Dictionnaire de la Littérature 2001Éd. 2001
F

Fet (Afanassi Afanassievitch Chenchine, dit)

Poète russe (Novosselki, près de Mtsensk, 1820 – Moscou 1892).

Ce grand poète resta fidèle à « l'art pour l'art » à une époque où la qualité d'un écrit se mesurait à l'aune de sa portée sociale. Marquée par le romantisme européen, son œuvre, malgré sa concision, constitue un monument de la poésie russe et influencera de manière décisive décadents et symbolistes. Sa vie rangée de militaire, puis de propriétaire terrien, contraste avec le lyrisme de sa poésie, en particulier dans son dernier recueil, Feux du soir (1883). Avec une écriture très dense, où chaque vers résonne d'une musicalité infinie, ce poète contemplatif s'attache à la description de la nature, au motif de la nuit en particulier. Il traduisit les classiques latins, Heine, Goethe et Schiller.

Feuchtwanger (Lion)

Écrivain allemand naturalisé américain (Munich 1884 – Los Angeles 1958).

Cet écrivain pacifiste et socialiste fut l'analyste de son temps (la Salle d'attente, 1930-1940) et chercha à organiser à Paris un « front antifasciste ». Il s'est également intéressé au judaïsme (le Juif Süss, 1925 ; Josephus, 1932-1945) et à la Révolution française (la Veuve Capet, 1956). Son roman le Juif Süss, inspiré du personnage de Josef Süss Oppenheimer (1692-1738), a été dénaturé par le film de Veit Harlan (1940) qui a servi la propagande antisémite en Europe, tandis que pour l'auteur, le destin du personnage symbolisait celui du peuple juif.

Feuillet (Octave)

Écrivain français (Saint-Lô 1821 – Paris 1890).

Ce romancier idéaliste surnommé le « Musset des familles », élu à l'Académie française, illustre bien le goût du second Empire (Roman d'un jeune homme pauvre, 1858 ; Monsieur de Camors, 1867 ; Julia de Trécœur, 1872). Ses romans, malgré un sentimentalisme un peu fade, sont une avancée vers le réalisme. Flaubert donna une « analyse-express » de sa vogue : « La basse classe croit que la haute classe est comme ça ; la haute classe se voit là-dedans comme elle voudrait être. »

feuilleton

Inauguré sous le Consulat par le Journal des débats avec la critique dramatique de J. L. Geoffroy, le feuilleton critique fut consacré par Sainte-Beuve, qui donna ses fameux Lundis successivement au Constitutionnel, au Moniteur et au Temps. Mais le feuilleton bouleversa bientôt les habitudes de lecture avec l'apparition de la presse à bon marché et la transformation du feuilleton critique en roman-feuilleton.

   Émile de Girardin est l'un des fondateurs de la grande presse moderne : en ouvrant le journal à la « réclame », il réduisit le prix des abonnements de 80 à 40 F et fonda son journal par actions le 1er juillet 1836, la Presse, tandis que son concurrent Dutacq lançait le Siècle. Dès 1836, ils introduisirent dans leurs colonnes quelques chapitres de romans. Girardin systématisa l'idée et publia ainsi la Vieille Fille de Balzac. En 1838, Alexandre Dumas donna le Capitaine Paul au Siècle. À partir de 1840, tous les écrivains publièrent leurs œuvres dans la presse quotidienne : les Comédies et Proverbes d'Alfred de Musset, l'Histoire des Girondins de Lamartine et les Mémoires d'outre-tombe de Chateaubriand. Le vétéran et conservateur Journal des débats fut sauvé par la publication des Mystères de Paris d'Eugène Sue en 1842-1843. Le succès de ce roman fut un phénomène unique : des milliers de lecteurs attendaient chaque jour la suite des aventures de Rodolphe qui protège les faibles et les opprimés. Surtout, des lecteurs, sensibilisés par les misères que décrit le roman, écrivirent à l'auteur pour appuyer ses propositions de réformes sociales et même lui en suggérer d'autres. Sue fut amené à tenir compte de ces réactions et les Mystères de Paris se firent ainsi, peu à peu, le porte-parole d'une population en attente d'une amélioration de sa vie. Ce succès populaire augmenta de manière considérable le nombre des abonnés. Tandis que jusqu'alors, dans les cabinets de lecture, on pouvait, pour 2 sous, rester aussi longtemps qu'on le désirait, cette somme devint le prix d'entrée pour une heure. Quant au Siècle, il accueillit Alexandre Dumas en 1844 avec les Trois Mousquetaires tandis que le Journal des débats publiait le Comte de Monte-Cristo. Dumas devint bientôt un grand fournisseur de feuilleton, et eut recours à des collaborateurs comme Auguste Maquet.

