Dictionnaire de la Littérature 2001Éd. 2001
E

Ellis (Bret Easton)

Écrivain américain (Los Angeles 1964).

De son premier roman, Moins que zéro (1985), à les Indics (1991) et à Glamorama (2000) en passant par son chef-d'œuvre, American Psycho (1991), Ellis explore l'ennui profond et le désœuvrement de la génération des jeunes riches blancs des années 1980. Que ce soit à Los Angeles ou à New York, les narrations mettent en scène la déshumanisation et l'homogénisation causées par la société de consommation capitaliste. Les noms de marques deviennent seuls objets de désir dans un univers où le corps et le sexe sont de simples marchandises, tout comme la drogue ou l'alcool. Ellis critique amèrement ces années de « banalité absolue ».

Ellison (Harlan)

Écrivain américain (Cleveland 1934).

Son expérience dans les bandes d'adolescents de New York lui fournit la matière explosive de l'un de ses rares romans (Barons de Brooklyn, 1958). Abandonnant New York pour Chicago puis la Californie, il devient scénariste pour la télévision et le cinéma (les Incorruptibles, Star Trek, 1967) et publie en 1967 une anthologie, Dangereuses Visions, qui sera suivie en 1972 de Dangereuses Visions, le retour, considérée comme le manifeste de la science-fiction moderne, rebaptisée « speculative-fiction ».

Ellison (Ralph Waldo)

Écrivain américain (Oklahoma City 1914 – New York 1994).

Son roman Homme invisible pour qui chantes-tu ? (1952) l'a imposé comme un des tout premiers écrivains noirs américains. Son originalité est d'avoir présenté le Noir non pas comme un être que la couleur de sa peau identifie, mais comme un être que les autres, les Blancs, refusent de voir. Le thème dostoïevskien du souterrain, allié à ceux de l'anonymat et de l'attente de la lumière, dessine un progrès spirituel et moral qui conduit à la prise de conscience du pouvoir de la non-identité : l'être que l'on peut voir est toujours l'être intérieur. Avec des tonalités picaresques, l'évocation de l'apprentissage de la lucidité ne se sépare pas d'un naturalisme et de notations commandées par la logique du « courant de conscience » et la rythmique du jazz. Ellison a donné de nombreuses nouvelles, publiées dans des revues, et réuni ses essais dans Ténèbres et actions (1964).

Ellroy (James)

Écrivain américain (1948).

Des débuts difficiles de junkie allant de petit boulot en petit boulot mènent finalement Ellroy à se consacrer à l'écriture à partir de 1984. Connu surtout pour le Dahlia noir (1987), premier volet de la tétralogie de Los Angeles, plus récemment pour American Tabloid et son autobiographie romancée Mes zones d'ombre, il n'est pas seulement un auteur de roman noir dans la lignée de Chandler ou de Hammett : ses descriptions de la corruption, de la dépravation et de la violence de Los Angeles culminent dans une vision de l'Amérique de la fin du XXe siècle comme mémoire d'une criminalité exacerbée et ridicule. Avec une ironie acide à la Beckett, il fait la chronique d'un monde dont sa propre trajectoire, de clochard drogué à écrivain à succès, serait la métaphore.

éloge

L'éloge, qui prit le nom de panégyrique lorsqu'il était prononcé dans une assemblée solennelle, relève de l'éloquence épidictique ou démonstrative, comme l'ode ou le blâme. Il fut, en Grèce, un genre bien défini. D'origine lyrique (Odes triomphales de Pindare), il devient chez les sophistes et dans les écoles de rhéteurs prétexte à exercices subtils sur des héros fabuleux ou des thèmes insignifiants (souris, fièvre, etc.). Il peut être un procédé didactique dans les œuvres sérieuses : éloge de l'amour dans le Banquet de Platon, de l'eau dans le traité Du baptême de Tertullien, exposés moraux ou politiques chez Isocrate. L'artifice du genre a vite suscité les parodies de l'Éloge de la mouche de Lucien à l'Éloge de la folie d'Érasme ou à l'Éloge de la goutte par Jérôme Cardan.

