Dictionnaire de la Littérature 2001Éd. 2001
S

Shaw (Irwin)

Écrivain américain (New York 1913 – Davos, Suisse, 1984).

Son œuvre de romancier (le Bal des maudits, 1948), de nouvelliste et de dramaturge a été initialement marquée par une thématique antimilitariste ou pacifiste. L'intérêt politique ou social est confirmé dans le Riche, le pauvre (1970), et dans un recueil d'essais Paris ! Paris ! (1977).

Sheckley (Robert)

Écrivain américain (New York 1928 – Poughkeepsie, New York 2005).

Après avoir participé à la guerre de Corée entre 1946 et 1948, il choisit d'écrire des romans policiers (Chaud les glaçons !, 1961) et des récits de science-fiction pour la liberté que ce genre lui offre et la labilité du regard qu'il lui permet de jeter sur le monde contemporain. Plusieurs lignes de force caractérisent cette œuvre qui compte plus de vingt romans et pas moins de deux cents nouvelles. De nombreux romans se présentent comme des voyages loufoques dans l'espace ou le temps, accumulation de péripéties discontinues qui s'achèvent presque toujours par le doute, l'incertitude, l'ouverture, la possibilité de continuer le voyage (le Temps meurtrier, 1958 ; Options, 1975 ; le Mariage alchimique d'Alistair Crompton, 1978). L'auteur y multiplie les digressions philosophico-logiques, les récits à tiroirs sur le modèle du Manuscrit trouvé à Saragosse, variant la vitesse du récit et les modalités narratives (Dramoclès, 1983). Il consacre par ailleurs plusieurs nouvelles à l'étude des structures et des pouvoirs du langage (Voulez-vous parler avec moi ?, le Langage de l'amour), explorant les dispositifs langagiers qui enferment l'homme inconsciemment dans une vision dominante du monde. Également remarquable chez lui, le thème de l'institutionnalisation du meurtre, qu'il interprète comme métaphore des relations humaines ou comme mécanisme parfait de régulation sociale.

Shelley (Mary Godwin, Mrs)

Femme de lettres anglaise (Londres 1797 – id. 1851).

Fille du rationaliste William Godwin et de la féministe Mary Wollstonecraft, elle est enlevée à 17 ans par Shelley, dont elle partagera l'exil et qu'elle épousera en 1818. Presque par hasard, à la faveur d'un jeu littéraire en compagnie de Byron et de Shelley, cette jeune fille devient l'auteur d'un roman philosophique et de terreur, Frankenstein ou le Prométhée moderne (1818), alliance du fantastique et du scientifique qui permet un traitement original du thème du monstre, incarnation de l'orgueil et de la folie de son créateur. Cette double condamnation de la démesure du savant (qui veut rivaliser avec Dieu) et d'une image composite de la personne humaine (le monstre n'est pas né d'un couple, mais de débris de cadavres) est aussi une critique acerbe d'une société nourrie de rousseauisme et qui se fonde sur les apparences : le « monstre », bon à sa naissance, devient criminel dès lors qu'il est rejeté de tous. Sa révolte contre son créateur, qu'il finit par tuer, trahit l'angoisse existentielle de l'homme sans Dieu, dans un univers où seul le mal assure la puissance. L'œuvre de Mary Shelley, plus connue que le nom de sa créatrice, connaîtra une immense postérité. Les adaptations cinématographiques (Frankenstein, 1931, et la Fiancée de Frankenstein, 1935, réalisés par James Whale, qui a donné au monstre son « visage »), comme les innombrables suites, adaptations, font de cette figure l'un des rares mythes modernes. Mary Shelley écrit également des nouvelles, des récits de voyages (Histoire d'un voyage de six semaines, 1817), des romans (le Dernier Homme, 1826 ; Perkin Warbeck, 1830) et publie après la mort de Shelley ses Poèmes posthumes (1824), ses Œuvres poétiques (1839) ainsi que ses œuvres en prose (1840). Son Journal comme sa correspondance apportent des renseignements précieux sur le poète.

Shelley (Percy Bysshe)

Poète anglais (Field Place, Horsham, Sussex, 1792 – en mer, La Spezia, 1822).

