Dictionnaire de la Littérature 2001Éd. 2001
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Toland (John)

Théologien et philosophe irlandais (Inishoven, près de Londonderry, 1670 – Putney 1722).

Élevé dans la religion catholique, converti à 16 ans au protestantisme, il publia en 1696 un traité de philosophie déiste (le Christianisme sans mystère) qui fit scandale et l'obligea à prendre la fuite. Parti au Hanovre et devenu le protégé de l'électrice Sophie, il lui adressa ses Lettres à Serena (1704) et multiplia les pamphlets dirigés contre le christianisme ou prônant une religion œcuménique qui unirait les charmes du paganisme et les versions juive et chrétienne du monothéisme. Son influence sur le mouvement des Lumières est considérable, notamment sur Diderot.

Tolentino de Almeida (Nicolau)

Poète portugais (Lisbonne 1740 – id. 1811).

Étudiant à Coimbra, il enseigna la poétique et la rhétorique sous le régime de Pombal et occupa des postes liés au pouvoir officiel. Poète de l'illuminisme portugais, il composa des sonnets, des odes, un poème héroï-comique (le Billard, 1779) et des satires, genre dans lequel il excellait. Avec une ironie lucide et dans un style dépouillé, il décrit la mesquinerie et la médiocrité de la petite-bourgeoisie dont il était issu. Son sens du pittoresque et l'exactitude de ton et de la description lui donnent une place à part dans la littérature portugaise du XVIIIe siècle (Œuvres poétiques, 1801 ; Œuvres posthumes, 1828).

Tolkien (John Ronald Reuel)

Écrivain anglais (Bloemfontein, Afrique du Sud, 1892 – Bournemouth 1973).

Spécialiste de littérature médiévale à Oxford, il participe à la renaissance de l'allégorie avec un récit écrit pour ses enfants, Bilbo le Hobbit (1937), et une trilogie épique, le Seigneur des anneaux (la Communauté de l'anneau, 1954 ; les Deux Tours, 1955 ; le Retour du roi, 1956). Lointainement inspirés par les Chansons des Nibelungen, les sagas scandinaves et les légendes celtiques, ces récits rencontrent un succès planétaire.

Tollens (Hendrik)

Écrivain hollandais (Rotterdam 1780 – Ryswick 1856).

Ayant débuté avec des vers sentimentaux (Chansons d'amour et Idylles, 1800-1805), il publia des chants patriotiques et devint, sous le règne de Guillaume Ier, le chantre de la patrie et du bonheur domestique (Poésies, 1808-1828). Son poème « Wien Neêrlandsch bloed » (1817), qui rend grâce à Dieu d'avoir libéré la Hollande des occupants français, a longtemps été – mis en musique par J. W. Willms – l'hymne national des Pays-Bas.

Toller (Ernst)

Écrivain allemand (Szamocin 1893 – New York 1939).

Pacifiste, membre de la République des Conseils en 1919, il célèbre dans ses drames expressionnistes la « révolution de l'amour », dont les idéaux résistent difficilement à l'épreuve des faits : l'Homme-masse (1921), Hinkemann (1924) ou Hop là, nous vivons ! (1927), montrent l'échec de l'idéal. En exil, Toller publie Une jeunesse en Allemagne (1935), où il décrit ses années de prison (1919-1924) et son activité révolutionnaire, puis un drame de la résistance au nazisme (Pastor Hall, 1939), dont il avait pressenti l'avènement dans Wotan déchaîné (1923). Il se suicide à New York.

Tolstoï (Alekseï Konstantinovitch, comte)

Écrivain russe (Saint-Pétersbourg 1817 – domaine de Krasnyi Rog, région de Briansk, 1875).

Cousin éloigné de Léon Tolstoï, il vécut son enfance en Ukraine, puis fut admis parmi les compagnons du tsarévitch, le futur Alexandre II. Un des rares représentants de « l'art pour l'art » en Russie, il resta toujours un poète soucieux de la forme dans une époque de littérature utilitariste. Inspiré par les bylines et les ballades populaires, il est aussi un satiriste de talent qui, dissimulé sous le visage de Kozma Proutkov, poète employé au ministère des Finances, règle ses comptes avec le monde littéraire. C'est surtout par ses drames qu'il est connu : la Mort d'Ivan le Terrible (1866), le Tsar Fiodor Ivanovitch (1868), le Tsar Boris (1870) constituent une trilogie centrée sur le personnage de Boris Godounov et se déroulant sur la période troublée qui s'étend de 1530 à 1613. L'auteur y brosse des portraits vivants, d'une psychologie fine, qui s'inscrivent sur une fresque très exacte.

Tolstoï (Alekseï Nikolaïevitch)

Écrivain russe (Nikolaïevsk 1883 – Moscou 1945).

De famille noble, il révèle ses dons de conteur dans ses Contes de la pie (1910), puis dans des récits (le Maître boiteux, 1912) évoquant le déclin de la noblesse. Il revient, après la Révolution et le temps de l'émigration (1918), sur ses souvenirs dans l'Enfance de Nikita (1922) et exprime son désarroi dans les Sœurs (1922-1925). Ce roman, consacré aux années pré-révolutionnaires, montre une société en décomposition, adonnée au mal-être et privée de toute énergie. Rentré en Russie, il lui donna une suite dans ce qui devint une trilogie (le Chemin des tourments : l'An 18, 1928 ; Morne Matin, 1841) retraçant l'itinéraire sinueux d'un groupe d'intellectuels, d'abord hostiles à la Révolution puis y adhérant. Lui-même devint rapidement un proche de Staline. Son Pierre Ier (1929-1945), écrit dans le goût du réalisme monumental, manque de profondeur et de vérité, mais présente des qualités stylistiques incontestables ; il est en cela à l'image de toute son œuvre.

