Dictionnaire de la Littérature 2001Éd. 2001
V

Viêt-Nam (suite)

Littérature d'expression française

Nombreux et variés sont les Vietnamiens qui ont écrit en français pour faire connaître la culture, la civilisation et la littérature vietnamienne : des pionniers érudits à la fin du XIXe s. comme Truong Vinh Ky, correspondant de Littré, de Renan et conseiller de Paul Bert, à nombre d'essayistes contemporains comme Pham Quynh (Essais franco-annamites, 1937 et Nouveaux Essais franco-annamites, 1938), Nguyên Van Tô, Nguyên Van Huyên (la Civilisation annamite ; les Chants alternés entre garçons et filles), Lê Thanh Khôi (Histoire du Viêt-nam), Nguyên Thê Anh (Bibliographie critique des relations entre le Viêt-nam et l'Occident), Nguyên Trân Huân (en collaboration avec M. Durand : Histoire de la littérature vietnamienne), Duong Dinh Khuê (Chefs-d'œuvre de la littérature vietnamienne ; Littérature populaire vietnamienne), Nguyên Khac Viên et Huu Ngoc (Anthologie de la littérature vietnamienne), Bui Xuân Bào (Naissance et évolution du roman vietnamien moderne) et bien d'autres... Quant aux œuvres de création littéraire proprement dites, depuis l'apparition en 1913 à Saigon du premier recueil de poèmes, Mes heures perdues de Nguyên Van Xiêm et du premier recueil de Contes et légendes du pays d'Annam de Lê Van Phat, on en compte, jusqu'en 1994, sans prétendre être exhaustif, 83 ouvrages dont 26 seulement édités au Viêt-nam, d'une trentaine d'auteurs et dont 21 appartiennent au genre poétique, 4 au dramatique, 58 au narratif. Cette dernière catégorie comprend 17 récits, contes et nouvelles, 4 mémoires, 37 fictions autobiographiques et romans.

   Dans l'expression lyrique de leurs sentiments, les poètes témoignent de cette synthèse des deux cultures orientale et occidentale. Si Mes heures perdues ont quelque chose de Félix Arvers et de Baudelaire, elles coulent cependant en harmonie avec la nature, en diluant le moi dans l'évanescence de toutes choses. Par contre, l'aspiration à la pérennité de l'art pur partagée avec Rimbaud, Mallarmé, Valéry, a guidé Pham Van Ky dans ses trois recueils : Une voix sur la voie (1936), Hué éternelle (1938) et Fleur de jade (1943). Tandis les dimensions cosmiques, sur les pas de P. Claudel, absorbent les visions de Dô Dinh (le Grand Tranquille, 1937) et de Vo Long Tê (Symphonie orientale, 1971 ; l'Univers sans barreaux, 1992). Le penchant d'un tiers des auteurs pour les contes et les légendes révèle sans doute leur attachement à leur culture d'origine et le désir de faire sentir cette âme profonde du peuple dans ces récits allégoriques mêlés d'évocations historiques, littéraires ou religieuses que sont Indochine la douce (1935) de Nguyên Tiên Lang, Légendes des terres sereines (1943) de Pham Duy Khiêm, l'Annam pays de rêves et de poésie (1945) de Trân Van Tung avec une lettre-préface de P. Claudel. Le recours au roman autobiographique sous forme de mémoires, journal ou lettres répond à un besoin chez une partie de la jeunesse formée dans les écoles françaises et confrontée à une nouvelle culture d'évoquer des souvenirs ou des tiraillements entre la fidélité aux traditions et l'occidentalisation. Cela apparaît dans Sourires et larmes d'une jeunesse par Nguyên Manh Tuong (1937), Cahiers intimes de Heou-Tâm, étudiant d'Extrême-Orient par Hoang Xuân Nhi (1939), Nam et Sylvie par Nam Kim, pseudonyme de Pham Duy Khiêm (1957), Des femmes assises çà et là par Pham Van Ky (1964). Ce thème de l'affrontement entre l'ancien et le nouveau chez ce dernier se développe dans d'autres romans et se diversifie selon les différents contextes historiques et géographiques : au Viêt-nam dans Frères de sang (1947) et Celui qui régnera (1954), en Chine après la guerre de l'opium dans les Yeux courroucés (1958) et les Contemporains (1959), au Japon à l'ère de modernisation dans Perdre la demeure (1961), Grand Prix du roman de l'Académie française. Les drames personnels liés aux bouleversements historiques et sociaux du peuple sont une autre source de la production francophone. Pham Duy Khiêm justifie son engagement et son service dans l'armée française entre 1939 et 1940 dans la Place d'un homme : De Hanoi à la Courtine (rééd. 1958). Nguyên Tiên Lang relate dans les Chemins de la révolte (rééd. 1989) son arrestation, celle de son beau-père Pham Quynh et les souffrances en prison de 1945 à 1951 pour avoir été des « traîtres » aux yeux du pouvoir révolutionnaire, tout en montrant « comment un cœur incapable de haïr réagit lorsqu'on essaie de l'endoctriner... » Le même sentiment dépourvu de haine et de vengeance anime les mémoires de Lucien Trong, Enfer rouge, mon amour (1980), souvenirs de l'enfer quotidien dans un camp de rééducation où il découvrit l'amour silencieux et tragique d'une adolescente et l'amitié d'un voleur enjoué. Pour Ly Thu Hô, à travers sa trilogie Printemps inachevé (1962), Au milieu du carrefour (1969) et le Mirage de la paix (1986), c'est la fatalité aveugle qui tourmente son peuple depuis l'occupation japonaise jusqu'au partage du pays, de l'intervention armée des puissances étrangères à la chute de Saigon. Un retour plus intimiste aux racines biologiques et culturelles inspire Métisse blanche (1989) et Retour à la saison de pluies (1990) par Kim Lefèvre, qui fait part de son expérience vitale à travers toute cette époque tumultueuse. Si l'écriture est encore un moyen d'exorciser ses démons, elle sert admirablement les jeunes auteurs parfaitement acculturés comme Nguyên Huu Khoa et surtout Linda Lê, prix de la Vocation 1990. Ils suivent des directions originales mais diamétralement opposées. Le premier jongle avec le temps et l'espace comme avec les personnages en quête de la sagesse antique dans le Temple de la Félicité éternelle (1985) et la Montagne endormie (1987). La deuxième plonge dans les noirceurs de la civilisation moderne et le fond obscur du psychisme humain avec Un si tendre vampire (1987), les Évangiles du crime (1992) et écrit un roman chaque année jusqu'à, tout récemment, Autres Jeux avec le feu (date). Serait-ce la fine fleur de cette branche francophone qui tire sa sève des profondeurs des souffrances personnelles et des cruautés du siècle ?