persane (littérature) (suite)
La littérature « indienne » et le néoclassicisme (XVIe-XIXe s.)
L'arrivée au pouvoir de la dynastie safavide (1502-1722), sa politique centralisatrice, l'instauration du chiisme comme religion d'État provoquèrent de tels bouleversements dans la société que l'expression littéraire s'en vit modifiée. Bon nombre de poètes préférèrent se tourner vers une cour plus libérale et hospitalière, celle des Moghols de Delhi. Certains d'entre eux s'y installèrent, d'autres n'y firent que quelques séjours. Il en résulte la création d'un nouveau style poétique, couramment appelé style indien. Mais, si l'influence de l'Inde a été déterminante pour le développement de ce style, il faut aussi en chercher la cause dans la direction qu'avait prise la poésie au siècle précédent, dans la Perse timouride. On avait déjà senti chez les poètes persans du XVe s. une volonté d'enrichir les thèmes et le vocabulaire. Au XVIe s., les auteurs continuèrent dans ce sens, mais ils tentèrent de renouveler l'imagerie traditionnelle et de donner un tour plus intellectuel à leur poésie, en substituant, par exemple, aux symboles traditionnels des concepts à demi personnifiés, ainsi Orfi (mort v. 1590), Feyzi (mort en 1595), le mystique Bidel (mort en 1720), et le plus « simple », Sa'eb, originaire de Tabriz, qui vécut quelques années à Delhi, puis devint le « prince des poètes » du souverain séfévide Chah 'Abbas II (1642-1666).
La cour des Séfévides apprécia particulièrement la poésie religieuse. Il suffit de citer Mohtacham de Kachan, panégyriste de Chah Tahmasp (1524-1576), qui se rendit célèbre par la composition d'élégies en l'honneur des imams chiites martyrisés. La forme utilisée est la qasidè, le ghazal, mais aussi le poème strophique. C'est dans l'Iran séfévide qu'apparut un théâtre religieux, le ta'zié, ou représentation dramatique des martyrs de la religion chi'ite.
Au XVIIIe s., la littérature persane passa par une des périodes les plus obscures et les plus stériles de son histoire. Il est permis de penser que les excès dans lesquels étaient tombés les représentants du style indien appelaient une rupture, un renouveau nécessitant un laps de temps pour se déclarer. En outre, le climat n'était pas propice à la réflexion et à l'écriture : invasion afghane, répression de Nadir Chah, suite de guerres, de massacres, de cruautés. C'est dans le Fars apaisé que s'opéra un renouveau à la fin du XVIIIe s. Le désir des poètes fut alors de revenir au passé et de retrouver l'harmonie de la tradition. Ils furent encouragés par les souverains de la dynastie Qadjar. Outre Chiraz, Téhéran, devenue la capitale, fut un centre important de la vie culturelle, avec Sahab (mort en 1807), Saba (mort en 1822), Nechat (mort en 1828), Foroughi (1798-1857) et Qa'ani (1807-1853), qui fut le panégyriste de la cour de Nasir al-Din Chah.
Modernisation et révolution (XIXe-XXe s.)
À la fin du XIXe s., l'essai de modernisation de la Perse par des réformes, la création d'une École polytechnique (Dar al-fonun), la diffusion de la culture occidentale et des idées démocratiques grâce à la presse naissante ouvrirent la voie à une évolution prodigieuse de la littérature persane, qui se produisit en même temps que la révolution de 1906 et la promulgation d'une monarchie constitutionnelle. La plupart des écrivains de l'époque participèrent à la diffusion des idées nouvelles et brisèrent la tradition en empruntant à la vie politique et quotidienne l'essentiel de leurs thèmes. C'est le cas d'Amiri (Abid al-Mamalek, v. 1860-1917), d'Iradj (1874-1926). Aref (vers 1880-1934) utilisa la ballade (tasnif) et le ghazal pour exprimer des idées républicaines. Echqi (1893-1924), auteur d'un opéra, la Résurrection, introduisit une nouvelle technique de rime dans son poème Idéal. Mirza Taqi Bahar (1886-1951), animateur d'une société littéraire, fondateur du journal Printemps nouveau, publia d'importantes études sur la stylistique persane et édita de nombreux textes classiques. Depuis les années 1950, la poésie persane a été dominée par l'œuvre de Nima Youchidj (1896-1959), qui a eu l'audace de rompre avec les formes classiques du poème persan et d'élaborer une technique nouvelle (rythme et langue). La génération qui a immédiatement subi l'influence de la prosodie de Youchidj continue à l'utiliser, en l'enrichissant, avec Ahmad Chamlou (dit aussi Bamdad), Medhi Akhavan Salès (dit aussi Omid), Esmaïl Chahroudi et Sohrab Sepehri.
