Croatie (suite)
La Croatie continentale
Après la perte de la Dalmatie, au XVe s. le centre de gravité du royaume de Croatie, uni à la couronne hongroise, se déplace vers le nord. Là, ce sont les écrivains protestants qui utilisent dans leurs œuvres la langue populaire. Stjepan Konzul (1521) et Antun Dalmatin (mort en 1579) traduisent le Nouveau Testament. Au XVIIe s. les auteurs croates écrivent en langue populaire, souvent à la recherche d'une identité nationale : Antun Vramec (mort en 1587), Petar Zrinski (1621-1671), Juraj Krizanic (mort en 1683), Pavao Ritter Vitezovic (1652-1713). Le XVIIIe s. est surtout didactique : Tito Brezovacki, Matija Reljkovic (1732-1798).
Le renouveau national
Au début du XIXe s. les Croates n'ont aucune unité, ni politique ni culturelle. Ils sont dispersés sous des autorités diverses, et la tradition littéraire est partagée en trois dialectes : kajkavien, cakavien et stokavien. C'est dans ces conditions qu'ils reçoivent les idées des philologues panslavistes pour qui les Slaves ne forment qu'un seul peuple réparti en plusieurs branches. L'une de celles-ci est la branche slave du Sud, appelée « illyrienne ». Ljudevit Gaj (1809-1872) a créé à Zagreb un journal et un périodique culturel, Danica. Il réussit à imposer comme langue littéraire unique le dialecte stokavien – dialecte également adopté par les Serbes avec Vuk Karadzic (pacte de 1850 à Vienne). À l'instar de la Matica srpska des Serbes, Gaj crée à Zagreb la Matica ilirska, devenue par la suite Matica hrvatska. Le mouvement illyrien de Gaj plaçait le renouveau de la littérature croate dans le cadre d'une unité culturelle de tous les Slaves du Sud. La littérature illyrienne est représentée par les poètes Ivan Mazuranic (1814-1890), Stanko Vraz (1810-1851), Dimitrije Demeter (1811-1874), Petar Preradovic (1818-1872). Après les événements de 1848-1849, la cour de Vienne impose centralisme et germanisation. La plupart des écrivains illyriens cessent alors de publier.
Après le retour à la vie constitutionnelle en 1860, la littérature croate retrouve des conditions d'existence plus favorables. À Zagreb ont été créées l'Académie et l'Université. August Senoa, grand écrivain croate, organise la vie littéraire autour de la revue Vijenac : il y publie le premier véritable roman croate, l'Or de l'orfèvre, en 1871, bientôt suivi d'autres romans historiques. Bien qu'imbu du sentiment national croate, Senoa était plutôt demeuré fidèle à l'idéal illyrien, désormais appelé yougoslave. Cependant, une réaction aux idées de communauté slave du Sud un nationalisme croate allaient marquer la génération suivante : Ante Starcevic (1823-1896), Eugen Kumicic (1850-1904), etc. Les représentants de l'époque réaliste sont : Ante Kovacic (1854-1889), Ksaver Sandor Gjalski (1854-1935), Josip Kozarac (1858-1906), Vjenceslav Novak (1859-1905), Janko Leskovar (1861-1949), August Harambasic (1861-1911), Silvije Strahimir Kranjcevic (1865-1908).
Depuis le début du XIXe s. la littérature croate, illyrienne ou réaliste avait eu pour finalité première de définir et d'exprimer des problèmes de société, avant tout la question nationale. La critique littéraire est soucieuse de déterminer les normes de la langue et elle n'a pas d'intérêt pour les problèmes esthétiques. Dans les toutes dernières années du siècle apparaît une réaction à ce type de la littérature, la Moderne, qui cultive le pessimisme et tente d'approfondir la psychologie individuelle (Antun Gustav Matos, M. Dezman, M. C. Nehajev, M. Marjanovic, Vladimir Vidric, Dinko Simunovic, Janko Polic Kamov, Ivo Vojnovic, Vladimir Nazor).