Fils de baronet, élevé à Eton, exclu d'Oxford pour avoir publié un pamphlet, la Nécessité de l'athéisme (1811), renié par son père, il part pour Londres où il subsiste avec l'argent que lui donnent en secret ses sœurs. Il dérobe une de leurs amies, Harriet Westbrook, à la férule familiale et l'épouse. Il prêche l'insurrection en Irlande, et séjourne tour à tour dans la région des Lacs, à York et au pays de Galles, où il écrit son premier grand poème la Reine Mab (1813) : la reine des fées se fait accompagner dans la course cosmique qui la conduit de l'Égypte à Athènes, à Rome et à Sparte, par l'esprit de la jeune Ianthe, qui découvre ainsi les diverses formes de violence et d'oppression infligées à l'humanité par les tyrans et les prêtres. Shelley se sépare d'Harriet et enlève Mary Godwin, fille de l'écrivain, âgée de 17 ans (1814). En Suisse, il se lie à Byron et opte définitivement pour l'Italie après le suicide d'Harriet et le refus du tribunal de lui restituer ses deux enfants. Alastor (1816) donne une analyse écorchée de l'autopersécution idéaliste par le remords généreux. Traditionnellement, un Alastor est un esprit vengeur qui poursuit le crime ; c'est ici l'« esprit de Solitude » qui poursuit le poète maudit. Sitôt après son mariage avec Mary (1818), Shelley célèbre la fonction libératrice du couple dans la Révolte de l'Islam (1816-1818) et Prométhée délivré (1820), drame lyrique en 4 actes et en vers. Symbole de l'ambition humaine à la recherche de la vérité, Prométhée parviendra, malgré Jupiter qui incarne le côté matérialiste de l'existence, et au prix de souffrances innombrables, à faire triompher l'idéal. Les génies du ciel viennent à son secours : Jupiter est détrôné par Démogorgon, incarnation de la puissance originelle de l'univers, et Hercule délivre Prométhée qui s'unit à la Nature, sous la forme d'Asie, une Océanide. Par l'amour et le savoir, l'homme peut triompher du mal qui est en lui et qui le ronge comme fait le vautour du Titan. La loi du père est à nouveau contestée dans les Cenci, tragédie en 5 actes (1819). Béatrice, violée par son père, opte pour le parricide avec le soutien de son frère et de sa belle-mère ; le père, lui, obtient le soutien du pape. Béatrice meurt, condamnée mais innocente : la pièce, qui s'articule sur l'inceste frère-sœur et l'alliance des « vulnérables » contre le despotisme patriarcal à l'heure du traité de Vienne, connut une mise en scène mémorable d'Artaud (1935). L'histoire des Cenci inspira également une des Chroniques italiennes de Stendhal (1837), une tragédie de J. Slowacki (Béatrice Cenci, 1839), un roman historique de F. D. Guerrazzi (1854). Le Masque de l'anarchie (1819), ballade conçue dans l'indignation qui suivit le massacre de Peterloo et destinée à être lue en public, stigmatise comme anarchie la tyrannie sous toutes ses formes. Dans ses odes, Shelley montre que le refus du sacrifice et de l'exploit libère l'élan (Ode à l'alouette) ; l'Ode au vent d'ouest illustre le thème romantique de l'identification du génie poétique à l'esprit du monde. Ne pouvant se réduire à un souffle immatériel, le poète se veut réceptacle, caisse de résonance des vibrations et des harmonies de la terre : le vent d'automne qui prélude à l'engourdissement hivernal de la nature est aussi la promesse du printemps. Législateur méconnu de l'humanité (Défense de la poésie, 1821), le poète est le « miroir des ombres que l'avenir projette sur le présent ». Il porte la voix de l'amour (De l'amour, 1820) et le courage de la fluidité retrouvée, même si l'excès de vie (la tuberculose) le ronge. De dissolution en évanouissement, d'extase en vertige, la vie est un tourbillon, parade sinistre (le Triomphe de la vie, 1822) qui ressasse la fatalité du délaissement si l'âme la quitte, comme le jardin délaissé de la Sensitive (1818), mais lumineux jusqu'à la mort transfiguratrice. Adonaïs, élégie sur la mort de Keats (1821), montre que le destin du poète est d'être bafoué, mais la résurrection artistique, qui donne accès à l'immortalité, est une revanche sur la vie qui « comme un dôme de vitraux multicolores tache la pure radiance de l'éternité ». Croire à la fécondité de l'abandon aux forces est un acte de foi. Apôtre de la non-violence militante et de la rupture avec l'hypnose sociale, Shelley meurt au cours d'une tempête longtemps courtisée, au large de Lerici. Son corps sera, sur le sable, livré au feu en présence de Byron.