Pologne (suite)
Renaissance et baroque
La Renaissance polonaise commence approximativement en 1475, date à laquelle le latin du siècle d'Or (Ier siècle av. J.-C.) est seul à légitimer une œuvre littéraire. La jeunesse polonaise part faire ses humanités en Italie après un premier cursus à l'université de Cracovie ou de Królewiec. Si Mikołaj Rej (1505-1569) est cité comme celui qui revendique le premier une littérature de langue polonaise, Jan Kochanowski (1530-1584) est non seulement un immense poète de langue latine, mais aussi celui qui crée la poésie polonaise et codifie sa versification avec les Chants qu'il écrit toute sa vie, les Thrènes (1580) conçus à la mort de sa fille. La littérature polonaise confirme son unité culturelle avec l'Europe occidentale et méditerranéenne tandis que le Royaume de Pologne, à l'apogée de sa puissance économique, connaît, grâce à la tolérance religieuse de ses monarques, un afflux d'intellectuels et d'artistes de toutes confessions persécutés chez eux. Une littérature politique se développe avec Andrzej Frycz Modrzewski (1503-1572), qui réfléchit aux réformes utiles à la République nobiliaire dans son De Republica emendada, ou le jésuite Piotr Skarga (1536-1612), dont les Sermons à la Diète (1597) constituent un authentique traité de politique dans lequel il dénonce les « maladies polonaises » que sont chez les députés l'avidité, les désaccords, le manque de foi, la volonté d'affaiblir le pouvoir royal, les manipulations juridiques. Mikołaj Sęp Szarzyński (1550-1581), dont l'œuvre poétique, Rythmes ou vers polonais (1601), subit la marque du luthérianisme, se situe dans l'intervalle entre la Renaissance et le Baroque. Là où pour un Kochanowski l'univers était le don merveilleux et parfait d'un deus artifex, chez Sep Szarzynski il est le lieu d'un combat dont l'enjeu est le salut de l'âme. Jan Andrzej Morsztyn (1621-1693) ouvre la littérature du Baroque après avoir été le traducteur du Cid (1660). Son Luth, terminé l'année suivante, est un recueil poétique de plus de 200 textes (sonnets, poèmes amoureux ou de circonstance, bagatelles) qui témoigne d'une grande maîtrise de l'art poétique associée à une ardente imagination baroque. Jan Chryzostom Pasek (1636-1701) nous lègue de truculents Mémoires à la langue à peine transposée d'une narration orale, saturée de macaronismes et relatant ses exploits supposés au service de la République des deux Nations entre 1656 et 1688. Il est le représentant typique de la noblesse polonaise du XVIIe s. qui s'était inventé une généalogie remontant à un peuple oriental, les Sarmates. Au XIXe s., Sienkiewicz s'inspirera de Pasek dans ses romans historiques, notamment dans les dialogues prêtés à l'un des principaux personnages de sa Trilogie, Zagłoba. Le baroque sarmate de Wacław Potocki (1621-1696) est plus austère sur le fond (les Aigles sarmates ne volent plus aussi haut que jadis), mais pas dans la forme : le titre de son poème épique la Guerre de Chocim (1670) ne comporte pas moins de 87 mots ! Les Lettres à Marysieńka (1665-1683), écrites par le roi Jean III Sobieski à son épouse Marie de la Grange d'Arquien, constituent un document digne d'intérêt sur les relations amoureuses dans l'ancienne Pologne.
