Dictionnaire de la Littérature 2001Éd. 2001
C

Cid (Cantar de mio)
(Poème du Cid)

Premier poème castillan conservé, rapportant les dernières années de la vie de Rodrigo Díaz, dit le Cid Campeador (1043-1099), symbole de la reconquête espagnole sur les Maures et de la fidélité vassalique. Subtil mélange de tradition orale et de chanson de geste épique, cette épopée est un des chefs-d'œuvre de la littérature espagnole du Moyen Âge (1207). Plus tard, faisant suite à la Chronique [des rois] de Castille (1295-1312), dans une version manuscrite de la fin du XIVe siècle, la Chronique rimée des enfances de Rodrigue met en scène un jeune héros plus violent que le Cid du Poème. Ces deux œuvres sont à l'origine de poèmes lyriques (romances) qui, à partir du XVe siècle, prennent pour thème les aventures du Cid, formant, dans l'ensemble du romancero, un cycle appelé Romancero du Cid.

cinéroman

Genre très en vogue dans l'entre-deux-guerres, le cinéroman consiste dans l'adaptation romanesque d'un film, illustrée de ses photos. Un auteur de mélodrames, Pierre Decourcelle, crée en 1915 le premier cinéroman (ou roman-cinéma) : les Mystères de New York, adapté du film de L. Gasnier. Son texte paraît en feuilleton dans le quotidien le Matin. Cette parution précède, puis accompagne, la projection des épisodes du film dans les salles. L'auteur donne des titres racoleurs à ses chapitres : Le portrait qui tue, Sang pour Sang, le Baiser mortel... Ce succès incite les grands quotidiens à imiter le Matin, puis à publier des feuilletons originaux (Belphégor...) ou des adaptations de chefs-d'œuvre de la littérature populaire portés à l'écran (Roger-la-Honte, la Pocharde...) et oblige presque tous les éditeurs à créer des collections. Gallimard lance son luxueux Cinéma romanesque auquel collaborent des célébrités. La prestigieuse revue l'Illustration a sa collection dont les photos, déjà en héliogravure, sont excellentes. La plupart des publications sont plus modestes et pauvrement illustrées : leur format moyen n'excède pas 18 × 27 cm pour 16 pages vendues à prix modique.

   Né du cinéma, le cinéroman a largement contribué à l'essor du 7e art. Tourné à partir d'un texte de Pierre Decourcelle, Gigolette sort dans six cents salles et l'Empereur des pauvres vaudra à F. Champsaur le titre flatteur de « nouveau Zola ». Des critiques saluent un genre qui a su exprimer « le fantastique du réel » ou « la poésie de la quotidienneté », quand d'autres lui reprochent son sentimentalisme exacerbé (le cinéroman est d'ailleurs à l'origine du roman-photo), son populisme, ses objectifs trop commerciaux, et n'y voient qu'une frénésie éditoriale sans aucun chef-d'œuvre : plus de 10 000 titres publiés durant l'entre-deux-guerres. L'Occupation entraîne le déclin du cinéroman. Le dernier roman-cinéma à succès pourrait bien être le Troisième Homme (1951), d'après l'œuvre de Graham Greene et le film de Carol Reed.

cinghalaise (littérature)

La langue cinghalaise, d'origine indo-aryenne avec prédominance de l'influence sanskrite et prakrite due à l'introduction du bouddhisme, se parle uniquement au Sri Lanka. Les plus anciens textes cinghalais remontent au IIe s., parmi lesquels un livre de contes bouddhiques en pali, le Dhammapadathakatha. On possède actuellement trois poèmes avec les figures rhétoriques du kavya du début du XIIIe s. À partir de la deuxième moitié du XIIIe s., un nouveau type de poésie sous forme de quatrains rimés se développe, en opposition avec le type ancien appelé gi et fondé sur des mètres non rimés ; il subsiste encore aujourd'hui. Les textes poétiques anciens font l'objet à la même époque de commentaires ou sanne. Le XVe s. voit la dernière efflorescence de la littérature avant les invasions successives des Portugais, des Hollandais et des Anglais : les « poèmes de message », sandesa, fondés sur le style du Meghadutam de Kalidasa. Entre 1600 et 1800, la littérature cinghalaise survit dans l'arrière-pays montagneux du royaume de Kandy.

