Clarin (Leopoldo Alas, dit)
Écrivain espagnol (Zamora 1852 – Oviedo 1901).
Professeur de droit à Oviedo (la « Vetusta » de ses romans), il écrivit dans les journaux plus de deux mille articles philosophiques, politiques ou de critique littéraire, de tons et de registres très variés, témoignant d'un vif humour et d'une grande indépendance d'esprit (Solos de Clarín, 1881 ; Paliques, 1893). Traducteur de Zola, il est aussi le principal représentant du naturalisme en Espagne, par ses contes et ses nouvelles (Pipa, 1886 ; le Coq Socrate, 1901), et surtout son roman la Régente (1884-85), mettant en scène une héroïne éprise d'un idéal supérieur et en totale contradiction, telle une autre Emma Bovary, avec la collectivité de Vetusta, incarnation de la médiocrité. Clarín publiera un second et dernier roman, Son fils unique (1891), complexe et troublant.
Clarke (Arthur Charles)
Écrivain anglais (Minehead, Somerset, – 1917Colombo 2008).
Président de la British Interplanetary Society (1946-1947, 1950-1953), il se fait, dans la lignée de Jules Verne, le chantre d'une « science-fiction technologique » s'appliquant à détailler les progrès de la conquête spatiale. Dans ses meilleurs romans – les Enfants d'Icare (1950), la Cité et les Astres (1956), 2001 : Odyssée de l'espace (1968 ; le scénario du film, écrit en collaboration avec S. Kubrick, est antérieur au roman) – le développement scientifique apparaît comme « cul-de-sac de l'évolution ».
Claskin (Jules)
Poète belge de langue wallonne (Grivegnée-lez-Liège 1886 – Liège 1926).
Autodidacte attiré en 1909 par le « Cabaret wallon » de Liège, où il se signala comme chansonnier satirique, Claskin révéla peu à peu, en poésie, une modernité qui contrastait avec le lyrisme sentimental ou déclamatoire de l'époque. Peu abondante, son œuvre wallonne, recueillie longtemps après sa mort (Airs de flûte, 1956), avait eu le temps d'influencer la nouvelle école poétique qui trouvait chez ce précurseur un art de la suggestivité traduit en de courtes pièces au vers-librisme très dominé.
classicisme
L'invention du classicisme français
Les premiers dictionnaires de français donnent au XVIIe siècle comme sens initial de « classique », celui de « modèle », « qui s'offre à l'admiration et à l'imitation ». Les classiques, ce sont les auteurs grecs et latins, mais aussi saint Thomas. Dérivé du précédent, le sens second renvoie aux « auteurs que l'on étudie dans les classes ». À ce dispositif assez stable vient s'adjoindre, au XIXe siècle, un sens nouveau : on appelle classiques, par opposition aux romantiques, ceux qui prônent la perfection des Grecs et des Latins et de leurs imitateurs au XVIIe s. De là cette idée que les classiques étaient les auteurs du XVIIe siècle, et que le classicisme était leur siècle. Ce nouveau sens polémique enregistrait en fait une réalité des pratiques, puisque depuis le XVIIIe siècle un petit nombre d'auteurs français étaient à leur tour devenus des modèles enseignés dans les classes : Molière, Racine devenaient et pour longtemps des classiques.
En fait, dès le XVIIe siècle et tout au long du siècle, les polémiques furent nombreuses autour de la constitution d'un corpus d'auteurs capables de donner une idée de la grandeur de la France. Mais si l'on débat des modalités et des limites, le principe n'est jamais remis en cause : il y a une grandeur et une identité nationales et il s'agit d'en fixer les critères. Pour les romantiques, combattre les classiques équivaudra d'ailleurs à s'élever là encore contre une image que les libéraux avaient accaparée. Qui dit classique dit donc toujours emblème de la nation ; qui dit classique, dit constitution symbolique d'un corps de grands textes qui scellent l'apogée d'un moment politique et national. Car c'est au XIXe siècle que s'inventent le Moyen Âge, le classicisme et le baroque, au moment où l'Histoire et l'histoire littéraire redessinent le schéma très idéologique de la courbe des âges de la littérature et du génie national : si le Moyen Âge en est l'enfance, la Renaissance est conçue comme l'instant lumineux de la jeunesse, et le classicisme, la pleine maturité. Dès lors, on parle des grands auteurs (à côté d'ailleurs d'une grande musique) : le Grand Siècle de Louis XIV, tel que le conçut Voltaire, allait désigner, et pour longtemps, l'apogée de la culture française, l'alliance souveraine d'une royauté, d'une langue et d'une civilisation du bon goût. Du côté de cet idéal classique on trouvera la mesure, l'ordre, l'harmonie, les règles dont l'Art poétique de Boileau sera, à la fin du siècle, le manifeste ; seront rejetées toutes les formes du bizarre, de l'équivoque, du monstre, de l'extravagance dont le baroque sera le fourre-tout et dont il fera les frais. Les programmes scolaires ne feront jamais ainsi que reproduire les distinctions que le XVIIe siècle avait difficilement forgées au prix de querelles (celle des Anciens et des Modernes), de polémiques (celle sur la langue et sa codification qui oppose les tenants du XVIe siècle contre ceux du naturel et de l'usage, selon Vaugelas) et de censures (la querelle du Cid, celle de l'École des femmes et du Tartuffe essuyées par Molière, par exemple).
