Mareschal (André)
Écrivain français (première moitié du XVIIe s.).
Inspirée d'un fait divers, sa Chrysolite (1627) est une étude de mœurs fouillée et un roman réaliste au sens moderne du mot. Le même souci de l'observation se retrouve dans son théâtre (la Généreuse Allemande, 1630 ; le Railleur, 1635).
Marguerite d'Angoulême
Reine de Navarre (Angoulême 1492 – Odos 1549).
Sœur du roi François Ier, elle joua un rôle important en plusieurs circonstances de la vie politique du royaume. Elle ne cessa d'accorder son soutien aux deux grands courants qui renouvelèrent la culture et la religion : l'humanisme et l'évangélisme. Nombre de personnalités intellectuelles – Lefèvre d'Étaples, Marot, Rabelais, Bonaventure Des Périers, Dolet, pour ne citer que les plus grands – ont bénéficié de sa protection ou de son aide.
Son œuvre comprend des écrits poétiques, dramatiques et narratifs (l'Heptaméron) ; division quelque peu arbitraire, toutefois, si l'on songe que l'Heptaméron comporte, outre des récits, une part importante de dialogues, et que la forme dialogique se retrouve, non seulement dans les comédies de la reine, mais dans nombre de ses poésies. La perspective thématique conduirait, elle, à un partage binaire : d'un côté les œuvres d'inspiration religieuse, de l'autre les œuvres d'inspiration profane. Mais, dans de nombreux poèmes (l'Histoire des Satyres et des Nymphes de Diane) et plusieurs comédies (la Comédie de Mont-de-Marsan, les comédies satiriques), l'inspiration religieuse et l'inspiration profane sont étroitement mêlées.
Les poésies de Marguerite généralement qualifiées de « pieuses » se divisent, du point de vue de la forme, en deux groupes distincts. D'une part, une série de longs poèmes décasyllabiques (Dialogue en forme de vision nocturne, Miroir de l'âme pécheresse, Discord de l'Esprit et de la Chair, Oraison de l'âme fidèle, Oraison à Notre-Seigneur Jésus-Christ) qui inaugurent dans notre littérature le genre de la méditation pieuse. Leur originalité réside en effet moins dans leurs thèmes (le néant de l'homme opposé à la toute-puissance de Dieu, la vanité des œuvres, le salut par la foi : thèmes fondamentaux de l'évangélisme) que dans leur forme personnelle, presque autobiographique. Le je qui s'y exprime n'est pas, comme le je de la plupart des poèmes du XVIe s., un je symbolique, mais un je « personnel » au sens chrétien du terme : le je de la créature prenant conscience d'elle-même dans son face-à-face avec son Créateur.
Les poésies profanes de la reine (si l'on met à part le Navire, composé à l'occasion de la mort du roi, en 1547, et qui instaure un dialogue fictif entre ce dernier et sa sœur) rassemblent des pièces de circonstance, présentées pour la plupart sous l'étiquette d'épîtres, et des poèmes consacrés à l'amour. Une partie d'entre eux, de forme brève (dizains ou épigrammes), se placent dans la lignée du pétrarquisme. D'autres mettent en scène, sous une forme épistolaire ou narrative, des dialogues entre personnages fictifs. Se rattachant au genre médiéval du débat, ils se situent au point de confluence de la tradition médiévale courtoise et de la « philosophie » néoplatonicienne de l'amour empruntée au Italiens.
