Dictionnaire de la Littérature 2001Éd. 2001
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France (Moyen Âge) (suite)

Historiographie médiévale

Historiographie (XIIeXIIIe s.)

La naissance de l'historiographie en français est au XIIe siècle le fait de chroniqueurs britanniques (Geffrei Gaimar) ou liés au royaume Plantagenêt (Wace, Benoît de Sainte-Maure), qui diffusent l'histoire passée ou plus récente de l'Angleterre normande. Les mythes de fondation tiennent encore une place importante dans le Roman de Rou, de Wace, consacré, comme l'Histoire des ducs de Normandie de Benoît, à la conquête de la Normandie par les Danois de Rollon (Rou), à l'histoire du duché, à la conquête de l'Angleterre. De plus en plus fidèle au fil du temps à la réalité historique, de par leurs sources en latin, et parfois leur expérience personnelle (Wace, dans le Rou, Ambroise dans l'Estoire de la Guerre sainte, récit de la troisième croisade), la relation des faits s'approfondit d'une conception de l'histoire comme lieu de mémoire et source d'enseignement et d'une réflexion sur le métier d'historien. À partir du XIIIe siècle, la prose, jugée plus apte à dire le vrai, s'impose comme support, qu'il s'agisse de l'histoire au présent, celle de la quatrième croisade, relatée par Robert de Clari, Villehardouin, Henri de Valenciennes, ou de l'histoire ancienne. L'Histoire ancienne jusqu'à César, dont le succès se poursuivit tout au long du Moyen Âge, reprend le modèle des chroniques universelles, tandis que, plus innovants, les Faits des Romains fondent en prose française l'art du récit historique.

Historiographie (XIVe s.)

Marqué par une profonde crise économique et sociale, par des catastrophes naturelles (famines, épidémies) et par une série de conflits dévastateurs pour la France, le XIVe siècle n'en connaît pas moins une riche production historiographique, peut-être parce que les chroniqueurs et historiens ont éprouvé le besoin de consigner l'histoire au présent, en l'accompagnant d'une réflexion politique, sous-tendue par une nostalgie des valeurs et des prouesses révolues du temps passé. Se développent donc maintes chroniques, inspirées la plupart du temps par la guerre de Cent Ans et réalisées par des écrivains officiels, attachés à une cour ou à un milieu spécifique. Les Chroniques de Jean Froissart comptent parmi les plus célèbres ; ses quatre livres qui embrassent une très longue période (1373-1400) concernent aussi bien la France, surtout les Flandres et le nord de la France, que les autres pays engagés dans le conflit. Froissart donne de ce qu'il a vu, entendu et appris – car il a toujours pris soin de s'informer – une reconstitution à la fois fidèle et critique, brillante et expressive. Ayant remanié son texte à plusieurs reprises, il y laisse transparaître sa conception de l'histoire – son souci de comprendre la succession des faits, leurs causes et leurs conséquences – et sa vision de moins en moins positive du monde chevaleresque. D'autres chroniqueurs, attachés à la cour de Bourgogne, ont rendu compte, dans une prose souvent lourde, de l'histoire au quotidien des ducs de Bourgogne : ainsi Georges Chastellain (1415-1475), historiographe officiel de Philippe le Bon, dont la chronique, commençant à l'assassinat de Jean sans Peur (1419) et s'achevant au début du règne de Louis XI, rapporte les conflits opposant les ducs de Bourgogne aux rois de France, avec un souci d'objectivité. Aux côtés des chroniques peuvent se ranger les mémoires, ceux d'Olivier de la Marche (vers 1425-1502) portant sur la période 1435-1488, qui font une large place à ses réactions personnelles et à ses souvenirs des fastes de la cour de Bourgogne et de l'ordre de la Toison d'or. Mais ce sont surtout les Mémoires de Philippe de Commynes qui retiennent l'attention. Transfuge de la cour de Bourgogne, qu'il a trahie pour Louis XI, le mémorialiste travaille sur une longue période (1489-1498), intervenant au premier plan comme observateur et acteur : il décrit le monde, les individus et les événements, en s'essayant à comprendre leur complexité, au moyen d'une prose travaillée ; il tente aussi de proposer un art de gouverner où le pragmatisme l'emporte sur l'héroïsme chevaleresque. Dans un cadre plus officiel, les rois font l'objet de Mémoires, comme l'illustrent les Grandes Chroniques de France qui commencent sur les origines troyennes de la France : d'abord en latin, composées à l'abbaye de Saint-Denis, elles sont traduites en français. Au XIVe siècle, ces chroniques sont reprises, complétées et superbement ornées, sur ordre de Charles V, puis elles sont poursuivies jusque sous le règne de Louis XI. Texte marginal par son statut hybride, entre Mémoires, hagiographie, biographie, chronique, récit de voyage, la Vie de Saint Louis de Joinville (début du XIVe s.) se consacre quant à elle aux paroles et aux hauts faits du roi Louis IX, mais retrace aussi les propres souvenirs de l'auteur et évoque ses relations d'amitié avec le roi.

