Dictionnaire de la Littérature 2001Éd. 2001
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Rayhani (Amin al-)

Écrivain libanais (Furayka 1876 – id. 1940).

Il est une figure éminente de l'émigration aux États-Unis. Fin observateur, s'exprimant en anglais et en arabe, il a publié, à côté de romans (le Lys du vallon, 1917 ; Hors du harem, 1922) et de poèmes en prose, des études historiques, des récits de voyages et des essais (al-Rayhâniyyât, 4 vol., 1915-1924) où s'expriment ses conceptions libérales, son attachement à un idéal laïciste et au panarabisme.

Raynal (Guillaume, dit l'abbé)

Écrivain français (Saint-Geniez-d'Olt, Aveyron, 1713 – Paris 1796).

Il quitta le clergé pour devenir rédacteur du Mercure de France et se consacra à la philosophie et à l'histoire (Histoire du stathoudérat, 1748 ; l'Histoire du Parlement d'Angleterre, 1748 ; les Anecdotes historiques, militaires et politiques de l'Europe, 1753). Il entreprit avec le soutien du ministère de la Marine une vaste compilation sur la colonisation que le gouvernement voulait encourager. Ce fut l'Histoire philosophique et politique des établissements et du commerce des Européens dans les deux Indes en dix volumes (1770). Cette large fresque mêlait les inspirations ; les renseignements pratiques voisinaient avec des réflexions philosophiques, l'éloge du commerce avec une dénonciation de l'esclavage et même une mise en cause du principe colonial. Diderot fournit à Raynal de nombreux passages qui sont sans doute parmi les plus violents et les plus enflammés. Après avoir circulé librement plusieurs années, l'Histoire des deux Indes attira l'attention des autorités, qui poursuivirent le livre. Raynal dut s'enfuir. Raynal, devenu martyr de la philosophie et symbole de la lutte contre le despotisme, déçut ses admirateurs en reniant son idéal durant la Révolution. Il rassembla une documentation pour une somme parallèle à la première, l'Histoire philosophique et politique des établissements et du commerce des Européens dans l'Afrique septentrionale (1826).

Raynouard (François)

Écrivain et philologue français (Brignoles, Var, 1761 – Passy 1836).

Après une carrière politique et quelques tragédies, Raynouard se consacra à l'étude des langues romanes, publiant de 1816 à 1821 un Choix de poésies originales des troubadours, accompagné d'une Grammaire comparée des langues de l'Europe latine dans leurs rapports avec la langue des troubadours. Il y apparaît surtout comme l'un des fondateurs de la grammaire comparée. Ces travaux ont constitué les assises scientifiques nécessaires au mouvement de renaissance occitane.

Rayssiguier

Auteur dramatique français († Castres 1660).

Protégé de la famille de Retz, lié avec Du Ryer, Mareschal et Pichou, il porta à la scène les héros de l'Astrée (Astrée et Céladon, tragi-comédie pastorale, 1630). Il traduisit l'Aminta du Tasse (1632) et prit le parti de la liberté dans la querelle sur l'application des règles à la pastorale et à la tragi-comédie. Sa comédie la Bourgeoise ou la Promenade de Saint-Cloud (1633) met en scène de façon pittoresque l'actualité mondaine.

Razcvetnikov (Assen Kolarov, dit Assen)

Poète bulgare (Dragonovo 1897 – Moscou 1951).

Romantique révolutionnaire à ses débuts, il traversa, au lendemain de la sanglante défaite de l'insurrection de septembre 1923, une profonde crise morale dont témoigne notamment le recueil le Bûcher des victimes (1924), qui privilégie le sacrifice au nom d'un idéal. Le romantisme contemplatif de sa maturité se teinte progressivement de scepticisme (le Double, 1927), puis de mysticisme. Grand maître de la ballade, auteur de fables et de livres pour enfants, il traduisit Goethe, Molière et les frères Grimm.

Rea (Domenico)

Écrivain italien (Nocera Inferiore, Salerne, 1921 – Naples 1994).

Représentant le néoréalisme napolitain, il consacre ses nouvelles et ses romans, de style enjoué, à la société plébéienne de Naples (Spaccanapoli, 1947 ; Jésus, fais la lumière !, 1950 ; Cancer baroque, 1959 ; le Magasin vide, 1985 ; Pensées de la nuit, 1985 ; la Nymphe plébéienne, 1993).

Rea (Ermanno)

Écrivain italien (Naples 1927).

Ses romans reconstruisent des périodes méconnues de l'histoire italienne contemporaine. Ainsi en 1990, le Dernier Cours retrace l'histoire de l'économiste Federico Caffè, disparu mystérieusement. Dans Mystère napolitain (1995), il narre l'histoire tragique d'une femme communiste dans la Naples des années 1950. Son dernier roman (l'Abandon, 2002) relate l'histoire tragique de la fermeture de l'usine sidérurgique de Bagnoli.