Ce mélange de grandeur, de perfection, de régularité ne fut sans doute jamais qu'une construction idéale et une tension dont bien des œuvres font voir qu'il n'était ni observé par tous, ni univoque. Incarné par la génération de 1660-1680 (La Fontaine, Molière, Racine, Boileau, Bossuet), le classicisme français réunit non pas les partisans d'une école groupés autour d'un manifeste, mais des écrivains unis, a posteriori, dans un faisceau sélectif de règles et de principes.
De la même manière que la théorie de la monarchie absolue et de la divinisation de l'institution royale ne trouve sa formulation explicite qu'après l'événement qui l'a rendue possible (la Fronde et son échec), la codification de l'esthétique classique dans l'Art poétique (1674) de Boileau n'apparaît qu'après les grandes œuvres qui l'illustrent : les « grandes » comédies de Molière, mort en 1673, au détriment de pièces moins conformes ; les six premiers livres des Fables, de La Fontaine ; Racine surtout, et l'éloquence d'une Église gallicane qu'incarne Bossuet. Ce classicisme est le résultat d'une série d'émondations presque militantes pratiquées par des écrivains (comme Malherbe et Guez de Balzac) qui réagissent contre le pédantisme de la Pléiade, les excès du dernier XVIe siècle, les influences espagnole et italienne, et par des théoriciens (comme Chapelain ou l'abbé d'Aubignac) qui cherchent à définir les règles du « bon » et du « mauvais » « goût », à travers des débats passionnés sur le style entre les « doctes » et la Cour. Le classicisme, en ce sens, est d'abord la victoire du français sur le latin et d'une littérature faite pour plaire aux honnêtes gens de la Cour et de la ville, contre le modèle érudit du siècle précédent où la littérature était savante, donneuse de leçons, impliquant les conceptions morales, religieuses et politiques de l'écrivain.
Mais le classicisme est aussi le fruit de l'évolution sociale et politique : derrière le souci proclamé de vérité humaine et d'analyse morale se profile le désir d'échapper aux troubles religieux et politiques qui, depuis les guerres de Religion, hantent les esprits des contemporains. Le nouveau champ littéraire naît de cette fracture que le XVIIe siècle produit entre le privé et le public, entre les particuliers et le politique. Dans cet espace clivé se constitue une littérature non zélée qui interroge à distance – grâce aux règles de la représentation – le politique et les passions privées. Car, derrière l'exigence d'élégance et de pureté de la langue et du style, transparaît l'action des salons précieux, qui ont plié une société guerrière, violente, passionnément zélée, à la politesse d'une aristocratie parisienne rassemblée autour de quelques femmes d'esprit.
Le classicisme enfin naît de l'évolution scientifique : la géométrie classique, qui reprend celle de Milet (théorie des ombres, notion de centre et de « point stable »), trouve son application en peinture, au théâtre, dans toutes les formes de représentation ; l'étiquette et les bosquets de Versailles rejoignent, dans une même conception de l'espace et de la mécanique qui s'y déploie, les pièces à machines, les règles de Vaugelas, la théologie de Bossuet, la musique de la Chapelle royale ; la physique des solides (topologie des bords et des limites), cœur de la science du temps, est un monde déjà objectif, débarrassé ou presque de sa métaphysique, offert aux curieux, à leurs collections, à leurs regards comme un miroir qui reflète et réfracte la lumière de la vérité : le « cristal » est le modèle de la physique et du style classiques.