Parallèlement à cette tendance, il s'est formé un mouvement moderniste modéré qui choisit comme mode d'expression un quatrain rénové (tchahar pare) : outre Foroukh Farrokhzad (1934-1966), il faut citer Parviz Natel Khanlari, Siavoch Kasraï, Feridoun Tavallali, Houchang Ebtehadj, Nosrat Rahmani. Le rythme de Youchidj semble cependant avoir perdu de sa présence au profit d'une poésie en prose, que l'on trouve en particulier dans un mouvement lancé par un manifeste publié en 1969 et qui se définit initiateur de la poésie de volume. Ce groupe entend proposer « l'accès au surréel, à l'indicible, ou leur approche, par la traversée d'un espace mental » : autour de Yadollah Royaï se retrouvent Parviz Eslampour, Bahram Ardebili et Feridoun Rahnema. Il existe aussi une poésie « engagée », avec Mohammad Hoghoughi, Esmail Khoï, Mohammad 'Ali Sepanlou et T. Zavarzadeh.
Au cours des dernières années, la prose persane, essentiellement réaliste et engagée, a elle aussi poursuivi son évolution. Les genres adoptés sont la nouvelle et le roman (dastan) ou le récit (qesse). La génération du renouvellement, avec Mohammad 'Ali Djamalzadè (Il était une fois...), Sadeq Hedayat (1903-1951, la Chouette aveugle, Haji Aqa), Sadeq Tchoubak (né en 1916, le Théâtre de marionnettes, Tangsir, la Pierre patiente), Bozorg Alavi (1904-1996, la Valise, Feuillets de prison, Ses yeux), garde son influence, et l'art atteint sa perfection chez Djalal Al-é Ahmad (1916-1969), qui écrit dans une langue simple, concise et introduit le langage parlé (le Directeur d'école, la Malédiction de la terre, l'Occidentalite). Ebrahim Golestan (né en 1922) manie humour, poésie et fantaisie (les Secrets des trésors de la vallée enchantée, le Voyage d'Esmat). L'inspiration « romantique », chère à la bourgeoisie citadine, garde cependant ses représentants ('Ali Dachti, Mohammad Hedjazi). Un peu à part, 'Ali Mohammad Afghani s'est essayé à la description d'un milieu populaire de province (le Mari de Madame Ahou). Parmi les romanciers ou conteurs contemporains engagés, on peut citer G. H. Saédi (1935-1985, Une soirée formidable, les Endeuillés de Bil), Houchang Golchiri (1940-2000, le Prince Ehtedjab), Mahmoud Dowlatabadi (né en 1940, Keleydar). Une littérature féminine originale apparaît avec Simin Danechvar (née en 1921, Savoshoun), Chahrnouche Parsipour (née en 1946, Tuba et le sens de la nuit), Moniro Ravanipour (née en 1954, les Pierres de Satan, le Cœur de fer). Après la Révolution islamique, la prose iranienne se diversifie encore malgré la censure. Certains auteurs décrivent le monde cruel de la prison et de l'oppression politique avant et après 1979, tels Nasim Khaksar (le Petit intellectuel) et Reza Barahéni (les Saisons en enfer du jeune Ayyâz). Mohsen Makhmalbaf (le Jardin de cristal), Mansour Kouchan et Firouz Nadji-Ghazvini (Neige sur Téhéran) se penchent sur la guerre Iran-Iraq. L'œuvre d'Ahmad Mahmoud (les Voisins, le Conte d'une ville, la Terre brûlée) et d'Esmaïl Fasih (Nouveau Conte, le Faucon et le hibou) s'apparentent au roman historique et à la littérature régionale. Jamal Mir-Sadeghi (les Corneilles et les hommes) et Houchang Achourzadè (Mauvais Augure) se situent dans la mouvance du naturalisme. Réza Farrokhfal (Ah, Istanboul !), Abbas Maaroufi (le Poison des morts) et Ali Moazéni (le Sirop) illustrent les problèmes contemporains. La critique littéraire se modernise également.
Le théâtre moderne persan naît au XIXe siècle avec la découverte du théâtre occidental. Essentiellement satirique, il est un moyen de critique sociale (Mirza Habib Esfahani, Mirza Aqa Tabrizi, Fekri Erchad, Hasan Moqaddam). Après la chute du gouvernement Mosaddeq en 1953, la nouvelle génération se réfugie dans le symbolisme, le surréalisme ou le théâtre de l'absurde, afin d'échapper à la censure. G. H. Saédi et Bahram Beyzaï (les Quatre Boîtes), Mofid (la Ville des contes) sont les auteurs les plus caractéristiques de cette période. Le courant réaliste se perpétue avec Akbar Radi, qui situe ses pièces dans la campagne autour de la Caspienne (les Pêcheurs, Mort en automne), et Khaladj, qui décrit les marginaux urbains (le Lieu de rendez-vous). Après la Révolution islamique, le théâtre devient un instrument de propagande (Hamid-Réza A'zam), décrit les changements de la société (Radi) ou s'exporte à l'étranger pour pouvoir s'exprimer plus librement (Sa'edi, Sayyad, Yalfani).