Dictionnaire de la Littérature 2001Éd. 2001
S

Suisse (suite)

La littérature romanche

Isolé des autres langues rhéto-romanes (le dolomitique et le frioulan), le romanche est parlé par une minorité habitant les Grisons, canton en majorité germanophone. En 1938, il a été reconnu comme quatrième langue nationale. Plusieurs sociétés, réunies dans la « Lia Rumantscha », ainsi que des ouvrages comme le Dicziunari Rumantsch Grischun, ont pour but la préservation de cette langue menacée. Actuellement, on crée une langue écrite unifiée, le romanche étant divisé en cinq idiomes littéraires : sursilvan, sutsilvan, surmiran et deux variantes d'engadinois.

   Née pendant la Réforme, en Engadine, avec la Chanzun de la guera da Müsch (1527), chanson de geste de Gian Travers, la littérature s'affirme d'abord dans le domaine religieux : drames bibliques et psaumes, traduction du Nouveau Testament (1560). Dès le XVIIe s., elle s'étend à d'autres vallées : catéchismes, ouvrages de dévotion, livres de chants.

   Quasi inexistante au XVIIIe s., la littérature renaît avec le thème « romantique » du mal du pays : Rimas de Conradin de Flugi (1787-1874), poèmes de Zaccaria Pallioppi (1820-1873). Le vrai renouveau est dû pourtant à deux montagnards érudits : G. A. Huonder (1824-1867), chantre du « paysan souverain », et G. C. Muoth (1844-1906) avec ses chants épiques.

   Alors que, au début du XXe s., on continue à chanter la nature, la communauté villageoise et l'âme romanche, Peider Lansel (1863-1943) crée enfin une poésie qui trouve sa fin en elle-même. C'est de lui ainsi que du Père A. Lozza (1880-1953) et surtout de G. Fontana (1897-1935), dont le style et l'inspiration rappellent C. F. Ramuz, que procèdent les écrivains contemporains, vrais garants de la survie du rhéto-roman. Parmi eux, citons un groupe traditionaliste : le poète Sep Mudest Nay (1892-1945), les dramaturges Men Gaudenz (1899-1982) et A. Caflisch (1893-1972). L'avant-garde est représentée par les dramaturges J. Semadeni (né en 1910), G. Belsch (né en 1913) et Tista Musk (né en 1915) ; les prosateurs R. Caratsch (1901-1978), T. Halter (né en 1914), G. Deplazes (né en 1918), Cla Biert (né en 1920), T. Candinas (né en 1929) ; les poètes Curo Mani (né en 1918), Flurin Darms (né en 1918), Hendri Spescha (né en 1928), Luisa Famos (née en 1930), le plus hardi de ces novateurs étant Andri Peer (né en 1921), poète et essayiste.

Suits (Gustav)

Poète estonien (Võnnu 1883 – Stockholm 1956).

Cofondateur du groupe Noor-Eesti et promoteur dans son pays d'un modernisme influencé par le symbolisme européen, il exprima avec vigueur l'enthousiasme révolutionnaire de sa génération (le Feu de la vie, 1905), cultiva ensuite un lyrisme plus sombre et mélancolique (le Pays des vents, 1913), puis refléta les événements de son époque dans des poèmes engagés de facture expressionniste (Tout n'est qu'un songe, 1922). Ayant choisi d'émigrer en 1944, il exhala dans ses derniers vers sa nostalgie d'exilé et l'amertume causée par le destin tragique de l'Estonie (le Feu et le vent, 1950).

Sully Prudhomme (René François Armand Prudhomme, dit)

Poète français (Paris 1839 – Châtenay 1907).

Se vouant dès l'adolescence à la littérature et à la poésie, il ouvre son œuvre sur Stances et poèmes (1865) et la poursuit par les Solitudes (1869) et les Vaines Tendresses (1875). Il publie en 1890 Réflexion sur l'art du vers, où il prône un classicisme formel. Cet académicien adresse son Testament poétique en 1901. Il est le contemporain exact du symbolisme, mais sans le rencontrer. Liant classicisme et mesure, il refuse d'assimiler modernité et vertige. Très goûtée en son temps, sa poésie est classique jusqu'à l'excès, voire formaliste. Que le recueil qui a fait son renom, les Solitudes, soit publié en 1978 dans une collection intitulée « Les Introuvables » dit assez le peu d'écho d'une parole qui, en son temps, eut une audience immense (elle évoque les difficultés de l'âme et de la vie moderne), mais dans laquelle on lit l'impasse du classicisme s'il refuse de se renouveler. Sully Prudhomme fut en 1901 le premier lauréat du prix Nobel de littérature.

Sulpice Sévère, en lat. Sulpicius Severus

Historien latin (vers 360 –  v. 425).