Quant aux Prisons, œuvre poétique composée dans les dernières années de sa vie (vraisemblablement entre 1547 et 1549) et publiée pour la première fois par A. Lefranc en 1896, elles forment le récit des étapes successives qui conduisent un héros, narrateur de sa propre histoire, à se libérer des trois « prisons » où il s'est volontairement enfermé (la prison d'amour, celle du pouvoir et des richesses, celle de la science) pour atteindre au terme de sa quête la joie et la liberté absolues dans l'union avec Dieu. L'œuvre s'inspire du pur credo évangélique, plus précisément paulinien. Elle n'en trouve pas moins un achèvement tout mystique dans le « ravissement » de l'Amant (le « Rien ») au sein de Dieu (le « Tout »). Mais l'aspect le plus significatif de l'œuvre se situe dans le « retour » que, dans la phase ultime de son ascension spirituelle, l'Amant opère sur les phases antérieures de son itinéraire – « retour » qui, loin de faire paraître vains toute connaissance et tout savoir humains, en révèle au contraire l'origine et le fondement divins. Position caractéristique d'un humanisme enclin à déceler, sous l'opposition de surface des cultures païenne et chrétienne, leur continuité profonde. Cet humanisme « ouvert » est celui d'Érasme, de Lefèvre et de tous ceux qui ont, peu ou prou, subi l'influence des néoplatoniciens italiens, jointe à celle de Nicolas de Cuse.
L'œuvre théâtrale de Marguerite comprend quatre « comédies » religieuses, composées entre 1535 et 1540 : la Comédie de la Nativité, la Comédie de l'Adoration des trois rois, la Comédie des Innocents et la Comédie du Désert. Toutes quatre, inspirées d'épisodes de la naissance et de l'enfance du Christ, sont proches de la tradition des mystères médiévaux. Mais elles s'en distinguent par une simplification de la structure dramatique, par l'absence de toute référence aux réalités contemporaines et par l'abandon du style familier.
Si l'on met à part la Comédie sur le trépas du roi (1547) – dans laquelle Marguerite exprime la douleur que lui causa la mort de son frère –, les comédies dites « profanes » comportent d'abord des pièces de satire religieuse (le Malade, 1535 ; l'Inquisition, 1536 ; Trop, Prou, Peu, Moins, 1544) dont les personnages représentent, sous des figures différentes, les mêmes types sociaux : d'un côté, les représentants de l'autorité ecclésiale (le médecin, l'Inquisiteur, Trop et Prou), de l'autre les adeptes de la foi rénovée (la chambrière, les enfants, Peu et Moins). En dépit de ces analogies, une nette différence apparaît entre les deux premières comédies (où la satire demeure modérée, et dont l'une s'achève même sur la conversion du persécuteur à la foi qu'il combat) et la dernière (où les adversaires campent jusqu'à la fin sur leurs positions) : différence qu'explique la sévère aggravation de la répression religieuse entre 1535 et 1544.
Outre la Comédie à dix personnages et la Comédie du parfait amant (1549) qui traitent de questions de casuistique amoureuse, la plus originale des pièces profanes de Marguerite, la Comédie de Mont-de-Marsan (1548), présente d'étroits rapports avec le poème des Prisons contemporain par sa rédaction : comment ne pas rapprocher, en effet, l'attitude de la Bergère de cette comédie, la « Ravie de Dieu », de celle de l'Amant des Prisons, dans la phase finale de son « ravissement »). Mais la comédie dissocie deux attitudes religieuses – la pure foi évangélique et l'élan mystique d'amour vers Dieu – incarnées dans les Prisons par un seul et même personnage.