Un renouveau
Le XVIIIe s. est à la fois celui du déclin de l'État polonais jusqu'à sa disparition et d'un renouveau de la littérature polonaise, ferment dont se nourrira une nation rebelle, jusqu'au jour de sa renaissance étatique. Ignacy Krasicki (1735-1801) publie en 1774 l'Hymne à l'amour de la patrie, un chef-d'œuvre de la poésie des Lumières. Il est surtout connu pour ses poèmes héroï-comiques, ses contes et ses satires. Stanisław Trembecki (1739-1812), le poète de la cour du roi Stanislas Auguste Poniatowski, est le plus raffiné des auteurs des Lumières polonaises dont il domine tous les styles. Franciszek Karpiński (1741-1825) est le plus populaire des poètes de son époque, « poète au tendre cœur », auteur de Laura et Filon d'un sentimentalisme parfait. Le désastre national (paralysie du système politique par l'intervention de la Russie et de la Saxe) entraîne une multiplication d'écrits politiques dont certains ont joué un rôle considérable dans l'évolution de la conscience citoyenne : Stanisław Konarski (1700-1773), De la manière efficace de délibérer (1760-1763) ; Hugo Kołłątaj (1750-1812), l'Ordre physique et moral (1810) ; Stanisław Staszic, Avertissements à la Pologne (1790) ; la Voix libre, garantie de liberté (1743), longtemps attribué à Stanisław Leszczyński (1677-1766), roi de Pologne et beau-père de louis XV, est un traité politique majeur rédigé par Mateusz Białłozor. Le Manuscrit trouvé à Saragosse (1803-1815) est l'œuvre écrite en français par Jan Potocki, 1761-1815, un noble polonais, député à la Grande Diète. Il fut de ceux qui votèrent la Constitution du 3 mai 1791, dont Catherine II de Russie prit prétexte pour envahir la Pologne, prétendant que es Jacobins étaient à ses portes !
Du romantisme à la Jeune Pologne
La littérature polonaise du XIXe s. est celle d'un pays occupé par trois puissances étrangères (la Prusse, la Russie et l'Empire Austro-Hongrois), dont la population lutte par tous les moyens pour retrouver son indépendance. Le romantisme polonais commence en 1822 avec la parution des Ballades et Romances de Adam Mickiewicz. Adam Mickiewicz (1798-1855) est avec Juliusz Słowacki (1809-1849) et Zygmunt Krasiński (1812-1859) le plus grand poète prophète de la nation polonaise. Si le romantisme polonais possède toutes les caractéristiques du courant romantique européen, il en diffère pourtant par l'amour contrarié porté à la patrie opprimée qui devient l'un des thèmes dominants. Mickiewicz dans les Aïeux (1823,1832), Konrad Wallenrod (1828), les Livres de la Nation polonaise et du pèlerinage polonais (1832), Słowacki dans Kordian (1834), le Voyage de Naples en Terre sainte (1836), Balladyna (1839), Lilla Weneda (1840), le Roi Esprit (1845), Krasiński dans l'Aube (1841-1843), Irydion (1832-1833), la Comédie non divine (1833), les Psaumes de l'avenir (1845-1846), témoignent de leurs souffrances comme de celles de leur nation, non sans chercher à faire naître l'espoir d'un avenir plus clément, celui de la résurrection de leur pays. En contrepoint à ces vers messianiques, ils se livrent à des longues évocations du bonheur perdu dont la plus célèbre est le Messire Thaddée (1834) de Mickiewicz, long poème où il fait revivre sa Lituanie natale au dernier moment d'espoir, celui du passage de l'armée napoléonienne marchant sur Moscou. Le quatrième grand romantique est Cyprian K. Norwid (1821-1883), incompris de son époque, il laisse une œuvre plus tournée vers l'avenir pour le fond comme pour la forme. Comme il le prédisait dans son poème Qu'as tu fais à Athènes, Socrates (1856), lui aussi sera redécouvert et hautement apprécié par les générations futures, celles du XXe s. Une autre caractéristique des romantiques polonais est qu'ils n'ont pratiquement pas vécu en Pologne, mais en France. Leurs pièces de théâtre, dont certaines étaient très appréciées en lecture par leurs compatriotes, n'ont jamais été montées de leur vivant. Les romantiques qui s'exilent après l'échec de l'insurrection de 1830, se voient contestés jusque dans leur écriture après l'insurrection de 1863 écrasée dans le sang. La jeune génération