   La forme la plus répandue de l'éloge est l'éloge funèbre. Athènes, où, depuis Marathon, un orateur était chargé chaque année de l'éloge des guerriers morts pour la patrie, n'a laissé qu'un seul exemple authentique : le discours d'Hypéride après la guerre lamiaque. Mais les éloges apocryphes ne manquent pas, prêtés à Périclès, à Lysias, à Démosthène. Isocrate, dans l'Éloge d'Évagoras, roi de Chypre, donne la première de ces oraisons de princes où s'illustreront les rhéteurs de la fin de la période hellénistique et dont le plus célèbre reste l'Éloge de l'empereur Julien par Libanios. Rome, où l'éloge faisait partie du rite des funérailles, ne nous a rien laissé de ces compositions, à l'exception d'un fragment de l'éloge de Scipion Émilien par Laelius. Avec le christianisme, l'éloge funèbre devient oraison : la glorification du mort est l'occasion de l'édification des fidèles (Oraisons funèbres de Bossuet). Si le genre – avec l'œuvre poétique de Saint-John Perse (Éloges, 1911) – a parfois retrouvé, hors de la perspective religieuse, une certaine actualité (André Malraux a voulu restituer, sans toujours éviter la grandiloquence, le sublime propre à l'évocation des vies illustres, dans ses éloges de Jean Moulin et de Le Corbusier), l'éloge subsiste surtout aujourd'hui sous sa forme académique : essai didactique au XVIIIe s. qui va de l'économie politique (Turgot, Éloge de Gournay) à l'esthétique littéraire (Diderot, Éloge de Richardson), le genre, illustré par Fontenelle, Condorcet, d'Alembert, reste imposé aux Académiciens français lors de leur réception.

Eloglu (Metin)

Peintre et poète turc (Istanbul 1927 – 1985).

Son inspiration, d'abord sociale et qui se traduit par un langage familier, voire argotique (la Cocotte-minute, 1951), évolue ensuite, sans perdre de son humour, vers un lyrisme plus symbolique (l'Enfant qui a peur du coq, 1960 ; l'Adresse de la Turquie, 1965 ; le « G » mou, 1975).

éloquence

Jusqu'au XVIIe s., l'éloquence recouvre le concept de littérature. Héritier de Démosthène et de Cicéron (éloquence judiciaire et politique) ou des apôtres et de saint Augustin (éloquence religieuse), l'orateur exerce le plus haut magistère de la parole. C'est à partir de l'éloquence que se constitue la réflexion rhétorique : elle est l'axe de tous les débats sur le style. D'autre part, de Quintilien à Baltazar Gibert (Jugements des savants sur les auteurs qui ont traité de rhétorique, 1713-1719), la problématique de l'éloquence ne cesse de se poser en termes de « corruption » et de « décadence ». Décadence liée, dès l'origine, à l'état politique et social : l'art de penser et de dire la vérité se perd, pour Tacite (Dialogue des orateurs), sous la tyrannie, comme pour Pétrarque la disparition de la pure « latinité » est liée à l'effondrement de l'Italie et à la prépondérance barbare de la scolastique de l'Université de Paris. Aussi les efforts incessants depuis l'Antiquité pour redéfinir les règles de l'éloquence sont-ils inséparables de la conscience des conditions morales et politiques dans lesquelles elle s'exerce (de saint Jérôme à la noblesse de robe française des XVIe et XVIIe s.). Or, depuis Platon (Gorgias, Phèdre), une question fondamentale domine les débats sur l'éloquence : faut-il la confondre avec la sophistique et donc l'opposer à la philosophie et à l'expression sincère d'une vérité profonde ? L'orateur, comme Lysias, ne sait ni raisonner rigoureusement ni s'inspirer du mythe : l'éloquence a donc besoin à la fois de la philosophie (la dialectique) et de la poésie (l'inspiration). Aristote (Rhétorique, I-II) ajoute à ces secours la pratique de l'enthymène, syllogisme fondé sur la « vraisemblance ». Cicéron (De oratore, III) tentera la synthèse entre Aristote et Platon : nous ne connaissons que l'ombre de la vérité ; la philosophie comme la rhétorique débattent de questions douteuses et s'appuient l'une sur l'autre. Si Philon d'Alexandrie (De congressu eruditionis causa), à la suite de Plutarque (De educatione puerorum), fait de l'éloquence l'esclave de la philosophie, Sénèque (Lettres à Lucilius, 38) et Tacite (Dialogue des orateurs, 41) ne voient en elle qu'un parasite : l'évidence du vrai se passe de discours. Saint Augustin (Contra academicos) limitera cette certitude aux vérités mathématiques, faisant de l'éloquence qui naît d'une méditation intérieure l'auxiliaire de la foi : il distingue d'ailleurs deux éloquences, celle des mots et celle du cœur, dont le modèle, après le Christ, est saint Paul (« La vraie éloquence se moque de l'éloquence », Pascal, Pensées). Le mythe d'un primitivisme de l'éloquence – qui aurait réuni pureté des mœurs, richesse des idées, simplicité du discours et qui serait passée de l'Athènes classique à Sparte puis à la Rome de Caton et des Gracques – subsistera cependant jusqu'au XVIIe s. : c'est le fameux style « laconique » célébré par le disciple de Juste Lipse, Henri Dupuy (De laconismo syntagma, 1609).

