Cent et Une Nuits (les)
(mi'at layla wa layla)
Recueil de « contes » arabes.
L'histoire de cet ouvrage est un mystère. D'abord, son récit-cadre, récit qui englobe tous les autres et qui a pour héroïne la fameuse Schéhérazade (Chahrazad en arabe), est similaire à celui des Mille et Une Nuits et serait même plus ancien. Ensuite, les histoires qui y sont racontées, une vingtaine environ, diffèrent, à deux exceptions près (le Cheval d'ébène et les Sept Vizirs), de ce qu'on trouve dans les Mille et Une Nuits. Enfin, alors que les Mille et Une Nuits proviennent de Syrie et d'Égypte, les Cent et Une Nuits, elles, proviennent essentiellement des pays du Maghreb. Cela dit, l'esprit qui anime les deux textes est le même, et la lecture de l'un compléterait utilement l'autre et permettrait d'apprécier la littérature arabe moyenne des XVe-XVIIIe siècles à laquelle ils appartiennent tous les deux.
Cent Fleurs (campagne des)
Campagne lancée par Mao Zedong en février 1957 et résumée par le slogan : « Que cent fleurs s'épanouissent, que cent écoles rivalisent ».
Elle devait définir la nouvelle politique à l'égard des intellectuels et des artistes : diversité, liberté de création et de critique. Cette « libéralisation » déchaîna des critiques inattendues. Afin de couper court à ces dures attaques contre le P.C.C., commença peu après une sévère campagne de « rectification antidroitière » dont furent victimes nombre d'écrivains (Ai Qing, Ding Ling, Liu Binyan, Wang Meng...), soumis à une rééducation brutale, privés du droit et de la possibilité d'écrire.
Cent Nouvelles Nouvelles (les)
Recueil d'histoires libertines (1456-1467).
Les narrateurs appartiennent à l'entourage du duc de Bourgogne, Philippe le Bon, et du dauphin de France, Louis (futur Louis XI). Le duc conte la première histoire, relayé ensuite par une trentaine de narrateurs. En réalité, l'ensemble du recueil, dont le modèle explicite est le Décameron de Boccace, est de la main d'un seul écrivain qui a été identifié, sans doute à tort, comme Antoine de la Sale (auteur de la 50e nouvelle). Reprenant des schémas existant, dont ceux des fabliaux, ou bien empruntant aux Italiens (Facéties du Pogge), les intrigues sont souvent construites sur un bon mot. Le recueil rapporte les ruses mises en œuvre par les femmes et les séducteurs, sur le mode du pittoresque et de la fantaisie qui relèvent moins d'une influence oralisante et bourgeoise que d'un exercice littéraire très prisé au sein de l'aristocratie. Il connut des éditions successives et inspira maints nouvellistes.
Cerami (Vincenzo)
Écrivain italien (Rome 1940).
Ses romans, qui décrivent la monstruosité de la société, se rattachent à l'œuvre de Pasolini (Un bourgeois tout petit petit, 1976 ; le Mal d'amour, 1988). Cerami a beaucoup écrit pour le théâtre et le cinéma, collaborant notamment avec Pasolini et Benigni (La vie est belle, 1998).
Cernuda (Luis)
Poète espagnol (Séville 1902 – Mexico 1963).
Influencé par le surréalisme, se réclamant de Keats et de Hölderlin, exilé dès 1938, il exprime son angoisse devant l'impossible communion humaine à travers son œuvre poétique, réunie en un recueil, la Réalité et le Désir (1924-1963). Auteur d'essais sur le lyrisme espagnol et étranger, il est, dans la génération de 1927, le poète par excellence de la solitude et du déchirement (la Désolation de la chimère, 1956-1962).
Černý (Václav)
Critique littéraire tchèque (Prague 1905 – id. 1987).
Animateur de la revue Kritický měsíčník (Mensuel critique) de 1938 à 1942, puis de 1945 à 1948, il voit dans la critique un acte de création (les Idées fondamentales de l'art contemporain, 1929 ; Personnalité, création, combat, 1947). Interdit de publication dans son pays, il a fait paraître au Canada Pleurs de la couronne tchèque (1977).
Ceronetti (Guido)
Écrivain italien (Turin 1927).
Ses réflexions et ses aphorismes, qui sourdent de la tradition judéo-chrétienne, sont une critique farouche de la société de masse (le Silence du corps, 1979 ; une Poignée d'apparences, 1982 ; un Voyage en Italie, 1983 ; Ce n'est pas l'homme qui boit le thé, mais le thé qui boit l'homme, 1987 ; le Lorgnon mélancolique, 1988 ; la Patience du brûlé, 1990).
Cervantès (Miguel de) , en esp. Miguel de Cervantes Saavedra
Écrivain espagnol (Alcalá de Henares 1547 – Madrid 1616).