Ce juriste aquitain se retira du monde après la mort de sa femme, et se consacra à l'historiographie dans une perspective chrétienne. Sa Chronique universelle présente l'histoire du monde depuis la création jusqu'à l'an 400 de notre ère. Ses deux ouvrages d'hagiographie (Vie de saint Martin et Dialogues) ont contribué à diffuser le culte de saint Martin.

Sulte (Benjamin)

Écrivain canadien de langue française (Trois-Rivières 1841 – Ottawa 1923).

Contraint de quitter l'école à l'âge de 10 ans, il fut successivement commis de magasin, teneur de livre, payeur à bord d'un bateau, gérant d'un magasin de confection, comptable. Autodidacte, il composa des chansons, à partir de 1860, puis des récits (la Chasse à l'ours, 1862 ; les Canotiers du Saint-Laurent, 1863). Enrôlé dans une compagnie d'infanterie volontaire lors de l'affaire du Trent (1863), il devint traducteur à la chambre des Communes (1866). Poète (les Laurentiennes, 1869 ; Chants nouveaux, 1880), excellent anecdotier, il a inscrit son nom dans l'histoire des lettres canadiennes-françaises par sa volonté de servir la cause culturelle de son pays (l'Histoire des Canadiens français, 1882-1885).

sumérienne (littérature)

La langue sumérienne peut être considérée comme celle qui a été notée la première de toutes, puisque l'invention de l'écriture au Proche-Orient a été le fait des Sumériens et que l'établissement de ce système de notation est antérieur aux autres systèmes archaïques que nous connaissons, l'égyptien et le chinois. La littérature sumérienne est donc aussi, en un certain sens, la doyenne des littératures, sans cependant présenter l'aspect initiatique ou primitif que certains ont voulu lui trouver.

   Si l'on considère les époques où l'on a accès à une compréhension satisfaisante des textes, il est facile de constater l'existence d'une communauté de culture dans tout le Proche-Orient. Elle s'incarne dans la diffusion, de façon concomitante aux signes d'écriture, d'une certaine littérature, modèle d'écriture dans son principe, mais qui s'est aussi nécessairement trouvée être une source d'inspiration littéraire. Il faut signaler l'existence d'un genre de texte scribal très particulier, celui des listes lexicales : modèles d'écriture et de lecture, ces listes représentent divers arrangements des principaux idéogrammes ou combinaisons d'idéogrammes sumériens, et leur existence est la pierre de touche de l'établissement d'une école d'écriture dans un point géographique précis. Très souvent fautives, ces listes émanent des bibliothèques officielles, mais sont aussi le fait des exercices des jeunes scribes. Jusqu'à la fin de la pratique de l'écriture cunéiforme, les listes lexicales sont restées le genre le mieux représenté.

   D'autre part, beaucoup de compositions que nous connaissions par des rédactions récentes sont en fait d'origine beaucoup plus ancienne qu'on ne le pensait. Ainsi, parmi les textes retrouvés dans la bibliothèque d'Abu-Salabikh, ville du centre babylonien, aux environs de Nippour, ruinée aux environs de 2400 av. J.-C., se trouvent les Instructions de Shouroupak, œuvre d'une inspiration analogue aux Travaux et les Jours du poète grec Hésiode. La comparaison des manuscrits archaïques et récents montre clairement que malgré les six siècles d'écart entre les deux traditions, les deux versions relèvent de la même inspiration : quelles que soient les amplifications, interpolations ou modifications postérieures, ou les raccourcissements imputables à la version archaïque, on peut affirmer l'absence d'une solution de continuité entre les deux moments de l'attestation. Pourtant, entre ces XXVIe et XXVe s. av. J.-C., maintenant bien documentés, et l'époque paléo-babylonienne, soit le début du IIe millénaire avant notre ère, d'où datent la plupart de nos manuscrits du sumérien littéraire, il y a une longue période de silence. Toute une série de textes de la haute époque, populaires au milieu du IIIe millénaire avant notre ère, sont tombés en désuétude et ne sont plus recopiés au début du IIe millénaire, sans que nous ne connaissions les raisons de leur disparition ni les conditions de survie ou d'évolution des autres œuvres pendant tout cet intervalle. La période est cependant cruciale, car c'est celle qui a vu le déclin progressif et la fin de l'ethnie des Sumériens et le remplacement de leur langue comme expression par l'akkadien, dialecte sémitique de l'Est moyen-oriental, qui prit peu à peu la relève au service d'un nouvel ordre politique, religieux et social.

   Le corpus sumérien a ainsi été fixé dans les innombrables manuscrits du début du IIe millénaire, par des scribes qui étaient avant tout des akkadophones et qui considéraient le sumérien comme un héritage prestigieux, certes, mais qui le pratiquaient comme l'expression d'une culture à maintenir et non plus en devenir. Il faut savoir d'autre part que le sumérien recourait, aux origines de sa notation, à un système de graphie par économie, notation conceptuelle minimale (idéogrammatique) n'accordant qu'une place restreinte aux signes purement phonétiques. Un tel système, qui supposait que le lecteur ait envers l'écriture l'attitude dynamique de celui qui en pratique couramment la langue, n'était plus envisageable et l'on constate le souci d'établir un texte qui soit le plus explicite possible quant à la prononciation.