des Positivistes leur reproche d'avoir entraîné les Polonais à des soulèvements catastrophiques avec leurs vers. Eliza Orzeszkowa (1841-1910), Maria Konopnicka (1842-1910), Bolesław Prus (1847-1912) ou Henryk Sienkiewicz (1846-1916) se proposent de renforcer « l'organisme social » par un « travail à la base », par l'éducation, la sensibilisation aux problèmes de la société, l'unification de toutes les couches de celle-ci (de l'aristocratie à la paysannerie) et de toutes ses composantes (les femmes, les enfants, les juifs, etc.). Le roman est leur genre littéraire préféré, ils y atteignent une grande perfection avec des livres comme Sur le bord du Niemmen de E. Orzeszkowa, la Poupée de B. Prus ou les romans historiques de H. Sienkiewicz, dont Quo vadis (1895-1896) qui vaut à la littérature d'un pays qui n'existe pas son premier prix Nobel (1905). Les nouvelles, souvent publiées d'abord dans la presse, ne manquent pas de jouer le rôle de sensibilisation aux drames sociaux qui leur est imparti (le Gilet, 1882 ; l'Orgue de Barbarie, 1880 de B. Prus). À leur tour, les Positivistes se voient critiqués par les écrivains de la Jeune Pologne (1895-1914) qui souhaitent une littérature sans fin utilitaire. L'Artiste est au-dessus de la vie, au-dessus du monde, il est le Seigneur des seigneurs, proclame leur théoricien Stanisław Przybyszewski (1868-1927) dans son Confiteor (1899) comme dans la Vie de Cracovie (1897-1900) dont il est le rédacteur en chef pendant trois ans. Zenon Przesmycki (pseud. Myriam) (1861-1944) jouit d'une grande influence, notamment par les revues du mouvement qu'il dirige (la Vie publiée à Varsovie, 1887-1891 ; Chimera, Varsovie, 1901-1907, la plus belle revue de toute l'histoire de la presse polonaise avec les illustrations des artistes de la Jeune Pologne), mais aussi par ses traductions dont celle du Bâteau ivre est un événement littéraire en 1892. Si les premières œuvres de la Jeune Pologne témoignent d'un révolte anarchique où la quête du sens de la vie et de la mort domine (Rien n'est sûr excepté l'horreur et la douleur. Il n'y a qu'une poussière d'âmes ballottées par le destin qui s'écrasent les unes contre les autres au-dessus de abîmes , A. Górski), celles qui résistent au temps sont de la plume du grand romancier Stefan Żeromski (1864-1925), auteur des Travaux de Sisyphe (1897) et surtout des Cendres (1904), du romancier Władysław Reymont (1867-1925) connu pour ses Paysans (1904-1909), de Wacław Berent (1873-1940) à la prose expressionniste. Ce sont aussi les écrits des poètes tels Kazimierz Przerwa Tetmajer (1865-1940), Antoni Lange (1863-1929), Wacław Rolicz-Lieder (1866-1912) ou Jan Kasprowicz (1860-1926), dont les Hymnes sont un « appel au Dieu inaccessible entre les étoiles » et dont la plaquette le Cheval héroïque et la maison qui s'effondre dénonce les névroses de la culture bourgeoise et annonce par son impressionnisme la poésie de XXe s. Bolesław Leśmian (1877-1937), poète et dramaturge, oppose la langue du quotidien à celle de la « parole libérée » du poète qui sonde le mystère de l'existence. Le théâtre de la Jeune Pologne s'illustre surtout par la Noce (1901) de Stanisław Wyspiański (1869-1907), mais son répertoire témoigne d'une richesse certaine avec les pièces de Wyspiański (la Varsovienne, 1898 ; la Libération, 1903 ; la Nuit de novembre, 1908), de Gabriela Zapolska (1857-1921) (la Moralité de Madame Dulska, 1906), de S. Przybyszewski (Neige, 1903) ; de Tadeusz Miciński (1873-1918), Dans les Ténèbres du palais d'or (1909).
Deux auteurs échappent aux classifications du XIXe s. Józef Ignacy Kraszewski (1812-1887) écrit plus de 500 volumes, des romans historiques où il s'efforce de respecter l'authenticité des faits (la Vieille Légende, 1876 ; l'Époque des rois Sigismond, 1846-1847 ; Brühl, 1875) et toujours très populaires auprès des lecteurs polonais. Aleksander Fredro (1793-1876) est l'auteur de comédies à grand succès (Monsieur Geldhab, 1822 ; les Dames et les Hussards, 1825 ; Monsieur Jowialski, 1832 ; les Serments de demoiselles, 1833 ; Un grand homme pour de petites affaires, 1866-1867).