Fils d'un médecin pauvre, et soumis aux hasards de la vie errante de son père, il ne poursuivit guère d'études régulières. Il semble cependant qu'il fréquenta quelque peu les universités d'Alcalá et de Salamanque. Passionné de lecture, élève à Madrid de l'érasmien López de Hoyos, il compose, en 1568, quelques vers sur la mort d'Élisabeth de Valois. Mais ce ne sont là que de timides essais, et Cervantès cherche d'abord à parvenir par la carrière des armes.
Une vie émaillée d'aventures romanesques
En 1569, au service du cardinal Acquaviva, légat du pape auprès du roi d'Espagne, il suit son maître à Rome. En 1570, il est à nouveau soldat, à la solde des Colonna et parcourt alors l'Italie, tout en complétant son éducation littéraire par la lecture des classiques anciens et des auteurs italiens de son temps. Mais la guerre continue. Cervantès assiste à la chute de Nicosie (Chypre), attaquée par Selim II, et, le 7 octobre 1571, participe à la bataille de Lépante, où, blessé, il perd l'usage de la main gauche. Après une convalescence à Messine, il combat en 1572 à Navarin, en 1573 à Tunis, en 1574 à La Goulette. En septembre 1575, bénéficiaire d'un congé, il s'embarque pour l'Espagne. Mais, au large des Saintes-Maries-de-la-Mer, sa galère est attaquée par les Turcs. Fait prisonnier, Cervantès est emmené en captivité à Alger : il y restera cinq ans, malgré plusieurs tentatives d'évasion, et ne sera racheté qu'à la fin de 1580.
Rentré à Madrid, Cervantès essaie de vivre de sa plume, sans grand succès, se lie avec une comédienne avec qui il a une fille, va à Tolède, aux Açores, puis épouse la fille d'un propriétaire d'Esquivias (1584). Nommé commissaire aux vivres par Philippe II, lors de la préparation de l'attaque espagnole contre l'Angleterre, il effectue de nombreux séjours à Séville entre 1585 et 1589. Le désastre de l'Invincible Armada met fin à ces fonctions qui lui valent par ailleurs, en 1589, d'être accusé d'exactions : il est arrêté et excommunié. Il sera à nouveau incarcéré en 1592 à Castro del Rio – pour vente illicite de blé –, en 1597 à Séville – pour avoir déposé des fonds publics chez un banquier frauduleux –, en 1602-1603 à Valladolid, en 1605 à Valladolid encore – cette fois pour une affaire d'assassinat dont il est bientôt reconnu innocent. Entre-temps, en 1592, Cervantès avait signé un contrat pour fournir six comédies, mais son emprisonnement ne lui permet pas de le remplir. Sa nomination au recensement des impôts dans le royaume de Grenade – emploi qu'il tient à Madrid – résout pour un temps ses problèmes matériels. Il suit la cour de Philippe III, quand elle se transporte à Valladolid en 1601, quand elle revient à Madrid en 1608. Deux événements marquent cette période : l'édition, en 1585, de sa première œuvre Galatée et, en 1605, l'immense succès que rencontre Don Quichotte dès sa publication. Cette fois, il va se consacrer à la littérature, bénéficiant de puissantes protections : celles du duc de Lerma, du duc de Béjar, du duc de Lemos, de l'archevêque de Tolède. Il ne cesse dès lors de publier, jusqu'au jour de sa mort, le 23 avril 1616.