   L'établissement de ces manuscrits à l'époque moyenne a entraîné tout un remaniement des œuvres, très révélateur du savoir des scribes qui l'entreprirent. Il en est résulté un tel désordre de notations que le savant moderne, encore plus coupé de la réalité phonétique et vivante du sumérien que le scribe akkodophone, peut difficilement combiner ces manuscrits et établir une édition critique. En conséquence, il est impossible de retrouver, par l'examen des manuscrits, leur filiation, l'histoire d'un texte et l'interaction des écoles scribales. C'est là un des obstacles majeurs à la redécouverte de l'ancienne littérature sumérienne.

   Considérant la littérature sumérienne d'époque moyenne ou récente, un clivage très net apparaît entre le corpus d'époque paléo-babylonienne et celui du Ier millénaire. Ce dernier est de loin, selon nos critères modernes de goût, le moins « intéressant ». D'une part, la majeure partie du corpus ancien n'est plus attestée : les œuvres majeures de la littérature sumérienne, épique ou hymnique, sont soit négligées, soit remplacées (la descente d'Ishtar aux enfers, ou le cycle de Gilgamesh) par des versions akkadiennes. D'autre part, s'est développée toute une littérature monotone d'inspiration strictement religieuse : immenses litanies à la Parole divine, laudes d'une divinité ; le genre pénitentiel est très amplement représenté. À côté de passages d'un lyrisme poignant, sans doute plus sémitiques que sumériens dans leur inspiration, on constate surtout l'établissement de stéréotypes. Certains corpus, celui des incantations, le plus pittoresque et le plus varié, prennent des proportions énormes et reflètent la popularité de la conduite religieuse qui consiste à chasser le mal par la parole et les manipulations magiques. La première caractéristique de ces œuvres du Ier millénaire est qu'elles sont bilingues, c'est-à-dire qu'une ligne en sumérien est suivie de sa traduction en langue akkadienne. La qualité grammaticale de ce sumérien est relativement évoluée. De nombreux psaumes (Lamentations) joignent au fait d'être bilingues celui d'utiliser un dialecte du sumérien, l'emesal ou « langue des femmes ».

   Le sumérien du début du IIe millénaire présente une situation très différente. On distingue actuellement trois centres de culture possédant des corpus propres et une conception particulière de la littérature : au Sud, le centre de la ville d'Éridou, sur les bords du golfe Persique ; au Nord, la ville de Kish, d'une très grande importance politique, peut être considérée comme le centre de diffusion de toute la culture sumérienne vers les régions du nord de la Babylonie, jusqu'au cœur de l'Anatolie hittite ; enfin, occupant une position médiane, la ville de Nippour, de tout temps, véritable pôle religieux de Sumer et siège du roi des dieux sumériens, Enlil, constitue le centre de la culture mésopotamienne par excellence où le sumérien s'est, selon toute vraisemblance, maintenu le plus tard possible. Les fouilles de Nippour nous ont rendu le plus considérable corpus sumérien qui soit : hymnes aux rois et aux dieux, littérature sapientiale, gnomique ou savante, pseudo-littérature royale ou religieuse, copie d'inscriptions historiques... dont la compréhension peut être désormais considérée comme satisfaisante grâce aux éditions anglaises, allemandes et françaises.

   Au sein de la littérature épique apparaît un genre méconnu, celui du mythe étiologique, récit qui consiste à mettre en rapport une institution ou une caractéristique de la civilisation sumérienne avec un fait situé dans le « passé mythique » de la tradition mésopotamienne. L'épopée est organisée en plusieurs cycles : la geste des héros, qui narre des récits pseudo-historiques attribués aux princes de jadis, et celle des dieux, récit des Sumériens sur la création du monde et sur la « fixation des destins ». Les cycles héroïques les plus connus sont ceux de Gilgamesh, de Lugalbanda et d'Enmerkar. Issus des traditions propres à l'antique métropole d'Ourouk, ce sont des récits de prouesses en tout genre.

   À côté de la célèbre descente d'Ishtar aux enfers figurent les mythes de la création : « Enki et l'Ordre du monde », « Enki et Ninhursag », dont le cadre est soit Sumer proprement dit, soit la mythique Dilmun qu'une tradition postérieure fluctuante situe volontiers à Bahreïn. Le style de ces épopées est, en bien des passages, difficile à dominer. La technique même du récit sumérien, avec son parti pris de répéter inlassablement des pans entiers de l'histoire, tout en n'exprimant qu'en un demi-vers le moment crucial du changement de l'intrigue et le passage à un nouvel épisode, a été d'une très grande aide pour la reconstruction de l'ensemble de l'œuvre et la compréhension de son ampleur, mais pas toujours pour l'élucidation des motivations mêmes du récit.