L'entre-deux-guerres
La victoire alliée de 1918 réalise l'union des peuples yougoslaves. Dès avant la fin de la guerre, les courants d'avant-garde européens avaient pénétré dans la littérature croate décloisonnée par la Moderne. Antun Branko Simic (1898-1925), influencé par l'expressionnisme, chante la pauvreté et le corps humain. Il a été le pionnier de l'avant-garde croate. Tin Ujevic (1891-1955) assimile les influences des diverses écoles européennes. Milan Begovic (1876-1948) a débuté à l'époque de la Moderne. Dès le lendemain de la Première Guerre mondiale, la révolution d'Octobre 1917 avait séduit de jeunes écrivains comme August Cesarec (1893-1941) et Miroslav Krleza (1893-1981). Dans un premier temps, ils s'inspirent des techniques expressionnistes pour critiquer l'ordre social. Krleza refuse de soumettre l'art aux impératifs de la politique. Sa poésie exprime une sombre vision du passé national (Ballades de Petrica Kerempuh). Ses nouvelles (Mars, dieu croate ; l'Enterrement à Theresienburg) et ses romans (le Retour de Philiphe Latinovic) jettent une lumière trouble sur une société cruellement caricaturée. Ses nombreux drames traitent des horreurs de la guerre et, plus tard, dans une manière qui doit beaucoup aux grands dramaturges scandinaves, la dégénérescence d'une grande famille de Zagreb (les Glembay). La puissance de sa personnalité et les circonstances l'ont fait dominer la vie littéraire croate pendant les années qui suivent. Au début de la Seconde Guerre mondiale, le jeune écrivain Ivan Goran Kovacic composa la Fosse, le plus émouvant des poèmes de guerre des littératures yougoslaves. Peu après, il fut massacré par l'ennemi.
L'après-guerre
L'immédiat après-guerre voit triompher les conceptions d'une littérature très engagée politiquement. Le règne du réalisme socialiste est de courte durée et s'effondre au début des années 1950 sans avoir produit d'œuvres importantes. Krleza est à la tête de ceux qui, dès le lendemain de la rupture de la Yougoslavie avec le camp socialiste, réclame le retour à la pluralité des styles. Majoritairement, les écrivains et les poètes restent fidèles aux thèmes sociaux et au lyrisme individuel de l'entre-deux-guerres (Krleza, Vjekoslav Kaleb, Novak Simic, Ivan Doncevic, Marin Franicevic, Sime Vucetic,Dragutin Tadijanovic, Dobrica Cesaric). Jure Kastelan et Vesna Parun sont le véritable lien avec la sensibilité poétique européenne. Durant les années 1950, la littérature croate reprend la voie tracée par la Moderne puis par l'arrivée des avant-gardes européennes pendant l'entre-deux-guerres. Autour de la revue Krugovi (Cercles) se groupent de jeunes écrivains anticonformistes : Ivan Slamnig, Ivan Kusan, Antun Soljan, Slobodan Novak et, plus traditionnel, Ivan Raos. Les poètes cultivent l'intellectualisme : Slavko Mihalic, Milivoj Slavicek, Vlado Gotovac. La génération des années 1960 amorce un retour au réalisme mais dans une langue inspirée des jargons faubouriens : Zvonimir Majdak, Alojz Majetic, Branislav Glumac. Ils sont des représentants de cette littérature dite « en blue-jean ». Autour de la revue Razlog (la Raison), les poètes refusent le lyrisme métaphorique. Ils expriment leurs idées philosophiques dans une langue d'une grande pureté, comme Danijel Dragojevic ou Dubravko Horvatic. Le plus populaire d'entre eux est Luka Paljetak, tandis que Vesna Krmpotic apporte l'écho de l'Orient lointain. Au cours des années 1968-1971, la littérature croate a subi les secousses de la crise nationaliste. Sous la pression d'une critique redevenue philologique, bien des écrivains ont songé à « croatiser » leur langue. La littérature est redevenue porteuse de revendication nationale. Dans la période suivante, les écrivains découvrent la littérature latino-américaine. L'influence de J. L. Borges paraît évidente avec le chassée-croisé de l'illusion et du réel chez l'écrivain Drago Kekanovic. Cette influence est remarquée chez Pavao Pavlicic, auteur de romans policiers. L'époque contemporaine est marquée par les activités littéraires des auteurs comme Ivo Bresan ou Dubravka Ugresic.