roman rustique
Les origines du roman rustique sont lointaines. Engendrée par la double exigence de la vie ancienne partagée, pour le travail des champs, entre l'activité des pasteurs et des agriculteurs, la littérature champêtre a pris la forme de la bucolique et de la géorgique. Ces deux expressions littéraires, détournées de leur fin par la préciosité aux XVIe et XVIIe s., ont retrouvé leur vocation sous la forme romanesque avec George Sand, très attentive à la vie des paysans du Berry. Par le folklore, le roman présentera un côté régionaliste indéniable ; en faisant l'apologie de l'homme de la glèbe, il affirmera sa vocation sociale. Les romans de Sand constituent ainsi un carrefour de tentatives qui donne au genre son contenu, ses limites et en circonscrit les problèmes, à commencer par celui de l'écriture.
La difficulté fondamentale du roman rustique se situe, en effet, au niveau du style. Comment peindre des paysans avec la vraisemblance exigée désormais du roman sans respecter leur parler ? Pourtant, la vérité risque d'apparaître comme un piège littéraire. La transcription littérale d'un patois fait tache dans le discours romanesque et risque même d'être incompréhensible, si on ne le double d'une discrète traduction. Aussi bien, en dehors des contraintes d'un mode d'expression, est-il difficile de distinguer une structure prédominante dans le roman rustique. Les goûts des générations ont, en effet, fortement modelé l'inspiration et, du même coup, les procédés du genre. Ainsi, lorsqu'en 1869 les paysans sauvent l'Empire, la question de leur méchanceté ou de leur grandeur divise l'opinion. La pastorale cède alors la place au roman social, prédominant de 1890 à 1910. Ce type de roman s'est intéressé spécialement aux régions de France où la lutte des classes en milieu paysan était la plus âpre. Ainsi naquit après le Moulin du Frau (1891), dont les événements sont un écho aux soubresauts de la capitale, l'histoire dramatique de Jacquou le Croquant (1899), dont le héros fait brûler le château des Nansac après avoir été la victime d'un tyranneau de village. L'école sociale va accueillir un renouveau de l'influence réaliste après 1900 dans la mesure où les auteurs ne se montreront pas systématiquement complaisants avec leurs modèles. Sans se départir d'un esprit de justice, des récits plus distanciés de la vie paysanne apparaîtront avec René Bazin, Jules Renard ou Pérochon.
L'après-guerre changera à nouveau et très profondément la destinée et la structure du roman rustique. L'inspiration sociale a cédé le pas à la résurrection d'une poétique de la nature qui culminera avec l'œuvre épique de Giono (Regain, 1930), voire de Bosco (le Mas Théotime, 1946) et de Thyde Monnier. Aujourd'hui, le roman rustique est devenu, comme le monde rural, un musée du passé.
roman sentimental
Dans l'éventail des littératures de masse, le roman sentimental occupe une place paradoxale : il est sans doute le genre le plus lu et aussi le plus déconsidéré. Marginalisé, voire repoussé, au sein de la littérature populaire (elle-même considérée comme marginale), le roman sentimental bénéficie cependant d'un public constamment renouvelé.
Tandis que le roman occidental, particulièrement le roman français, se fondait sur le roman d'analyse qui a produit nombre de chefs-d'œuvre depuis la Princesse de Clèves, des histoires d'amours malheureuses qui circulaient dans la « Bibliothèque bleue » et de nombreux Mémoires du XVIIe s. annonçaient le roman sentimental. Mais celui-ci apparut véritablement au XIXe s. Toutefois, dans sa période romantique, le roman populaire n'est pas sentimental, même si les sentiments n'en sont pas exclus : les Mystères de Paris, les Trois Mousquetaires, le Comte de Monte-Cristo comportent aussi une composante amoureuse, mais elle ne domine pas l'intrigue. Il en va de même pour les romans populaires qui mettent en scène des héroïnes féminines, victimes d'infortunes de plus en plus graves jusqu'à être finalement récompensées (C. Mérouvel, Chaste et flétrie ; X. de Montépin, la Porteuse de pain). Ce ne sont pas, à proprement parler, des romans sentimentaux, mais ils en sont proches.