Le dramaturge et le romancier
Une vie émaillée de telles aventures devait fournir à Cervantès un large fonds où puiser pour son œuvre. Mais l'observation de la vie quotidienne et une imagination fertile sont, pour Cervantès, des sources tout aussi inépuisables. Sa Galatée (1585) est un roman pastoral dont il a commencé la rédaction à Alger et qui ne doit rien aux vicissitudes de sa vie d'esclave. Si ce livre n'eut guère de succès, il en va tout autrement de l'œuvre qui, dix ans plus tard, va asseoir sa réputation : la première partie de Don Quichotte, publiée au début de 1605, est réimprimée six fois la même année. En 1613 paraissent les douze Nouvelles exemplaires, en 1614, le Voyage au Parnasse, imité d'une œuvre italienne de Caporali, et qui n'est que le prétexte à un panorama critique de la littérature espagnole de la fin du XVIe et du début du XVIIe siècle. En 1615, les Huit Comédies et Huit Intermèdes nouveaux viennent montrer un autre aspect du génie de Cervantès. Trois d'entre elles (le Valeureux Espagnol, le Bagne d'Alger, la Grande Sultane) sont directement inspirées par les souvenirs de captivité de Cervantès. En revanche, le Rufian bienheureux est à rapprocher de la Dévotion à la Croix de Calderón et des comedias édifiantes de Tirso de Molina ; quant à Pedro de Urdemalas, c'est déjà du « théâtre dans le théâtre ». Les pièces de Cervantès sont d'inégale qualité, mais ses huit intermèdes mettent en scène des personnages pleins de vie, dans de brèves intrigues très adroitement conduites (le Juge des divorces, le Vieillard jaloux, le Retable des merveilles). Cervantès faisait grand cas de son œuvre théâtrale et, dans le prologue aux Huit Comédies, qui constitue une brève étude critique du théâtre espagnol, il indique avoir donné vingt à trente pièces toutes représentées : de cette production antérieure nous ne connaissons que deux œuvres, Numance, écrite vers 1582 et imprimée en 1784, et la Vie à Alger. Dans ce prologue, Cervantès affirme également qu'il est l'instigateur de la réduction du nombre des actes de cinq à trois, formule que Lope de Vega préconisait, en 1609, dans son Art nouveau de faire des comédies. Ce n'est qu'en 1615, un an après qu'un anonyme a fait éditer, sous le pseudonyme d'Alonso Fernandez de Avellaneda, une suite à Don Quichotte, reprise en partie en France par Lesage (1704), que Cervantès publie la seconde partie de son œuvre maîtresse. À sa mort, il laisse le manuscrit des Travaux de Persilès et Sigismonde, roman « septentrional » en quatre volumes, que sa veuve fera éditer en 1617. Lui qui avait toujours vécu comme un marginal et qui aspirait à triompher dans les genres nobles (dans la dédicace de Persilès et Sigismonde au comte de Lemos, il annonce son intention de donner une suite à sa Galatée qu'il considérait comme une de ses œuvres majeures) ne se doutait nullement qu'il avait créé un genre nouveau, le roman « moderne ».
Don Quichotte : les premiers pas vers le roman moderne. Dans ce roman, en deux parties (1605-1615), un gentilhomme campagnard passe son temps à lire des romans de chevalerie et finit par s'identifier aux héros de ses légendes favorites. Revêtu de vieilles armes, il part à l'aventure, mais il est rossé par des muletiers à qui il a voulu faire croire qu'une paysanne des environs, élue dame de ses pensées sous le nom de « Dulcinée », était la plus belle du monde. Il est ainsi ramené chez lui, où le curé, aidé du barbier, brûle solennellement ses livres. Cependant, la folie de Don Quichotte est incurable : toujours monté sur son vieux cheval Rossinante, il reprend le cours de ses exploits, accompagné de son fidèle serviteur Sancho Pança, dont le bon sens s'efforce de remédier aux désastres nés de la folle imagination de son maître. Vaincu, à la fin, en combat singulier par le bachelier Carrasco, contraint par serment de renoncer à l'aventure, Don Quichotte découvre la vanité de ses chimères et meurt, laissant à Sancho la réalité peu enviable d'une existence dépourvue d'héroïsme et de poésie.
La critique contemporaine date du Don Quichotte l'apparition du roman moderne. Cela peut étonner si l'on songe au déroulement épique de l'œuvre, même sur le mode parodique, au procédé traditionnel d'inclusion de récits dans le récit (le Curieux mal avisé et le Captif), au propos apparent et daté de l'ouvrage : la critique des romans de chevalerie n'est-elle pas monnaie courante à l'époque où écrit Cervantès, et ne se bat-il pas là, comme son héros, contre des moulins à vent ? En réalité, Cervantès met en cause toute la littérature de fiction, à travers une interrogation sur ses propres illusions et ses principes esthétiques (chapitre 47 de la première partie). Défenseur en politique d'idéaux périmés (l'Espagne de son temps n'est plus celle de la conquête du monde, mais de la bureaucratie), méprisant les littérateurs à la mode (il croit à la mission de l'écrivain), il entreprend des actions qu'il sait vouées à l'échec : Cervantès, comme Don Quichotte, ne peut s'empêcher d'accorder aux êtres et aux choses une confiance qui résiste aux moqueries et aux coups. C'est par là qu'il ouvre la quête désespérée des valeurs que le héros moderne poursuit dans un monde dégradé selon G. Lukács (la Théorie du roman). Le réel est désormais « impossible » pour le héros, inaccessible directement, sinon par l'entremise d'un médiateur qui lui désigne l'objet à désirer selon R. Girard (Mensonge romantique et vérité romanesque) et le chemin pour y parvenir (Amadis de Gaule et les rites de la chevalerie) : mais au bout de ce chemin, le réel n'est pas au rendez-vous. Don Quichotte inaugure ainsi la figure triangulaire (héros – médiateur – objet du désir) du désir médiatisé, expression de l'aliénation moderne, qui jusqu'à Dostoïevski (par le thème du double) et Proust (par le snobisme) compose la structure profonde du roman occidental.