La Beaumelle (Laurent Angliviel de)
Écrivain français (Valleraugue, Gard, 1726 – Paris 1773).
Né d'un père protestant, il abjura le catholicisme à Genève, puis enseigna à Copenhague. Réfugié à Berlin après le succès de Mes pensées ou Qu'en dira-t-on ? (1751), il fut chassé par Frédéric II, se brouilla avec Voltaire, qui n'apprécia ni ses Notes sur « le Siècle de Louis XIV » (1753) ni la Réponse au supplément du « Siècle de Louis XIV » (1754). Exilé dans le Midi, il défendit les Calas (la Calomnie confondue, 1762), et devint bibliothécaire du roi en 1771.
La Boétie (Étienne de)
Écrivain français (Sarlat 1530 – Germignan 1563).
Mort prématurément avant ses 33 ans, il doit l'essentiel de sa célébrité à Montaigne, qui publiera leur amitié et se fera le promoteur de sa reconnaissance posthume. Toutefois, La Boétie a vécu, pensé, écrit avant qu'ait lieu la rencontre légendaire. En l'absence du manuscrit original, la date de rédaction du Contr'un, dit aussi Discours de la servitude volontaire, le plus célèbre traité « républicain » (au sens antique du terme) ou encore « monarchomaque », reste incertaine : si Montaigne attribue cette entreprise à un jeune homme de 18 ans – et même de 16 dans une correction portée sur l'Exemplaire de Bordeaux –, on hésite encore à faire de cet ouvrage une réaction aux événements de 1548 (l'impitoyable répression par Montmorency de la révolte de la gabelle qui avait éclaté à Bordeaux), ou un traité écrit lors de ses études de droit en 1552-1553 à Orléans – important foyer protestant – sous l'influence d'Anne Du Bourg, ou même – hypothèse moins vraisemblable – en 1561, lors de son exercice parlementaire et à la faveur d'une baisse de pouvoir de la monarchie. Le Contr'un, partant d'un étonnement face à l'asservissement volontaire du peuple à un tyran – aliénation d'une liberté fondée en droit de nature –, dénonce tout régime politique qui contesterait cette liberté et appelle à la désobéissance civile. Toute l'ambiguïté du traité repose sur l'extension de la conception du « tyran » : le roi ne semble pas en être exclu, même si La Boétie s'en prend avant tout aux « mauvais princes ». L'annexion du texte par les monarchomaques est rendue possible par cette indécision, ou plutôt par la généralité du propos de La Boétie dont l'objet est peut-être plus philosophique que circonstanciel.
La Boétie écrivit aussi des poèmes que Montaigne juge des plus réussis : l'érotisme, dit-il, n'y souffre pas encore de « je ne sais quelle froideur maritale » – c'est en 1555 que leur auteur devait se marier. Sans doute remontent-ils au séjour orléanais de l'auteur. La plupart sont des sonnets et témoignent d'une prédilection pour une veine pétrarquiste que la Pléiade avait mise à la mode (La Boétie a été l'ami de J.-A. de Baïf, qui lui adresse un sonnet en 1555 et devait, lors d'un séjour à Paris, en 1560, rencontrer Dorat et peut-être Ronsard).
Pour ce qui est du Mémoire sur la pacification des troubles (1561), son attribution à La Boétie est aujourd'hui fortement contestée, même si c'est l'œuvre d'un magistrat du sud-ouest de la France, fort attaché à la liberté de conscience.
Quoi qu'il en soit, l'amitié qui lie La Boétie à l'auteur des Essais est primordiale pour notre accès à son œuvre : Montaigne, son cadet de trois ans, le rencontre donc en 1557 quand il entre au parlement de Bordeaux, où il devient son collègue. Leur amitié s'étendra sur six ans : l'auteur des Essais la déplorera près de trente. Tout commence avec la mort ; le premier écrit connu de Montaigne consiste en une lettre où il retrace à l'intention de son père les derniers moments de son ami. Cette lettre figure, sept ans après l'événement, en tête du premier volume des écrits de La Boétie que Montaigne publie en 1570 (il rassemble des traductions d'opuscules de Xénophon et de Plutarque avec des vers latins). Un second volume, des vers français, paraît en 1571. C'est l'année où Montaigne prend sa retraite. On sait que le projet initial des Essais se proposait de défendre et d'illustrer le Contr'un, « essai (...) à l'honneur de la liberté contre les tyrans » : le chapitre « De l'amitié », en réfléchissant aux liens qui unissent les hommes entre eux, devait servir de préambule à ce discours, placé au centre exact, « plus bel endroit et milieu » du premier livre des Essais dès lors destiné à encadrer cette très précieuse peinture de la vie sociale et politique. Des considérations politiques conduiront Montaigne à y renoncer : le texte, après avoir circulé manuscrit pendant vingt-cinq ans dans le milieu de la magistrature gallicane, avait fini par être détourné par le parti protestant, certainement grâce à l'ouverture de la bibliothèque de Henri de Mesmes qui comportait un manuscrit de l'œuvre (en 1574, dans le Réveille-matin des Français ; en 1576, dans les Mémoires des états de France sous Charles IX). Il le remplacera donc par 29 sonnets pétrarquisants qui, lorsque les Essais paraîtront en 1580, deviendront le chapitre central du premier Livre, avant d'être supprimés après 1588. On a pu remarquer pourtant qu'une hantise identique se trouvait au centre de ces deux textes ; mais aussi que l'attitude de l'auteur à son endroit changeait du tout au tout quand il quitte le pamphlet pour la poésie amoureuse. Le Contr'un, dirait-on, est devenu le « Pour une » : « C'est fait, mon cœur, quittons la liberté » (III) ; « Sans cesse, nuit et jour, à la servir je pense » (XXIII). Ces sonnets composent, en effet, un éloge de la servitude amoureuse volontaire.
