Dictionnaire de la Littérature 2001Éd. 2001
L

Laclos (Pierre Ambroise François Choderlos de) (suite)

Des mots et des lettres

Laclos pousse la technique épistolaire à sa perfection en entrecroisant les fils des dialogues entre naïfs, vertueux et roués, pour mettre en cause chacun des discours. Il se plaît à juxtaposer les comptes rendus divergents d'une même scène et à opposer les points de vue des personnages. Le couple libertin et pervers de la marquise de Merteuil et du vicomte de Valmont s'acharne à corrompre la jeune Cécile qui sort de son couvent et son amant Danceny. Mais Valmont tombe peu à peu amoureux de la vertueuse présidente de Tourvel qu'il a entrepris de séduire ; il se détache de sa complice, Mme de Merteuil. La marquise se venge en organisant un duel entre lui et Danceny, mais Valmont a le temps, avant de mourir, de dévoiler au public la correspondance de la marquise et de révéler ainsi son hypocrisie. La dénonciation du libertinage aristocratique va de pair avec la fascination qu'il exerce par son efficacité et, éventuellement, son pouvoir esthétique. Si tous les personnages échouent dans un dénouement particulièrement amer, si vertueux, conformistes et roués sont renvoyés dos à dos, l'œuvre est dominée par les deux figures féminines antithétiques de la présidente, modèle de dévouement et d'amour, et de la marquise, « Tartuffe femelle » où certains voient une conscience féministe avant la lettre. Surtout, les libertins sont punis pour avoir transgressé leur propre règle : garder une totale maîtrise de soi et « ne jamais écrire ». L'écriture apparaît donc comme le signe et l'instrument de la corruption collective : roman par lettres, les Liaisons sont aussi un roman sur les lettres. Il y est question des pouvoirs de l'écriture, spontanée, naïve, persuasive ou séductrice. Mme de Merteuil donne à ses élèves des leçons de stylistique, qui sont autant des leçons de « goût » littéraire que de séduction : « Vous dites tout ce que vous pensez et rien de ce que vous ne pensez pas » (Lettre CV). Le roman investit d'érotisme l'écriture et la lecture. L'épisode le plus frappant qui illustre cette thèse est la célèbre scène d'écriture par Valmont d'une lettre destinée à Mme de Tourvel, rédigée sur le dos d'une prostituée. Laclos renouvelle le mode épistolaire en orientant toutes les lettres vers le lecteur, qu'il s'agisse du lecteur interne – qui est le destinataire de la lettre – ou du lecteur externe. Le couple de libertins instaure également un stratagème leur permettant d'avoir accès à toutes les correspondances, ou même de dicter des lettres. C'est, d'ailleurs, par l'intermédiaire d'une lettre dictée à Valmont par Mme de Merteuil que Mme de Tourvel mourra. Pleinement polyphonique, à la manière d'un opéra, l'architecture du roman est également une vaste machine, où se tissent des réseaux et des rets, dans lesquels se prennent les plus naïfs mais dont seront victimes, par une ironie tragique, ceux qui pensaient être les plus forts.

Lacordaire (Henri)

Religieux, prédicateur et homme politique français (Recey-sur-Ource 1802 – Sorèze 1861).

Il redécouvre la foi grâce au Génie du christianisme. Ordonné prêtre en 1827, il travaille avec Lamennais à la régénération de l'Église et collabore à l'Avenir. En mars 1832, ils rencontrent le pape Grégoire XVI, qui doute de leur orthodoxie : se soumettant à la condamnation de leur mouvement par l'encyclique Mirari vos (1832), Lacordaire rompt alors avec Lamennais (Considération sur le système philosophique de M. de Lamennais, 1834 ; Lettre sur le Saint-Siège, 1837). Prédicateur à Notre-Dame en 1835 et 1836, il rétablit en France l'ordre des Dominicains, dont il prend l'habit en 1839. Après février 1848, il devient directeur de l'Ère nouvelle et député de Marseille, mais abandonne la politique après le 15 mai et se consacre à son ordre  et au collège de Sorèze. Tempérament romantique au style puissant inspiré de Chateaubriand, il a balayé le double conformisme du gallicanisme et de l'esprit voltairien.

Lacretelle (Jacques de)

Écrivain français (Cormatin, Saône-et-Loire, 1888 – Paris 1985).

Fils d'un diplomate, Lacretelle garda de son enfance le goût des voyages, qui lui inspirèrent de nombreux récits. Empreinte d'un pessimisme lucide, son œuvre fictionnelle se caractérise par l'examen des ressorts profonds qui motivent les actes. Lacretelle a d'abord écrit des récits d'inspiration autobiographique comme la Vie inquiète de Jean Hermelin (1920). Avec Silbermann (1922), il acquiert la notoriété en proposant une analyse nuancée de l'intégration d'un jeune Juif dans une société minée par l'antisémitisme. Influencé par les travaux de Freud, il présente l'étude minutieuse de la formation d'un tempérament dans la Bonifas (1925). À partir de 1932, avec les Hauts Ponts, ce « clinicien du roman » s'oriente vers un cycle qui montre les individus soumis aux puissances occultes. Intéressé par les questions touchant à l'art romanesque, il a rédigé une autobiographie littéraire, le Tiroir secret (1959).

Lactance, en lat. Lucius Caecilius Firmianus Lactantius

Écrivain latin (près de Cirta, Numidie, v. 250 – Trèves v. 325).

Élève d'Arnobe, il se convertit au christianisme et dut quitter la Bithynie, où il résidait au moment des persécutions de Dioclétien (305). En 317, il fut chargé par Constantin de l'éducation de son fils Crispus. Ses Institutions divines, en 7 livres, constituent le premier exposé d'ensemble en latin de la religion chrétienne, définie comme une sagesse qui complète et prolonge la philosophie profane plus qu'elle ne s'y oppose. Son traité sur la colère de Dieu tente de faire la synthèse entre la conception hébraïque d'un « Dieu de colère » et celle, hellénique, d'un Dieu inaccessible à toute passion. Dans son opuscule sur la mort des persécuteurs, il jette l'esquisse d'une théologie de l'histoire et montre que tous les oppresseurs du christianisme ont connu une mort soit cruelle, soit honteuse. Imprégné de culture classique, ce « Cicéron chrétien », comme on l'appelle à la suite de saint Jérôme, se fit le défenseur du « réemploi » de la rhétorique païenne pour l'expression des vérités du christianisme, et s'efforça de jeter un pont entre les cultures païenne et chrétienne.