   Cette première époque du roman-feuilleton vit aussi l'entrée en scène de Paul Féval et de Frédéric Soulié. Face à cet engouement généralisé, Alfred Nettement publia une Étude critique sur le feuilleton-roman (1848), puis les attaques se firent politiques. En juillet 1850, l'amendement de Riancey vint taxer les journaux d'un impôt d'un centime par feuilleton, menaçant celui-ci de disparition. Après le coup d'État du 2 décembre, la loi de février 1852 supprima la presse d'opinion et provoqua un renversement : la disparition des débats d'idées laissait une place que le quotidien remplaça par le roman-feuilleton. Dumas et Féval publiaient toujours, et de nouveaux auteurs apparurent, en particulier Ponson du Terrail, E. Capendu, A. Assolant, G. Aimard.

   En 1863, la fondation du Petit Journal à un sou fut un événement : il se vendait désormais dans les kiosques pour la moitié du prix de ses concurrents. Mais, pour attirer le lecteur, il fallait du sensationnel : le Petit Journal inaugura l'ère de la presse à sensation, bientôt imité par la Petite Presse et le Petit Moniteur du soir. Le roman-feuilleton y occupait une place importante : le Petit Journal obtint la collaboration de Dumas dès 1863 et publia, par exemple, en 1866 la Résurrection de Rocambole de Ponson du Terrail et le Crime d'Orcival de Gaboriau. Cette presse populaire connut un essor exceptionnel pendant le dernier quart du siècle où l'on vit naître, entre autres, le Petit Parisien (1876), le Journal des voyages (1877), le Matin (1884), le Journal (1892), et se développer aussi toute la presse de province. Les tirages étaient importants (certains atteignaient le million d'exemplaires). La loi sur la liberté de la presse en 1881 vint encore accentuer ce mouvement. D'où le besoin de textes pour alimenter le feuilleton : on reprit d'abord des romans déjà publiés, mais le lecteur attendait du nouveau. Une nouvelle génération d'écrivains apparut : X. de Montépin, J. Mary, C. Mérouvel, É. Richebourg, G. Ohnet, H. Malot, etc. Les récits étaient en général marqués par une tendance à attendrir le lecteur et centrés sur les victimes. On constate aussi une généralisation de l'usage des pseudonymes, qui permettaient aux auteurs prolifiques de collaborer à plusieurs organes de presse en parallèle. Ces années 1860-1900 virent l'apparition de nouveaux genres : roman judiciaire (É. Gaboriau, Fortuné du Boisgobey, Élie Berthet, Pierre Sales), science-fiction (J.-H. Rosny, G. Le Faure, Danrit), roman revanchard (Léon Sazie, Aristide Bruant, Arthur Bernède), etc.

   Au début du XXe siècle, les feuilletons furent marqués par un certain retour du romantisme social incarné dans de grandes figures de justiciers, Arsène Lupin (Leblanc), Rouletabille (Leroux), Judex (Bernède), mais aussi de grands criminels comme Fantômas (Allain et Souvestre). Dans d'autres pays naquirent des personnages dont les exploits furent rapidement traduits en France : Sherlock Holmes (1891), Buffalo Bill et Nick Carter (diffusés en fascicules dès 1907), Tarzan (1912), Zorro (1919). Le succès du cinéma fit naître le « feuilleton-cinéma », dont les épisodes paraissaient sur l'écran et étaient publiés parallèlement dans un journal, puis en ciné-roman (les Mystères de New York inaugurèrent le genre en France en 1915). Les auteurs de ces ciné-romans sont souvent des romanciers populaires : P. Decourcelle, J. Mary, A. Bernède, M. Zévaco, G. Spitzmüller.

   Au cours du XXe siècle, le roman-feuilleton se trouva mis en concurrence avec d'autres médias. Aujourd'hui, s'il persiste dans les journaux féminins et la presse de masse, le feuilleton est surtout télévisé. Il a pris le nom de « série » et touche de nombreux téléspectateurs.