Reade (Charles)

Écrivain anglais (Ipsden, Oxfordshire, 1814 – Londres 1884).

Renonçant au barreau, un temps directeur du Strand Theater, il donne, en collaboration avec Tom Taylor, une quarantaine de pièces, notamment Masques et visages (1852). Dans ses romans et ses nouvelles, il illustre le réalisme anglais, mettant sa plume au service de causes sociales : le système pénitentiaire (Jamais trop tard pour s'amender, 1856), les asiles et l'exploitation des fous (Argent comptant, 1863), l'alcool, avec une adaptation à la scène de l'Assommoir de Zola (Boire, 1879). Le Cloître et le Foyer (1861) est, en revanche, un roman historique.

réalisme

Le réalisme se définit, dans les diverses esthétiques littéraires, comme la reproduction, la plus fidèle possible, de la réalité. Cette fidélité ne peut être caractérisée de manière invariante ou absolue ; elle dépend de la conception de la réalité propre à une époque et des contraintes poétiques inséparables du genre et du courant de création considérés. À la fois convention et renvoi explicite au réel, le réalisme suppose admise l'aptitude de cette convention à représenter le réel et un accord sur la définition et les formulations possibles du réel. Il définit ainsi la rencontre, sous le signe de l'assentiment aux modes de l'énoncé et aux objets de référence, de l'œuvre et du lecteur. Le réalisme porte donc en lui-même le principe de sa propre caducité.

   Les esthétiques réalistes se développent à partir du XVIIIe s., particulièrement dans le cas du roman, par réaction contre les conventions des esthétiques néoclassiques, et contre la hiérarchie des objets de référence et des genres, issue des arts poétiques de l'Antiquité. Le réalisme qui établit la reconnaissance artistique du réel, identifié aux objets les plus communs, suppose que les éléments de ce réel puissent être repérés et distingués par leurs qualités et leurs propriétés. Il définit ainsi la représentation littéraire comme l'imitation de ces objets de référence, mais surtout comme la concordance, supposée constante et assurée, entre le mot et l'objet.

Le réalisme français

La critique considère volontiers que la littérature française offre les œuvres, théoriques et « pratiques », exemplaires du courant réaliste. Le problème du réalisme se posant toujours, plus ou moins, en terme de ressemblance, on notera d'abord le rapport privilégié que les écrivains qui se recommandent du réalisme entretiennent avec la peinture. Le réalisme pictural a ouvert la voie au réalisme littéraire. En tant que mouvement conscient et organisé, le réalisme naît de la querelle autour de Courbet et de son Enterrement à Ornans : on peut considérer comme le manifeste du réalisme la Lettre à Mme Sand de Champfleury parue dans l'Artiste le 2 septembre 1855. À une critique malveillante qui a usé du mot « réalisme » comme d'une injure (Gustave Planche contre les feuilletons de Balzac), Champfleury réplique : « Tous ceux qui apportent quelques aspirations nouvelles sont dits réalistes. On verra certainement des médecins réalistes, des chimistes réalistes, des manufacturiers réalistes, des historiens réalistes. M. Courbet est un réaliste, je suis un réaliste... » Avant le procès de Madame Bovary, la critique, même lorsqu'elle est favorable, juge de l'art en fonction d'un but éthique et social, et non proprement plastique. Or la transgression de Courbet était d'abord plastique (format, traitement de la lumière) ; elle atteignait aussi le typique par excès d'attention donnée au particulier. Le réalisme en peinture, c'est « l'accommodation sur la matérialité signifiante du tableau ». En littérature, c'est l'accommodation sur le texte. Le réalisme suppose un « pouvoir » esthétique et un système institutionnel que l'on considère inadapté, plus ou moins consciemment, à la fonction essentielle de l'art : représenter la réalité qui compte. Le réalisme mène l'offensive contre quelque chose qui se défend et qui tente de se maintenir.