   « Héritier de la Renaissance, le XVIIe siècle est, en Europe, l'Âge de l'éloquence » : ces mots de Marc Fumaroli fournissent le titre et le dessein de son étude célèbre. Pourquoi la France capte-t-elle désormais l'héritage antique et humaniste de l'éloquence ? comment et pourquoi s'en empare-t-elle ? Le prestige de la République des lettres françaises, la magistrature puissante dotée d'une éloquence civique qui se veut l'héritière de celle du Forum, l'usage du français qui s'est imposé depuis François Ier, enfin l'avènement de Louis XIII et de Richelieu se chargent de fournir à une société civile l'idéal d'une France dont les arts et les armes doivent dominer l'Europe. Cette suprématie politique et culturelle passe par l'élaboration d'un corps de langue national : celui-ci, incarnation de l'État et énonciation de sa Loi depuis l'édit de Villers-Cotterêt en 1539, transcende les dialectes professionnels et locaux du royaume. L'Académie française la stabilise d'après l'usage de la « plus saine partie de la Cour », prévoit un dictionnaire, mais aussi une rhétorique et une poétique. Le français se donne des règles et des normes pour fixer et construire le mythe d'une langue vulgaire au-dessus des autres, véritable latin des Modernes. Le mécénat royal, le rôle fédérateur de la Cour vont se charger, non sans polémiques, de prôner une éloquence dont on entend bien, tout en s'appuyant sur l'Antiquité, chasser les fantômes du XVIe siècle : désormais la fureur des poètes platonisants, les véhémences de l'éloquence civique des troubles, son ancrage dans un latin d'école sont bannis. Le nouvel idéal civil d'éloquence française ne doit être ni celui des érudits (auxquels on abandonne le néo-latin), ni celle des partis en conflit (le père Garasse est ainsi condamné pour la raillerie et la violence dont il fait preuve dans sa Doctrine curieuse des beaux esprits, en 1623) : l'éloquence sera celle du corps du royaume, aussi se doit-elle d'être grave, brève, accordée à la majesté royale dont elle sera la première servante. L'Académie sert ce projet de donner aux héros du royaume leur beau langage : elle servira de guide pour le style (l'elocutio) qui se substitue alors au rôle fondamental de l'inventio. Si le roi, en effet, confisque les choses dont on parle (ce qui relève de l'inventio), est tout à la fois l'orateur et le sujet de son historiographie et de ses éloges, il laisse aux hommes de lettres et aux particuliers le terrain des figures de style où savants et honnêtes gens rivalisent autour de la question du « meilleur style ». Magistrats, théologiens, hommes de lettres concourent ainsi à produire le mythe d'une éloquence française qui aurait l'universalité de l'éloquence antique et dont la Cour et son prince seraient à leur tour les modèles à imiter.