Littérature allégorique, didactique et morale

À partir du XIIe siècle se multiplient des textes en français, le plus souvent adaptés de textes latins, qui diffusent pour un public laïc un savoir qui est aussi un enseignement moral et religieux. Fondés sur le système de l'analogie qui unit monde réel et monde céleste, les Bestiaires (le plus ancien est celui de Philippe de Thaon, début XIIe siècle, le plus original, le Bestiaire d'amour, XIIIe s., de Richard de Furnival) interprètent allégoriquement les « natures » des animaux, qui imagent les mystères de la foi. La panthère, la licorne, le pélican, le lion sont des allégories du Christ. Au XIIIe siècle, le Livre du trésor de Brunetto Latini, qui procède d'une vision plus laïque, décrit et structure les différentes branches du savoir tandis que se développe la traduction des encyclopédies latines (Image du monde de Gossuin de Metz, Livre des propriétés des choses de Corbechon, au XIVe s.). Le règne de Charles V est globalement le moment fort du développement de la traduction d'œuvres didactiques, politiques, rhétoriques, juridiques, etc., un mouvement déjà amorcé par Jean de Meun, traducteur (fin XIIIe s.) de la Consolation de la philosophie de Boèce. Le plus actif représentant de ce courant est au XIVe s. Nicole Oresme, traducteur, entre autres, des œuvres morales d'Aristote. Parmi les productions didactiques du XIIIe siècle, on trouve également des manuels d'éducation courtoise (œuvres de Robert de Blois, le Livre des quatre âges de l'homme de Philippe de Novarre) ou encore, dans le sillage du Traité de l'amour courtois (fin XIIe s., en latin) d'André le Chapelain, des « arts d'aimer » imités d'Ovide, tandis qu'apparaissent en occitan les premiers « arts poétiques » (Las razos de trobar, Las leys d'amors), traités qui se développent en français à partir du XIVe siècle (Art de Dictier d'Eustache Deschamps, Arts de seconde rhétorique). L'enseignement moral et religieux pour les laïcs passe d'abord par la prédication en français (recueils de sermons de Maurice de Sully au XIIe s., œuvres en français de Jean Gerson, 1363-1429). Il s'exprime aussi, en alliance avec la veine satirique, dans les différentes « bibles » (ou « livre total » sur la société mondaine) qui offrent une revue critique de la société : au XIIIe siècle, Bible de Guiot de Provins, d'Hugues de Berzé, Besant de Dieu de Guillaume le Clerc, Livre des manières d'Étienne de Fougères), ou encore dans les Vers de la mort d'Hélinand de Froidmont (fin XIIe s.). La volonté d'édifier sous-tend également des œuvres très disparates dans leur forme et dans leur rapport au romanesque et au folklore comme les contes pieux, la Vie des Pères, les Miracles de la Vierge de Gautier de Coincy et les très nombreuses vies de saint(e)s. La forme du songe et le recours à l'allégorie caractérisent aussi les « voies » (voyages) de paradis ou d'enfer : ainsi du Songe d'enfer de Raoul de Houdenc (XIIIe s.) ou du Pèlerinage de vie humaine de Guillaume de Diguleville (XIVe s.). Véritable somme encyclopédique, le Roman de la Rose de Jean de Meun fonde en français la poésie scientifique et exercera une influence considérable à partir du XIVe siècle dans les différents champs du savoir. À la charnière du XIVe et du XVe siècle, les œuvres en prose de Christine de Pisan sont représentatives d'une production qui s'essaie aussi bien à la réflexion politique (Livre de Charles V, l'Avision Christine) qu'à l'écriture de l'histoire (Livre de mutacion de Fortune) ou à la défense des femmes (la Cité des dames).