littérature latine (suite)
L'essor de la littérature patristique
L'image traditionnelle d'une latinité décadente ne rend pas compte de la richesse de la littérature antique tardive. La christianisation de l'Empire rendit nécessaire l'élaboration d'un idiome spécifique au christianisme et favorisa le développement de la littérature patristique (Hilaire, Ambroise, Jérôme, Augustin). Toutefois, même si la prise de Rome par le Wisigoth Alaric en 410, qui inspira à Augustin la Cité de Dieu, accéléra la décomposition de la civilisation antique, elle n'a pas entraîné l'abandon des auteurs païens, dont la lecture était considérée comme un préalable aux études sacrées (Augustin, De doctrina christiana). Au cours du Ve s., les besoins de la pastorale, le combat contre les hérésies et le développement des premiers centres monastiques (Lérins) multiplièrent la production de sermons, de traités théologiques et d'une abondante littérature spirituelle. Mais ni la conversion de la culture antique ni la chute de l'Empire d'Occident en 476 ne provoquèrent la disparition des lettres latines : tout en contribuant à la rédaction de textes pontificaux, Ennode de Pavie (vers 473-521) entretient encore l'héritage de la latinité (épîtres, discours, poèmes, opuscules) et tente de promouvoir un syncrétisme entre la romanité et le pouvoir gothique (Panégyrique de Théodoric).
L'époque de transition : vers l'Europe latine
Les grands esprits du VIe s., considérés parfois comme « les fondateurs du Moyen Âge » (E.K. Rand), entreprirent alors la synthèse de la culture antique et des lettres chrétiennes : Cassiodore (vers 487– v. 583) écrivit un plan complet des études profanes et religieuses (Institutions) ; Boèce (480-524), par ses traités (Consolation de la philosophie), initia le Moyen Âge à la philosophie grecque ; Isidore de Séville (570-636) essaya de transmettre l'érudition profane (Étymologies) ; le pape Grégoire le Grand (540-604), par ses Morales sur Job et ses Dialogues, fut considéré comme l'un des Pères de l'Église occidentale. La pureté stylistique de son œuvre contraste avec le déclin des lettres latines dans le royaume franc malgré l'épopée du poète ravennate Venance Fortunat, qui était devenu évêque de Poitiers (Vie de saint Martin). En adaptant sa prose aux lecteurs de son temps, Grégoire de Tours, hagiographe et historien des Francs, illustre l'appauvrissement culturel et linguistique de la Gaule mérovingienne. Les causes de ce déclin sont multiples : l'érosion de l'Empire depuis plusieurs siècles et les conflits entre les royaumes romano-barbares avaient entraîné la disparition des écoles et rendu les communications de plus en plus difficiles. Les régions se repliaient sur elles-mêmes et leur pratique du latin donnait naissance aux langues romanes. Mais la langue latine n'en conservait pas moins son prestige : les codes juridiques des peuples barbares furent écrits en latin (la loi des Burgondes ; la loi salique des Francs) et l'Église reprit le flambeau de la latinité à travers la prédication, la liturgie, l'enseignement des Écritures et l'essor du monachisme (diffusion de la règle de saint Benoît et production de textes hagiographiques). La christianisation répandit alors le latin jusqu'aux franges de l'Europe. En témoignent les monastères de Cantorbéry, de Malmesbury, de York, où ont été formés des écrivains aussi prestigieux que Bède le Vénérable (vers 672-735) qui composa des traités de métrique, de rhétorique, d'orthographe, de sciences naturelles, d'histoire et des commentaires bibliques. La restauration des études latines pouvait alors unifier la chrétienté romaine et constituer en face de l'Empire byzantin un Empire occidental.
La « renaissance carolingienne »
Initiée par Alcuin sous l'autorité de Charlemagne, cette réforme culturelle fut à l'origine de la « renaissance carolingienne ». Le fondement de l'éducation devenait l'enseignement des sept arts libéraux : le trivium (grammaire, rhétorique, dialectique) et le quadrivium (arithmétique, géométrie, astronomie, musique). La recherche des manuscrits, dont témoigne la correspondance de Loup de Ferrières (vers 805-862), et la lecture des auteurs classiques développèrent la pratique du latin et perpétuèrent les normes intellectuelles de l'Antiquité. Les écoles se multiplièrent, surtout dans les grandes abbayes de France et d'Allemagne. L'enseignement y bénéficia des ateliers de copistes, où se forma une écriture inspirée elle aussi des modèles anciens, la minuscule caroline, qui facilita la lecture et la diffusion du savoir. Charlemagne s'entoura des meilleurs esprits de son temps, l'Anglais Alcuin, les Italiens Paulin d'Aquilée, Pierre de Pise, Paul Diacre le Lombard, l'Espagnol Théodulfe, les poètes francs Angilbert et Éginhard, qui écrivit une Vie de Charlemagne inspirée de Suétone. Les écoles furent très actives à Fulda avec Raban Maur (780-856), à Reims avec Hincmar (806-882) et à Auxerre avec Haimon et Heiric. La littérature manifeste alors un goût prononcé pour l'histoire, comme en témoigne le poème épique Waltharius. Mais le IXe s. connut aussi de grands théologiens comme Jean Scot Érigène (810-877), qui fut mêlé à la controverse sur la prédestination suscitée par le Saxon Gottschalk.