Tolstoï (Lev [en français Léon] Nikolaïevitch, comte)

Écrivain russe (Iasnaïa Poliana, gouvern. de Toula, 1828 – Astapovo, gouvern. de Riazan, 1910).

La vie de Tolstoï se résume à une inlassable quête spirituelle. Si l'œuvre littéraire a éclipsé les prédications du penseur, pour autant l'écriture n'eut rien pour lui d'une évidence : la plume fut le scalpel à l'aide duquel il explora les raffinements de la psychologie, la sienne d'abord, celle des autres aussi, traquant la vérité sous les masques, « l'homme naturel » sous les déguisements de la vanité. « Affreux métier », qui « pourrit l'âme », dira-t-il. Malgré tout, même dans les ultimes reniements, écrire reste la tentation suprême : l'art, irrévocablement réprouvé dans la Sonate à Kreutzer, ressurgit, presque contre la volonté de l'écrivain, dans Hadji Mourat. Car faire la biographie de Tolstoï, c'est raconter le combat sans merci d'un homme contre lui-même : la lutte contre les tares de la société, le « tolstoïsme », n'en est que le prolongement.

Enfance et jeunesse (1828-1851)

Le point d'ancrage est une terre, celle de l'enfance, la propriété familiale de Iasnaïa Poliana. Le reste est rupture, arrachement, dès les premières années : orphelin de mère à l'âge de 2 ans, Tolstoï perd son père à 9 ans, puis la tante qui avait pris sur elle l'éducation des cinq enfants (les quatre frères et une sœur) : il n'a pas connu le bonheur familial dont la nostalgie imprègne son œuvre. À 16 ans, il entre à l'Université de Kazan, envisage une carrière de diplomate. Peut-être est-ce la lecture assidue de Rousseau, son écrivain préféré, qui le pousse à arrêter ses études pour s'occuper seul de son perfectionnement intellectuel et gérer le domaine qui lui est échu en héritage, pour le bien de ses paysans. Tolstoï, déjà, cherche à se donner une règle de vie conforme à ses aspirations morales. La rédaction d'un journal intime (d'où sortira une de ses premières compositions, Histoire de la journée d'hier, 1851) lui permet de surveiller son évolution spirituelle. Il le tiendra toute sa vie ; c'est la source essentielle de son inspiration, une école d'écriture, où il apprend à analyser les mouvements les plus subtils de l'âme. Mais le rêve d'une vie de sagesse, les projets généreux tournent court : Tolstoï se cherche, il ne sait pas résister aux plaisirs de son âge et de sa condition, qu'il goûte à Moscou et à Saint-Pétersbourg. Cette existence creuse et oisive le dégoûte pourtant ; le jeu le laisse criblé de dettes. Il décide alors de rejoindre son frère Nicolas, officier de l'armée du Caucase.

Le Caucase et la guerre de Crimée (1851-1855)

D'abord volontaire, il demande à être incorporé dans l'armée régulière, devient rapidement officier, et participe à toutes les opérations. Cette existence lui paraît propre à corriger son principal défaut, la vanité, qu'il traque dans ses moindres manifestations, révélant déjà une constante de son œuvre et de sa pensée, l'obsession de l'authenticité.

Enfance (1852). La régularité de la vie militaire a permis à Tolstoï de mener à bien ses projets d'écriture. En 1852, il a envoyé un récit à Nekrassov, qui s'enthousiasme pour le jeune écrivain et le publie dans le Contemporain. Enfance s'inscrit dans un projet tétralogique, Quatre Étapes du développement, au sein duquel seuls Adolescence (1854) et Jeunesse (1855-1856) verront le jour. Nikolka Irteniev, le héros, est pourvu de nombreux traits autobiographiques : ce premier livre est motivé par le besoin de porter un regard rétrospectif sur le chemin parcouru. Nikolka est habité, comme Tolstoï, par une exigence de vérité ; il traque le mensonge, chez lui comme chez les autres ; doté d'une intelligence et d'une imagination hors du commun, il scrute ses pensées, ses actes, ses sensations. Mais, lorsqu'il quitte la protection de la propriété familiale, sa soif de pureté se heurte aux réalités du « monde », et la vanité, l'hypocrisie, l'indifférence à autrui, caractéristiques du milieu dans lequel il évolue, ont raison de ses nobles aspirations. La critique contemporaine admira dans Enfance le talent de Tolstoï à montrer « la dialectique de l'âme » et « l'immédiate pureté du sentiment moral ». Ce premier récit procure au jeune écrivain un succès d'estime, mais les nouvelles inspirées par la défense de Sébastopol assiégée, où il demande à être envoyé « pour voir la guerre de près », vont lui apporter la gloire, tout en donnant un sens nouveau, plus universel, à la problématique de l'authenticité.

Les Récits de Sébastopol (1855). « Sébastopol en décembre », « Sébastopol en mai » et « Sébastopol en août 1855 » sont conçus par leur auteur comme des reportages, qui dévoilent, derrière l'imagerie patriotique, la réalité du front : manque d'armes, mauvais ravitaillement, stupidité de la discipline, impréparation des troupes. En même temps, la guerre constitue un révélateur humain. Si le premier de ces récits-vérité s'attache avant tout à décrire avec exactitude un épisode du siège de Sébastopol et à rendre hommage à l'héroïsme des hommes, les deux suivants opposent le courage véritable, souvent le fait de simples soldats qui n'en ont pas conscience, au panache de façade des officiers.