   Le réalisme que l'on pourrait désormais appeler « classique » reposait sur un vaste présupposé principal qui en englobait d'autres : le monde est connaissable, donc explicable, donc enseignable. Le XIXe s. réaliste se veut pédagogue. Balzac explique ce que c'est qu'une faillite ou une imprimerie. Zola expliquera ce que c'est qu'une locomotive. Stendhal fait le relevé analytique des forces qui composent Verrière, afin de faire comprendre M. de Rênal et la situation de Julien Sorel. Le retour en arrière, les fiches sur les personnages, les études socio– et géopolitiques, le romancier omniscient et maître du jeu sont des éléments décisifs de ce réalisme. Il suppose que l'Histoire est lisible, que le moi est relativement simple, que le langage et l'écriture obéissent à l'intention de dire. La difficulté vient de ce que ce réalisme, en ses réalisations comme en ses théorisations, est toujours à la fois intrabourgeois et antibourgeois, sans pouvoir pourtant se découvrir un lieu historique et politique nouveau. Les intellectuels aristocrates avaient pu, rompant avec leur classe, se rallier à une bourgeoisie montante. À quoi peuvent bien se rallier les intellectuels bourgeois devant les révolutions stériles du XIXe s. ? Flaubert va totaliser ces diverses difficultés : le réalisme, chez lui, ne cherchera plus à déboucher sur quelque chose, à vérifier une positivité, encore moins à légitimer une croyance ; chez Flaubert, le réalisme n'a plus d'objet (puisque celui-ci, d'intéressant, devient dérisoire) ni de projet (puisque les rêves sont morts). Quant au langage, de pratique ouverte et conquérante (voir les rêves infinis de Louis Lambert, chez Balzac), il devient pratique illusoire et creuse, en tout cas fuyante. Et pourtant, c'est là encore et à nouveau du réalisme.

   Il apparaît donc que les obstacles au réalisme sont de deux sortes : des images du réel et des images littéraires qui sont dominantes dans les institutions, mais aussi dans les esprits ; un code, un arsenal de lois, de conventions, de principes que l'écrivain est censé respecter, et qui définissent le goût, la valeur, la dignité, l'intérêt. Les images dominantes n'ont pas été inventées par ceux qui les véhiculent et qui les vivent, mais ils les ont adoptées et ils les reproduisent ; ils les attendent.

   Le réalisme, c'est donc toujours une pratique littéraire qui contredit les images de la culture de masse telle que l'a formée progressivement une rhétorique dominante et qui agresse les principes théorisés et manifestés par les « doctes ». Pour ce faire, il dispose de deux moyens : un nouveau vocabulaire et une nouvelle mythologie, de nouvelles nominations et de nouveaux héros. C'est bien ce qui s'est passé jusque vers 1850 – au moment où Nerval (« le Réalisme », dans les Nuits d'octobre) célèbre Dickens et les Anglais qui ont bien de la chance de pouvoir « écrire et lire du vrai ». Stendhal et Balzac avaient recouru au petit réalisme de la presse (les articles sur le quotidien à Paris, les « choses vues »), aux langages souterrains ou spécialisés (l'argot, le langage des métiers, le langage dandy, le langage de Beyle lui-même dans son Journal) et au lieu de se soumettre au réel, ils en avaient donné une image dynamique, explicative, le mettant face à lui-même dans le mouvement général d'un désir : être lu en 1935, construire la Comédie humaine. Fondamentalement, ce réalisme se définit par les lecteurs qu'il se cherche et qu'il finit pas se faire en les révélant à eux-mêmes. Mais ce réalisme a mis en place de nouvelles images dominantes, celles d'un optimisme critique que la réalité démentira. Le réalisme, dès lors, va consister à nier, à agresser les normes d'un réalisme que, curieusement, personne ne sépare plus du romantisme. Balzac et Stendhal avaient pu paraître des anti-Lamartine : on s'apercevait qu'ils relevaient de la même galaxie, mais qu'ils s'y étaient mieux pris. Dès lors, le réalisme va être la mise en cause du scientisme et du prométhéisme, du mérite et de la valeur des œuvres humaines qui avaient structuré l'effort antérieur. Si Flaubert est aisément devenu le maître à écrire et à penser de générations ultérieures, c'est que, de bonne heure, il avait été l'homme et le lieu d'un nouveau réalisme centré sur la déréalisation radicale des impératifs de certitude et de progrès que l'Histoire mettait en cause. Que vienne la crise théorique du moi et de ses lectures traditionnelles (Freud), que la dimension volontariste et historiciste de Marx cède la place à une méthodologie matérialiste qui, sous des formes diverses, définisse l'Histoire comme « un processus sans sujet ni fin », et le réalisme consistera, non plus à faire mais à défaire, non plus à repérer ce qui se fait mais ce qui se défait (ou se fait autrement). En d'autres termes, le réalisme consistera, une fois de plus, à passer d'une problématisation à une autre.

   Ainsi envisagé, le réalisme en France échappe à une simple problématique du goût et du respect du public, pour entrer dans une problématique de l'expression. Proust ne choque personne : il choisit ses personnages dans les classes supérieures, mais il fait voir un aspect de la réalité que d'autres réalismes avaient négligé et, par sa propre démarche, il construit et constitue son objet, lui confère un statut de réalité en allant le chercher là où il était et où on ne le voyait pas tant qu'il n'était pas écrit.