expressionnisme (suite)
Une expression apocalyptique
La conscience de la crise a d'abord eu une expression poétique, comme dans les premiers poèmes de Benn (Morgue, 1912) marqués par un nihilisme radical. Pour Trakl, l'état du monde s'identifie à celui de l'individu qui se livre à travers le poème : les « signes » de la nature et ceux de l'âme se confondent dans les « métaphores absolues » et le « noir délire » des images. Des visions apocalyptiques caractérisent aussi l'œuvre de Heym : son thème principal est la grande ville, haussée au niveau du mythe ; le pouvoir destructeur du dieu de la ville, Ball, tout comme la folie des masses qui semblent possédées, apparaissent à travers un mélange de réalité et de fantastique. L'expression tourne parfois au rituel bien rodé, mais le style recèle beaucoup d'éléments de renouveau : Stramm refuse ainsi la métaphore et veut « libérer » le mot des conventions grammaticales et syntaxiques.
À mesure toutefois que les problèmes de l'individu cèdent devant ceux de l'humanité, le théâtre devient la forme la plus appropriée pour représenter les conflits sociaux. Si les auteurs dramatiques expressionnistes ont été influencés par Strindberg, leur précurseur direct fut Frank Wedekind, dont la « dramaturgie de cirque » a mis fin à l'hégémonie du théâtre naturaliste et psychologique. On a affaire à une forme spécifique du théâtre didactique reposant sur des gestes stylisés. L'expressionnisme a créé un nouveau style théâtral, avec des metteurs en scène comme L. Jessner et R. Weichert, abandonnant souvent la scène à l'italienne pour un espace scénique plus libre : le théâtre doit être « la réalité la plus irréelle » (Y. Goll), « la déformation subjective du monde objectif » (P. Szondi). Deux thèmes principaux caractérisent ce théâtre : le conflit des générations (le Fils, de Hasenclever ; Meurtre du père, de Bronnen) et l'homme qui devient capable de penser en termes d'humanité. Le processus dramatique tend à une réalisation exemplaire de l'« homme nouveau », ce qui donne aux « pièces d'annonciation » expressionnistes une tonalité abstraite. Les expressionnistes ont souvent recours à la technique du Stationendrama de Strindberg pour montrer la souffrance dans ses différentes étapes. Sous une forme qui rappelle le monologue lyrique, la pièce montre les échecs du personnage, mais aussi son sacrifice et la révélation finale, destinés à déclencher le processus de conversion chez le spectateur.
Le style narratif expressionniste refuse le statisme descriptif et le déploiement de l'action et privilégie une « vision intérieure », traduite par des accumulations de mots, des métaphores suggestives, des phrases au rythme éruptif. Chez Döblin, Benn et Edschmid, on est frappé par les alternances de rythme, les interruptions et les contractions. On en trouve des traces dans les œuvres écrites à cette époque par H. Mann et A. Zweig. En revanche, les écrits de Kafka, cette forme claire « d'un monde intérieur onirique », le situent à l'écart du courant expressionniste. Dans tous les domaines, le déclin de l'expressionnisme a commencé au début des années 1920. Son programme idéaliste s'est brisé sur la réalité. Mais il a influencé le dadaïsme et le surréalisme, et un auteur comme Brecht a trouvé ses conceptions esthétiques en partant de l'expressionnisme. Le mouvement a donné lieu à un débat parmi les écrivains exilés sous le IIIe Reich. Certains, avec G. Lukács, y ont vu une source du fascisme. D'autres, comme E. Bloch et H. Eisler, ont insisté sur ses apports esthétiques.