manifeste
Texte bref, publié en brochure ou dans un journal, une revue, par un groupe politique, philosophique, artistique, pour définir ses vues, son programme ou justifier son action, le manifeste entre dans la terminologie littéraire avec le Tableau historique et critique de la poésie française et du théâtre français au XVIe siècle (1828) de Sainte-Beuve, qui compare la Défense et Illustration de la Pléiade au « manifeste d'une insurrection soudaine ». Texte à la fois de rupture et de fondation, le manifeste avant la lettre peut, sous une forme « froide », prendre l'aspect d'un essai critique (Discours de la tragédie, de Corneille, 1660 ; les Parallèles, de Perrault, 1688-1697 ; Racine et Shakespeare, de Stendhal, 1823), d'une préface (Préface de Cromwell, de Hugo, 1827), d'une série d'articles de presse (le Roman expérimental, de Zola, 1879-1880). Le manifeste représente un jalon dans l'histoire des idéologies et des formes de représentation, même s'il ne fait parfois que transférer dans le domaine littéraire des modèles ou des données déjà expérimentés dans les systèmes politiques ou scientifiques. Critique dans son propos et utopique dans son projet (celui-ci est présenté comme engageant non seulement la littérature, mais la culture dans son ensemble), il est lié à l'avant-garde comme système obligé de « déconditionnement » de la création littéraire : ainsi du Manifeste du symbolisme de Moréas publié dans le Figaro du 18 septembre 1886 (suivi en 1891 de son Manifeste de l'école romane), du Manifeste du naturisme (1897) de Saint-Georges de Bouhélier, du Manifeste du futurisme (1909) de Marinetti et du Manifeste dada (1918), jusqu'aux deux Manifestes du Surréalisme (1924, 1929-1930) de Breton. Cette volonté de complète rénovation est en réalité ambiguë : écrit de combat, le manifeste en appelle à une situation intolérable, majoritairement acceptée, mais suggère cependant la proximité d'un public capable de le recevoir ; il tente, dans un élan et avec des accents souvent prophétiques, d'asseoir son autorité à partir de thèses qui ne sont pas encore admises (d'où le recours à la séduction ou à la violence polémique) ; enfin, porteur d'une autorité fondatrice, il est lié à une situation datée et transitoire.
Manilius (Marcus)
Poète latin (Ier s. apr. J.-C.).
On ne sait rien de la vie de ce poète qui vécut sous les règnes d'Auguste et de Tibère. Il est l'auteur d'un poème didactique en 5 livres et inachevé, les Astronomiques, qui s'inspire de Lucrèce et est consacré essentiellement à l'astrologie. L'exposé scientifique se teinte de préoccupations morales dans une perspective stoïcienne.
Manimekalai
Poème tamoul de Cattan de Madurai, dont la date de composition se situe entre le IIe et le VIIIe s.
Il se présente comme une suite du Cilappatikaram et conte l'histoire d'une jeune fille qui, pour rester fidèle à la doctrine bouddhiste, connaîtra de multiples aventures. L'œuvre apporta à la littérature tamoule le goût pour le merveilleux et le fantastique.
Mann (Heinrich)
Écrivain allemand (Lübeck 1871 – Santa Monica, près de Los Angeles, 1950).
Parmi ses œuvres d'avant la Première Guerre mondiale figurent ses satires de la société wilhelminienne, Au pays de Cocagne (1900), le Professeur Unrat (1905) et, surtout, le Sujet (1918). En pleine guerre entre l'Allemagne et la France, Heinrich Mann publie un essai sur Zola qui fait scandale. Après 1919, il s'engage pour la démocratie allemande et la réconciliation entre la France et l'Allemagne, condition de la paix en Europe. Forcé de quitter l'Allemagne en 1933, il s'établit en France, puis, en 1940, aux États-Unis. Très influencé par la littérature française (Montaigne, Stendhal, Zola, Anatole France), il est soucieux de critique sociale, vigoureusement antihitlérien et antifasciste ; il a laissé de nombreux romans (la Petite Ville, 1909 ; le Souffle, 1949) et nouvelles (Flûtes et Poignards, 1905 ; la Jeunesse et la Maturité du roi Henri IV, 1935-1938).