L'âge d'or des grands monastères
Au Xe s. eut lieu à Cluny une réforme du monachisme bénédictin allant dans le sens d'une affirmation de l'autonomie ecclésiastique face au laïques, qui joua un rôle capital dans l'évolution culturelle, en motivant le développement d'une littérature conceptuelle très riche. Odon (879-942), abbé de Cluny, participa au développement des idées, à la doctrine littéraire et philosophique. Les sept arts et, surtout, la grammaire firent des progrès grâce à Abbon de Fleury-sur-Loire (945-1004). Ce mouvement aboutit en l'an mille à l'œuvre de Gerbert d'Aurillac (vers 940-1003), considéré comme le meilleur spécialiste de toutes les sciences de son temps et élu pape sous le nom de Sylvestre II à Rome. Dans les pays germaniques, les écoles se développent au cours du Xe et du XIe s. dans les monastères comme Saint-Gall, illustré par Notker le Bègue (840-912), musicien et poète liturgique, inventeur de la « séquence ». À Gandesheim, la religieuse Hroswita (935-1000) composa des vies de saints en leur donnant la forme des comédies de Térence. L'Italie accueillit Rathier de Liège (905-974), évêque de Vérone, qui découvrit les poèmes de Catulle et fit œuvre de moraliste avec ses Praeloquia.
Des écoles monastiques aux premières universités
En France au XIe s., les écoles monastiques carolingiennes (Tours, Corbie, Ferrières, Auxerre) reculent au profit des abbayes de Fleury-sur-Loire, de Gembloux et du Bec en Normandie, qui doit son éclat à un Italien de Pavie, Lanfranc (1005-1089), dialecticien et théologien ; il a ouvert la voie à Anselme, théologien (vers 1033-1109), qui lui succédera comme abbé du Bec et comme archevêque de Cantorbéry.
Les circonstances religieuses ont suscité de nombreux témoignages historiques, dont ceux de Guibert de Nogent (1053-1104) et de Raoul Glaber († 1050). La poésie clôt le XIe s. français avec quatre poètes humanistes, tous d'une grande sensibilité : ce sont deux moines, Baudri de Bourgueil (1046-1130) et Raoul le Tourtier (vers 1065-v. 1120), Marbode (vers 1035-1123) et Hildebert de Lavardin (1056-1134), archevêque de Tours.
Au XIIe siècle, la croissance démographique et diverses mutations sociales et économiques ont suscité un remarquable essor de la vie intellectuelle et littéraire, faisant de cette période l'âge d'or du latin médiéval. La culture sort des cloîtres. La multiplication des florilèges de citations classiques (florilegium angelicum) témoigne du développement des artes dictaminis et de la renaissance de l'art épistolaire. Une nouvelle culture grammaticale et rhétorique se répand à partir de l'école de Chartres. Paris devient un centre international dans l'étude des arts libéraux et de la théologie, cependant que Bologne cultive le droit. La théorie littéraire produit des « arts poétiques », légiférant sur la composition et le style. La poésie religieuse offre des hymnes, comme celles qu'Abélard a composées pour le monastère d'Héloïse, ou des séquences, comme celles d'Adam de Saint-Victor. La poésie profane – celle des « goliards », nom donné aux clercs errant de centres d'enseignement en centres d'enseignement, à la recherche de savoirs et de mécènes, dont les Carmina Burana présentent les principaux thèmes d'inspiration – est satirique, amoureuse ou parodique, plaisante ou sentimentale. Trois noms dominent cette production : Hugues Primat d'Orléans, le mystérieux « Archipoète » et Gautier de Châtillon. Ce dernier fit aussi une épopée, l'Alexandréïde, qui devint une œuvre classique. La prose peut prendre la forme de sermons (saint Bernard), de lettres (Abélard et Héloïse), de traités pédagogiques ou moraux (Jean de Salisbury avec son Metalogicus et son Polycraticus).