Saint-Réal (César Vichard, abbé de)
Écrivain et historien français (Chambéry 1639 – id. 1692).
Il mena une vie de diplomate et de mondain, au service de la maison de Savoie, dont il devint historiographe. Moraliste autant qu'historien, il est marqué par l'augustinisme : son regard sur la nature humaine est profondément pessimiste. Si l'histoire est utile, c'est parce qu'elle nous apprend à connaître les passions humaines, qui l'expliquent (De l'usage de l'histoire, 1671 ; Césarion, 1684). D'où son intérêt pour l'histoire secrète (Conjuration des Espagnols contre la République de Venise, 1674), et sa tendance à la romancer : sa « nouvelle historique », Dom Carlos (1672), la première du genre, non sans portée pamphlétaire dans un contexte d'hostilités franco-espagnoles, brosse en un style maîtrisé un tableau sombre et flamboyant des intrigues politico-religieuses et des passions (l'amour et la haine, la méfiance, l'ambition, la curiosité, l'amour de soi, voire la folie) qui ravagent de l'intérieur la monarchie et la cour espagnoles, et brisent les êtres purs (la princesse française Élisabeth). Son ambiance tragique inspira Schiller (Dom Carlos, 1787).
Saint-Simon (Louis de Rouvroy, duc de)
Mémorialiste français (Paris 1675 – id. 1755).
Fils d'un page de Louis XIII (créé duc et pair parce qu'il savait, à la chasse, présenter mieux que les autres son cheval au souverain), il reçoit une éducation plus soignée que celle des jeunes gens de son rang et, très jeune, se lie d'amitié avec le duc de Chartres, le futur Régent. Mousquetaire à 16 ans, maître de camp à 18, il se distingue au siège de Namur et à la bataille de Neerwinden (1692), dont il écrit une Relation à l'intention de sa mère et de Rancé – le réformateur de la Trappe avec qui il restera toujours en relation. Muté dans l'armée d'Allemagne sous les ordres du maréchal de Lorge, il épouse la fille de celui-ci (1695), mariage qui lui apporte, outre une belle dot, un beau-père influent, trois enfants et un solide amour conjugal. En 1702, mécontent de n'être pas promu « brigadier » (général), il quitte le service et partage son temps entre la cour et son château de la Ferté-Vidame. Saint-Simon se fait alors l'observateur impitoyable de la cour des dernières années du règne de Louis XIV et de Mme de Maintenon, années sombres, empoisonnées par les deuils et les revers. Avec la mort en 1712 du duc de Bourgogne et la marginalisation de ses proches (Fénelon), il perd son plus grand espoir politique. Certes, ses liens avec le Régent le rapprochent du pouvoir, mais son influence réelle et son rôle politique effectif ne seront pas à la mesure de ses ambitions ni de ses projets de réforme. Éclipsé par Dubois, Saint-Simon n'est qu'une parodie de ministre voué aux emplois décoratifs : lit de justice en 1718, ambassade à Madrid (1721-1722) qui lui inspire un Tableau de la cour d'Espagne, suivi, à son retour, d'études sur la noblesse (Des prérogatives que les ducs ont perdues, etc.). À la mort du Régent, il quitte le gouvernement des roués pour son château de La Ferté-Vidame : pendant trente-deux ans, attristé par la mort de sa femme et de ses deux fils, ce « Tacite à la Shakespeare » (Sainte-Beuve), « écrivant à la diable pour l'immortalité » (Chateaubriand), notant les petits faits avec une passion qu'il s'est longtemps reprochée (il confia ses doutes et ses angoisses à Rancé), va chercher à comprendre après coup un temps qu'il exècre (« un règne de vile bourgeoisie ») et un roi (Louis XIV) qui le rebute assez pour qu'il ne campe jamais son portrait en pied, mais qui l'obsède au point de faire sentir partout sa présence formidable et diffuse. En 1739 commence ainsi la rédaction des Mémoires, qui s'achèvera en 1752, mais ne seront publiés dans leur intégralité qu'en 1829.