L'histoire du mot « classique » ramène donc, inéluctablement, vers l'interrogation sur les choses : les connotations idéologiques, les débats, imposent la prudence dans un domaine où le mot désigne avant tout une catégorie d'évaluation qui a chassé pendant longtemps de l'historiographie tout un ensemble de textes justement inclassables, parce qu'ils ne se pliaient pas absolument aux critères définis. L'Art poétique de Boileau est d'abord une modélisation formelle qui implique la dévaluation de l'éphémère, de tout ce qui ne cadre pas dans les genres alors en voie de constitution. Les critères exigés le sont au nom de vérités produites comme éternelles, valables pour tous les honnêtes gens dont on codifie à la même époque les usages et les comportements. La Pratique du théâtre de d'Aubignac, la Poétique de la Mesnardière, les Trois Discours de Pierre Corneille, les examens de son théâtre complet convergent, bien sûr, mais au prix de redéfinitions, à partir d'Aristote, de remises au point, qui indiquent que les questions de vérité, de vraisemblable, de bienséances ne constituent pas, au XVIIe siècle, une doxa sûre d'elle-même, mais un laboratoire où la littérature – comme technique de représentation – se cherche des règles qui correspondent le mieux à ses destinataires. En ce sens, et comme l'a montré Alain Viala, plutôt qu'une doctrine classique ou une esthétique formelle classique, il vaut mieux parler d'une mentalité classique qui a correspondu à un certain moment aux milieux cultivés.
Ce climat global, qui définit le classicisme et qui s'exprime dans sa plus grande rigueur à travers la clôture de l'espace tragique et la règle des trois unités, explique à la fois la position excentrique d'un Corneille, d'un Descartes et d'un Pascal (vivant et écrivant dans une époque de luttes, où l'aventure personnelle a encore un sens, et fondant leur éthique et leur esthétique sur le doute et l'angoisse), et que la mise en cause du classicisme par les libertins ou les burlesques ait eu des implications politiques et religieuses. Car l'esthétique classique est tout entière normative, mise en perspective et débat sur les normes. Caractérisée par l'idée de convenance ou de propriété esthétique, qui impose une stricte adéquation de la forme et du style au sujet choisi, donc une hiérarchie des genres (primauté de l'épopée et de la tragédie), elle se fonde sur une double imitation : celle de la Nature (comprise elle-même comme un modèle de régulation), celle des Anciens (puisque la pérennité de leurs œuvres témoigne de leur aptitude à dire la vérité constante et universelle, donc la Nature et la raison). Les règles, remises au goût du jour vers 1630, ne sont pas autre chose qu'une redéfinition au nom de la raison des critères les plus propres à installer la représentation et à produire l'imitation. Les bienséances, le vraisemblable constituent le seul moyen produire une imitation raisonnable, capable de passer pour vraie, donc de plaire au public. Car s'il s'agit d'imiter, ce n'est plus au nom du principe valable à la renaissance de l'autorité, mais au nom d'un pacte de réception, de représentation qui inclut le destinataire. S'il faut imiter, c'est afin de construire sa propre identité, sur la raison et sur la nature. Les modèles du Siècle de Périclès et du Siècle d'Auguste permirent ainsi aux hommes du XVIIe siècle d'édifier l'idée de grandeur de leur littérature et de leur siècle (qui deviendra celle du Siècle de Louis le Grand) et par là, d'affirmer la grandeur de ses promoteurs, face aux modèles italiens, espagnols, mais aussi grecs et latins. La politique de mécénat de Louis XIV et de Colbert, qui s'efforce d'attirer en France les artistes de l'Europe entière, les débats de la Querelle des Anciens et des Modernes, où il est question de savoir si l'on peut dépasser les modèles existants, font voir que l'enjeu du classicisme est bien une identité culturelle qui s'affirme en s'appropriant une tradition. Immense entreprise de codification culturelle, le classicisme repère toujours sous l'œuvre un champ discursif établi, littéraire par la référence aux écrivains exemplaires, idéologique par le renvoi aux comportements et aux bienséances. Le classicisme s'installe ainsi dans une vaste grammaire dédoublée, en une relation spéculaire, qui permet bien des parcours, puisque tout territoire peut être reconnu.
La véritable rupture d'équilibre, à travers La Bruyère et Fénelon, sera contemporaine du grand bouleversement de l'astronomie (Principes mathématiques de la philosophie naturelle, 1687, de Newton) : la « pluralité des mondes » (c'est ce que retient l'idéologie de l'époque, plus que l'absolu du temps et de l'espace) ne peut plus se contenter d'un goût unique et d'une seule vérité ; l'expression littéraire sera désormais inséparable de la conscience critique.