   Selon le Dictionnaire universel de Furetière (1690) « On appelle Lettres humaines ou Belles lettres la connoissance des Poëtes, et des Orateurs » : l'écrivain, l'auteur, ne sont encore rien, seul compte encore l'orateur qui imite, illustre et amplifie le trésor antique, à l'oral comme à l'écrit. Car les belles-lettres ne distinguent pas encore la littérature comme une catégorie spécifique à l'intérieur des savoirs, elles appartiennent à l'avocat, à ce nouvel éloquent moderne qu'est l'ambassadeur, mais aussi au prédicateur comme au poète, au sens large. Propre à la conversation, au discours, à l'oraison, aux relations épistolaires, l'éloquence laisse entendre entre ces genres que nous avons depuis peu séparés, le pouvoir de la voix (de la pronunciatio), mais déjà aussi celui du style écrit qui cherche à tempérer le naturel vocal et son pathétique. L'éloquence doit se garder de toute violence, pour se trouver, dans la douceur et parfois, il faut le dire la suavité, un ton accordé à la nouvelle civilité et à sa politesse mondaine, qui enregistrent la norme en fonction du goût et de l'usage commun à la Cour et à la ville.

   Si, toujours selon Furetière, « le prédicateur chrétien ne doit pas affecter les manières brillantes et impérieuse de l'éloquence mondaine », il travaille cependant, depuis le concile de Trente et la politique religieuse de la contre-réforme, à l'efficacité rhétorique d'une pastorale destinée aux hommes et aux femmes du monde. L'éloquence religieuse doit servir le projet d'une dévotion civile dont l'esprit salésien sera le meilleur représentant. Porte-parole de la vérité, le prédicateur, mais aussi l'écrivain dévot (que l'on songe aux romans dévots de l'évêque Camus, par exemple), doit se méfier de l'exercice mensonger d'une rhétorique pleine d'effets et de faux brillants et veiller pourtant à convaincre un auditoire sensible aux pièges du geste, de la voix et des figures. Des hésitations que connaîtra la rhétorique sacrée au début du siècle, prise dans les filets d'une rhétorique asianiste où domine le jeu des figures et des embellissements, l'éloquence sacrée se sortira en préférant une éloquence de la brevitas, cet atticisme sénéquien qui prédominera au profit d'une éloquence grave et resserrée. Les jésuites, en particulier, choisiront, surtout dans la première moitié du siècle, une éloquence à l'italienne, maniériste, souvent riche en amplifications dévotes, en tableaux destinés à s'adapter – comme le veut la spiritualité jésuite – au public auquel ils s'adressent. Les pères Binet, Richeome, Le Moyne appartiennent à ce courant de l'éloquence religieuse que l'on appellera parfois aussi, non sans confusion, l'humanisme dévot. À cette rhétorique des images et des figures, fascinée par un Dieu artiste, par les pouvoirs de l'imagination et des peintures mentales s'oppose, pour en triompher, une éloquence moins orale, moins sujette aux passions de la voix et de l'orateur, qui trouvera dans la douceur et la période d'un Bossuet sa forme classique.

   Aussi le personnage de l'orateur sera-t-il jusqu'à cette époque survalorisé, dans sa version civique (par l'éloquence gallicane et parlementaire) et religieuse (le style sublime est par excellence le style de l'éloquence sacrée), et jouera un rôle de référence dans la définition de toutes les techniques d'expression – ainsi dans la comparaison, fréquente dans les traités de rhétorique, entre orateur et acteur : prédicateurs et avocats ont souvent recours à la prosopopée, évoquant saints ou héros ; l'orateur est à lui seul une troupe de comédiens, changeant de rôle et de registre suivant son sujet et son auditoire – le P. Louis de Cressolles (Vacationes autumnales, II, 1620) analyse ainsi, à propos de l'action de l'orateur (doit-elle être vécue ou calculée ?) le passage même du De ira de Sénèque qui inspirera le Paradoxe du comédien de Diderot (pour qui, d'ailleurs, « l'argument du philosophe n'est qu'un squelette ; celui de l'orateur est un animal vivant », Lettre à Falconet). Marmontel fera encore de la poésie « l'éloquence même dans toute sa force et avec tous ses artifices ». L'histoire de la littérature (et singulièrement de la poésie) française est ainsi marquée par l'évaluation de l'enjeu théorique et pratique de cette assimilation (d'Alain Chartier à Ronsard et à Hugo), tantôt acceptée, tantôt discutée (c'est contre l'éloquence que se constitueront et le style du classicisme français et la notion moderne de littérature) jusqu'au refus décisif de l'Art poétique de Verlaine (« Prends l'éloquence et tords-lui son cou ! »).