La Bruyère (Jean de)
Écrivain français (Paris 1645 – Versailles 1696).
Issu d'une famille bourgeoise de vieille souche parisienne, il fit des études de droit et acheta, en 1673, une charge de trésorier à Caen : mais, hormis un bref voyage pour aller prendre possession de son emploi, il vécut constamment à Paris, dans une oisiveté qu'occupaient de vastes lectures. En 1684, il devint précepteur du petit-fils du Grand Condé. En 1688, il publia, sous l'anonymat, ses Caractères : tardive entrée en littérature, mais succès immédiat, entraînant 9 rééditions augmentées et remaniées, qui parurent jusqu'en 1696. En 1693, il fut élu à l'Académie, où il prit position, par son Discours de réception, pour les « Anciens » dans la querelle qui les opposaient aux « Modernes ». Il entreprit ensuite des Dialogues sur le quiétisme, favorables à Bossuet, dans la polémique qui sévissait alors entre ce dernier et Fénelon ; mais il mourut sans les avoir achevés.
Une somme satirique : les Caractères
La première édition, parue en 1688 sous le titre les Caractères de Théophraste, traduits du grec, avec les caractères ou les mœurs de ce siècle, se présentait comme un ensemble de remarques en marge du moraliste grec, après une traduction qui était elle-même une « belle infidèle ». Se donner seulement pour l'imitateur d'un auteur antique était alors monnaie courante, surtout dans le groupe des « Anciens ». Il y a là un choix d'ordre esthétique, plus qu'un signe de modestie personnelle. Le sujet de l'ouvrage est d'offrir aux contemporains un portrait d'eux-mêmes sous l'analogie d'un tableau de certains types sociaux (« Du grand parleur », « De l'impudent ») ou de traits de mœurs (« De l'épargne sordide », « De la superstition »). Le livre prend la forme d'un ensemble de « fragments », agencés en chapitres autour de quelques thèmes majeurs. Ces fragments sont de trois ordres : des maximes, des réflexions un peu plus étoffées, enfin des portraits plus détaillés. À travers cette forme discontinue se révèle l'influence des moralistes modernes, qui se placent dans la lignée de Montaigne, de Pascal et de La Rochefoucauld, qui influence le plus La Bruyère.
La comédie humaine
La première édition comprenait 420 fragments, en grande majorité des « maximes », avec à peine une dizaine de portraits esquissés. Au fil des rééditions, le nombre des remarques augmenta (jusqu'à 1 120 dans l'édition de 1694), en même temps la part des maximes diminuait, tandis que se développait la part des réflexions et des portraits. On peut discerner une certaine progression d'ensemble. Un premier mouvement (du chapitre I « Des ouvrages de l'esprit » au chapitre X « Du souverain ou De la République ») est orienté vers l'analyse de faits de société et culmine dans une réflexion sur le système politique. Un second ensemble (du chapitre XI « De l'homme » au chapitre XVI « Des esprits forts ») est davantage tourné vers une méditation sur la condition humaine, qui aboutit à une prise de position pour la foi et contre les libertins. Un tel schéma répond à un souci didactique qui est conforme à un projet d'apologie, et classique dans son principe : il s'agit avant tout de corriger les mœurs. Mais, sous cette structure et cet objectif général, on discerne aussi des lignes de force plus profondes. Autant que de corriger les mœurs, il s'agit pour lui, de plus en plus, d'exprimer son désenchantement et une morale sans illusion (« L'homme de bien est celui qui n'est ni un saint ni un dévot, et qui s'est borné à n'avoir que de la vertu », Des jugements, 55). Il est significatif que les portraits les plus comiques soient consacrés à des êtres occupés de choses vaines (ainsi le célèbre amateur de prunes) et où l'excès de vanité coexiste avec l'absence de principes. Attitude aussi d'un nostalgique du temps jadis, où les mœurs étaient plus solides : en cela, La Bruyère exprime les vues d'une bourgeoisie et d'une noblesse de robe attachées à un idéal de sérieux et de rigueur plus qu'au clinquant de la mode.