Le roman sentimental s'épanouit d'abord dans la presse et l'édition catholique. Après avoir longtemps condamné le roman comme un genre immoral, l'Église va proposer des « bons livres » pour lutter contre l'influence des « mauvais », en créant la « Bibliothèque de poètes et des romanciers chrétiens », et surtout deux périodiques, l'Ouvrier (1861-1919) et la Veillée des chaumières (depuis 1877). Les romans sentimentaux y sont nombreux et signés Zénaïde Fleuriot, Marie Maréchal, Mathilde Bourdon, Maryan, Delly. Comme pour les romans populaires, la diffusion du roman sentimental est liée à l'émergence d'un public féminin spécifique. Peu à peu, le feuilleton familial à cible féminine, mais intégré à une publication non spécialisée comme le Journal du dimanche ou la Veillée des chaumières, laisse la place à de véritables collections autonomes. Celles-ci apparaissent au début du XXe s. : Ferenczi lance « Notre cœur » (1927), puis « Le petit roman d'amour illustré » (1932) et « Mon roman d'amour » (1944) ; Tallandier propose « Les beaux romans d'amour » (1913), « Le Livre de poche » (1915), puis « Fama » (1920, avec la Mode nationale). Le Petit Écho de la mode lance sa collection, « Stella » (1919), etc. Les auteurs sont nombreux et signent parfois sous plusieurs pseudonymes : T. Trilby (Marie-Thérèse Marnyhac), René d'Anjou (Marie-Renée Meslet), Magali, Max du Veuzit. Un certain nombre d'auteurs qui écrivent aussi des romans d'aventures ou des récits policers y publient aussi des romans sentimentaux : Georges Spitzmüller, Arthur Bernède, Georges (Joséphine) Maldague, Pierre Maël, Pierre Decourcelle.
Le genre du roman sentimental est particulièrement illustré en France par trois noms. Delly est le pseudonyme adopté par Marie Petitjean de La Rosière et son frère Frédéric pour signer une centaine de romans de 1903 à 1947. Son œuvre se distingue par une relative variété dans le roman sentimental, où s'ajoutent souvent des éléments mystérieux (meurtres, enlèvements, secrets) et un certain exotisme. Certes, l'aristocratie règne, les valeurs conformistes et catholiques sont nettement affirmées, le conte de fées n'est pas loin (il apparaît parfois dès le titre : Un marquis de Carabas, Comme un conte de fées). Parallèlement, Max du Veuzit (Alphonsine Vavasseur) publia une cinquantaine de romans parfois considérés comme plus audacieux que ceux de Delly. Sans être aussi moralisatrice, elle emprunte aussi à d'autres genres des éléments mystérieux. Le contexte social est toujours occulté, mais ces romans ne cherchent pas à passer pour réalistes. Magali (Jeanne Philbert) commença à publier des romans sentimentaux en 1926, cherchant à renouveler un peu le genre en présentant des héroïnes professionnellement actives. Il existe aussi un roman sentimental plus réaliste dont les auteurs sont le plus souvent des hommes : ainsi Guy de Téramond, auteur de la série à succès « Crimes des danseurs mondains », ou Marcel Priollet. Ce courant est resté productif, dans la mesure où l'on peut y rattacher des auteurs comme Guy des Cars, qui a su trouver une place à part, en recourant à un certain naturalisme au cœur d'une fiction sentimentale dont les protagonistes sont presque toujours des marginaux, voire des monstres
À la fin du XXe s., le roman sentimental connut un renouveau et une expansion considérable, à travers le succès commercial de collections populaires à bon marché. Les éditions Harlequin arrivées dans les années 1980 proposèrent de véritables productions en série sur des schémas prédéfinis, avec des séries très spécialisées. Les auteurs sont plutôt des rédacteurs écrivant d'après des cahiers des charges précis. D'autres éditeurs ont lancé des collections concurrentes : « Duo » (Flammarion), « Passion » (Presses de la Cité) et « J'ai lu », qui a l'ambition de rééditer des classiques : Barbara Cartland, Serge et Anne Golon (Angélique), Juliette Benzoni, etc.
Le roman sentimental d'aujourd'hui conserve le scénario traditionnel du conflit amoureux : des obstacles retardent, jusqu'aux dernières pages, la reconnaissance de l'amour, qui n'est plus symbolisée par le mariage seul, mais, de plus en plus souvent, par des relations sexuelles. C'est dans l'invention et la mise en place des obstacles que se manifeste essentiellement l'inventivité de l'auteur.
Parfois traité de mystificateur, de niaisement optimiste, tournant le dos à la vérité des rapports sociaux, le roman sentimental reste un grand pourvoyeur de rêves.