À l'instar du Décaméron de Boccace (les devisants déclarent dans le Prologue vouloir en donner un analogon français), l'Heptaméron (édité pour la première fois sans nom d'auteur en 1558, après la mort de Marguerite, par Pierre Boaistuau) devait certainement, dans sa conception initiale, comporter cent nouvelles : la mort de Marguerite l'empêcha-t-elle de mener son travail jusqu'à son terme ? Les nouvelles manquantes ont-elles été perdues ? En tout état de cause, les deux recueils, en dépit d'analogies superficielles, diffèrent profondément l'un de l'autre. Cette différence tient moins au contenu et au style des nouvelles assemblées dans chacun d'eux qu'à la nature et à la fonction des dialogues qui relient les nouvelles. L'Heptaméron est tout autre chose qu'un simple recueil de nouvelles (ce que sont, vers la même époque, le Grand Parangon de Nicolas de Troyes ou les Cent Nouvelles nouvelles de Philippe de Vigneulles). Celles-ci sont l'occasion d'échanger des idées, d'engager de véritables débats sur des sujets d'importance, à savoir, au premier chef, le problème de l'amour, celui que se portent les unes aux autres les créatures, et celui que celles-ci portent à Dieu. La double fonction qu'assument presque tous les récits du recueil fait d'eux les surgeons de deux genres fort anciennement ancrés dans la tradition : une fonction de véridiction, d'une part (toutes les histoires narrées sont censées être vraies), propre au genre historiographique ; une fonction d'exemplarité, d'autre part (chaque récit est censé démontrer le bien-fondé d'une thèse ou d'une opinion), propre au genre médiéval de l'exemplum. Les devisants de l'Heptaméron sont loin du détachement humoristique et de la distanciation critique qu'affichent vis-à-vis de leurs récits les narrateurs des Facéties ou des Nouvelles Récréations : ils entendent, par le biais du récit, défendre des opinions, voire fournir matière à édification.
Tout change, cependant, dès qu'on cesse d'adopter pour perspective la fonction que chaque narrateur assigne à son récit, pour considérer celle que confère à ce dernier sa position dans le système d'ensemble de l'œuvre. On s'aperçoit que l'auteur, loin de s'identifier aux narrateurs des nouvelles, maintient à leur égard une distance qui exclut qu'on puisse considérer l'un d'entre eux comme son porte-parole. Tout change, et même, tout s'inverse : tel récit, censé démontrer le bien-fondé de telle opinion, se voit, dans le dialogue qui suit, investi par un autre devisant d'une signification différente, voire opposée. Des discours multiples se heurtant les uns aux autres pour se neutraliser, se relativiser ou se transformer mutuellement : une telle machinerie, dont le mouvement circulaire aboutit à une sorte d'immobilité, n'est pas sans évoquer par anticipation le mode d'écriture des Essais.
Ici resurgit le fameux problème de l'unité de l'œuvre de Marguerite. On peut être troublé par la coexistence paradoxale chez le même écrivain d'une inspiration hautement spirituelle (dans les poésies religieuses) et d'un « réalisme » trivial, voire grossier (dans l'Heptaméron). Ce « paradoxe » tout superficiel une fois dissipé, la même question resurgit, à un autre niveau, sous une forme plus cruciale. Car il ne s'agit plus de bienséance, mais de savoir et de vérité. Sur ce point, l'œuvre religieuse de Marguerite et l'Heptaméron ont une appréhension divergente du monde. Non point exactement des idéologies, encore moins des philosophies opposées, mais bien des pratiques opposées de la véridiction.
Ces pratiques ne comportent-elles pas, en deçà même de leur opposition, un point d'articulation ? La vision unitaire de l'univers à laquelle parvient le héros des Prisons repose sur la « mise entre parenthèses » de la diversité de ses formes visibles et concrètes. Or c'est précisément ce monde des apparences qui intéresse les devisants de l'Heptaméron. Mais, si l'unité et la cohérence du monde ne sont perceptibles qu'au sein d'une expérience mystique où la diversité visible des êtres se réduit à n'être que pure illusion, il est fatal que toute sortie hors de cette expérience, ou tout refus de s'y engager, fasse surgir comme seul horizon possible du Savoir l'univers de l'apparence pure et son irréductible diversité. À l'unité absolue ne peut correspondre – dès lors que, des hauteurs de l'intuition mystique, on redescend sur terre – qu'une diversité tout aussi absolue. L'univers de l'œuvre religieuse de Marguerite et l'univers de l'Heptaméron ne sont si radicalement opposés dans leur structure profonde que parce qu'ils sont en fait étroitement complémentaires.