Un style à images et à ellipses
Entièrement pénétré de sa conscience de classe, Saint-Simon met au jour le dessein constant de la monarchie absolue depuis Richelieu : la mise à l'écart de la grande aristocratie. Il rejoint les thèses des « germanistes », tels Boulainvilliers et Montesquieu : l'absolutisme détruit l'ordre fondamental et naturel de la société, qui unit le roi et sa noblesse, et, privant la monarchie de son assise, et la liberté de ses garants, laisse face à face le peuple et le monarque. Car ce passéiste se bat aussi pour la liberté, la sienne, celle des ducs et pairs (c'est un « ducomane », dira Stendhal), mais aussi, pense-t-il, celle du roi et des sujets. La lucidité et la hargne du mémorialiste à l'égard de la Cour et de son cérémonial ne se comprennent que par cette idéologie et la conscience de sa propre situation. Comme le fera bien plus tard Proust, Saint-Simon lit l'histoire dans les signes sociaux les plus imperceptibles de la mondanité. Le ressentiment, qui fait son génie, donne sa couleur à une immense fresque historique. L'écriture baroque bouscule tous les académismes, se débarrasse des conventions du goût et ne dédaigne pas d'emprunter des mots à un passé plus truculent. L'originalité du style est alors l'image de la solitude de l'homme – c'est là qu'apparaît, dans l'éloignement et la pudeur, un sujet d'autobiographie que cache la discrétion du mémorialiste. Saint-Simon se bat contre la mort qui l'a saisi tout vif avec son monde.
Saint-Victor (Paul Bins, comte de)
Essayiste et critique français (Paris 1825 – id. 1881).
Secrétaire de Lamartine, il collabora à l'Artiste, au Moniteur universel, à la Presse et fut un des plus brillants éléments de la critique romantique, ami de T. Gautier, de Delacroix et des Goncourt. Admirateur de l'Antiquité, il laisse une œuvre de critique et d'historien de l'art et du théâtre (les Dieux et les Demi-Dieux de la peinture, 1864 ; Hommes et Dieux, 1867 ; Victor Hugo, 1885 ; Anciens et Modernes, 1886 ; le Théâtre contemporain, 1889).
Sainte-Beuve (Charles Augustin)
Écrivain et critique français (Boulogne-sur-Mer 1804 – Paris 1869).
À la faveur de quelques articles admiratifs dans le Globe (2-9 janvier 1827), Sainte-Beuve devient l'ami de Hugo et milite à ses côtés dans le Cénacle. S'il soutient Hugo et l'influence par sa culture, Sainte-Beuve subit l'attraction de la force du maître et surtout se prend d'une passion secrète pour Adèle Hugo. En 1828, il publie un Tableau historique et critique de la poésie française et du théâtre français au XVIe siècle dans lequel il justifie les audaces romantiques par celles des poètes de la Pléiade qu'il cherche à tirer de l'oubli. Son ambition serait de se distinguer comme poète ; mais en 1829, Vie, poésies et pensées de Joseph Delorme est froidement accueilli. Toujours hésitant, il collabore à la Revue de Paris, renonce à une chaire de littérature française à Besançon, voyage un peu (Allemagne, Belgique) tout en entretenant une correspondance artistique (lettres et préfaces) avec les Hugo, qui inspirent les Consolations (1830) : ambivalente amitié pour Victor, rêve d'amour pour Adèle, goût pour la vie domestique, soif de pureté, nostalgie du passé révolu. Ce sensuel, rongé de désirs qu'il n'assume pas, n'ose se déclarer et fuit Adèle en Normandie. Pourtant, fin 1831-début 1832, Adèle succombe. Une hostilité jalouse l'oppose désormais à Hugo, sur lequel il publie des articles sévères (notamment à propos des Feuilles d'automne, en décembre 1831). En avril 1832, il donne un premier volume de Critiques et Portraits littéraires ; les tomes 2 et 3 paraîtront en 1836, 4 et 5 en 1839 ; en 1844, ils seront scindés en Portraits littéraires, consacrés aux morts, et Portraits de femmes. Au début de 1833, Sainte-Beuve noue une amitié littéraire avec George Sand, dont Indiana et Lélia représentent son idéal romanesque. Lui-même, depuis 1831, travaille à des projets de romans. En juillet 1834, il publie enfin son roman Volupté, autobiographie transposée. Cette œuvre, souvent rééditée (6 éditions de 1840 à 1869), a donné lieu à des concurrences bruyantes, de Balzac (le Lys dans la vallée, 1835) à Flaubert (première ébauche de l'Éducation sentimentale en 1838). Œuvre pessimiste et qui fait écho aux préoccupations religieuses de l'auteur (c'est l'époque d'une certaine proximité spirituelle avec Lamennais) et à ses propres échecs, Volupté vaut surtout par ses qualités d'introspection, mais laisse une impression mélangée due au ressassement d'une problématique vieillie, à une certaine fadeur, à l'omniprésence d'une complaisance sans issue.