat 1908 – Istanbul 1973), plusieurs fois emprisonné pour ses idées libérales, traduisit Montaigne, La Fontaine et Rabelais, et défendit dans ses essais la notion d'une culture « anatolienne » opérant le syncrétisme de tous les modes d'expression des peuples qui se sont succédé sur le sol de la Turquie (Bleu et Noir, 1961 ; Essais complets (2 vol.), 1981-1982). Il fut aussi – sous le pseudonyme de Hasan Güreh – le premier traducteur en français de Nâzim Hikmet.

Ézéchiel

C'est, avec Isaïe et Jérémie, un des « grands prophètes » du judaïsme. Son nom hébreu Yehézq'êl, signifie « Que Yahvé rende fort ». Il a exercé son activité, au début du VIe s. av. J.-C., auprès des exilés de Babylonie, où il fut emmené sans doute lors de la première déportation sous Joiakîn, roi de Juda, en 597. Là, pendant dix ans, il tient le même langage que Jérémie resté à Jérusalem : il reproche au peuple de Dieu (Ézéchiel, 3-24) et aux nations leur mauvaise conduite. Mais, à partir de 587, quand la catastrophe est arrivée et que le peuple a perdu tout espoir, sa prédication devient message d'espérance (Ézéchiel, 33-39) : Dieu, proclame-t-il inlassablement, va restaurer son peuple. Ézéchiel en est tellement assuré qu'il décrit, de façon futuriste, la Jérusalem de l'avenir, transfigurée par Dieu (40-48). Les oracles d'Ézéchiel sont rassemblés dans le livre qui porte son nom. Dans la Bible hébraïque, ce livre suit immédiatement le Livre de Jérémie, qui succède à Isaïe. Cette ordonnance a été adoptée par les Bibles chrétiennes. Mais l'ordre des « Grands Prophètes » préconisé par le Talmud est le suivant : Jérémie, Ézéchiel et Isaïe (« Le Livre des Rois s'achève sur le malheur, Jérémie est entièrement le malheur, Ézéchiel commence avec le malheur mais s'achève avec la consolation, tandis qu'Isaïe est tout entier consolation », Baba Batra, 14 b).

   On a appelé Ézéchiel le « père du judaïsme », bien qu'il ne soit pas toujours facile de mesurer son apport personnel. Il a orchestré Jérémie (31, 31-34), aussi bien que les prescriptions de la « Loi de sainteté » (Lévitique, 17-26). Les prophètes Aggée, Malachie, Esdras seront ses disciples. On lui doit notamment le goût du Temple et du « nomisme », l'horreur de la « souillure », la conception d'Israël comme « Église », les thèmes et le style apocalyptiques qui caractérisent les visions de Zacharie et de Daniel, la problématique de la rétribution, qu'approfondiront Job et l'Ecclésiaste.