   Au XIXe s., une abondante littérature de missionnaires voit le jour, puis les lettres cinghalaises suivent, avec un certain retard, l'évolution des littératures de l'Inde : John de Silva (1857-1922) imite le théâtre occidental, comme Piyadasa Sirisena (1875-1946) le roman européen. Les jeunes poètes de l'école de Colombo usent du parler quotidien. L'urbanisation et la montée d'une classe moyenne sont les thèmes favoris de Martin Wickramasinghe (Gamperaliya, 1944), E. R. Sarathchandra et G. B. Senanayake. Avec l'école Peradeniya apparaît une nouvelle forme poétique (nisandäs). Si Gunadasa Amarasekara reste dans le cadre de la tradition, Siri Gunasinghe révolutionne aussi bien le lyrisme (Alinikmana, 1958) que le roman (Hevanalla, 1960). Sous l'action conjuguée du cinéma et de la politique culturelle, une tendance réaliste se manifeste dans les récits d'A. V. Surawira, D. S. Ranawake, M. Ratnayaka (Aluta Gena Manamali, 1973) et dans la poésie de Roland Abaypale, Parakrama Kodituwakku, Gunasena Witana.

Cingria (Charles Albert)

Écrivain suisse de langue française (Genève 1883 – id. 1954).

Issu d'une famille levantine installée à Genève, frère du peintre Alexandre Cingria (1879-1945), il parcourt l'Europe pour mener, après la guerre de 1914-1918 (et la perte de la fortune familiale), une existence modeste et vagabonde entre la Suisse et la France, découvertes le plus souvent à bicyclette. Cachant une immense culture sous des dehors modestes, il publie divers essais sur le Moyen Âge (la Civilisation de St-Gall, 1929 ; la Reine Berthe, 1947) et collabore à de nombreuses revues (la Voile latine, les Cahiers vaudois, la Nouvelle Revue française, etc.) qui lui permettent de faire éclater son tempérament de chroniqueur, de poète, de chantre de la vie : « J'aime la cendre, la petite écriture, non la grenade qui s'ouvre le ventre. »

Cioran (Émile Michel)

Philosophe et moraliste roumain d'expression française (Rasinari 1911 – Paris 1995).

Après une thèse sur Bergson soutenue à Bucarest (1936), il se rend en France comme boursier et y résidera jusqu'à sa mort, choisissant le statut d'apatride. Un premier texte écrit en français, Précis de décomposition (1949), marque l'usage d'une langue d'adoption (« aux antipodes de ma nature, de mes débordements, de mon moi véritable »), comme moyen de contenir l'expression de l'affectivité et la propension à l'exagération qu'il stigmatise par ailleurs dans tous les comportements humains. Le même style sobre, inspiré des prosateurs du XVIIIe siècle, accueillant aphorismes, syllogismes et paradoxes, caractérise les essais suivants (Syllogismes de l'amertume, 1952 ; la Tentation d'exister, 1956 ; la Chute dans le temps, 1965 ; De l'inconvénient d'être né, 1973), entreprise méthodique de démythification des illusions des idéologies, de l'Histoire et de la foi religieuse. Convaincu de la misère fondamentale de l'homme et de la dérision de ses ambitions, il cultive l'ascétisme dans sa pensée comme dans son existence. Mais nihilisme et pessimisme radical, chez cet « esthète du désespoir », « courtisan du vide », ne vont pas sans une certaine autodérision, n'interdisent pas des Exercices d'admiration (1986) sur ses auteurs de prédilection, et cèdent peu à peu la place à une forme d'indifférence supérieure ou de doute raisonnable, finalement salutaire (Aveux et Anathèmes, 1987).