Mann (Klaus)
Écrivain allemand (Munich 1906 – Cannes 1949).
Fils aîné de Thomas Mann, il traduit dans ses premières œuvres le désarroi et la révolte de la génération d'après-guerre. Pendant les années d'exil après 1933, il s'engage dans la lutte antifasciste en publiant deux revues, la Collection (1933-1935) et Décision (1941-1942), aux États-Unis. Le roman le Volcan (1939) dresse un tableau désenchanté des milieux d'émigrés, tandis que Mephisto (1936) est le roman à clés d'une carrière d'opportuniste sous le IIIe Reich. Klaus Mann laisse un dernier message avec l'Esprit européen à l'épreuve et une autobiographie, le Tournant.
Mann (Mendel)
Écrivain de langue yiddish (Plonsk, Pologne, 1916 – Paris 1975).
Il débute avec des poèmes en 1938 à Varsovie. Réfugié en U.R.S.S. au début de la guerre en 1939, il est mobilisé dans l'Armée rouge, avec laquelle il entre à Berlin en 1945. Il s'installe en Israël en 1948 puis en France en 1961. Ses nombreux romans et nouvelles ont parfois pour sujet la vie des Juifs en Pologne avant 1939, mais principalement la Seconde Guerre mondiale et les premières années de l'État d'Israël. Sa Trilogie (Aux portes de Moscou, 1956 ; Sur la Vistule, 1958, et la Chute de Berlin, 1960) est son œuvre la plus marquante.
Mann (Thomas)
Écrivain allemand (Lübeck 1875 – Zurich 1955).
Originaire d'une vieille famille de négociants et de patriciens hanséatiques, installé à Munich après la mort du père (1891) et la liquidation de l'affaire familiale, il publie en 1901 le roman les Buddenbrook. Roman du déclin d'une famille et d'une société, c'est aussi une variation sur un thème central de son œuvre : les rapports entre l'art et la vie, l'artiste et la société bourgeoise. Ce thème romantique rejoint chez Mann le thème moderne, « fin de siècle », de la décadence : la sensibilité artistique constitue non seulement un obstacle à l'adaptation à la société bourgeoise, mais aussi un symptôme de la décadence. L'artiste est fasciné par les aspects nocturnes, morbides de l'existence, et attiré par la mort. L'art et l'esprit sont des formes de dégénérescence de la « vie ». Comme Nietzsche, Mann voit l'ambiguïté de cette notion de décadence, et c'est cette contradiction qui est à l'œuvre en particulier dans les nouvelles Tristan, Tonio Kröger (1903) et la Mort à Venise (1912), dans le drame Fiorenza (1906) et le roman Altesse royale (1909).
En 1914, Thomas Mann se fait le propagandiste de la spécificité et de la mission particulière de l'Allemagne et de sa « culture », contre la « civilisation » occidentale et contre la démocratie (Considérations d'un apolitique, 1918). Il se trouve alors aux antipodes d'un Romain Rolland ou de son propre frère, Heinrich Mann. Dans les années de l'après-guerre, il reviendra progressivement sur ces positions : 1922 voit à la fois la réconciliation entre les deux frères et une prise de position publique de Thomas Mann en faveur de la démocratie allemande (De la République allemande). Par la suite, il ne cessera de soutenir et de défendre la république de Weimar et de lancer des mises en garde contre le danger nazi (Discours aux Allemands. Un appel à la raison, 1930). Sa production littéraire des années 1920 comprend des nouvelles (Désordres, 1926 ; Mario et le Magicien, 1930), de nombreux essais, discours et articles, et surtout un grand roman, la Montagne magique (1924), qui est une magistrale somme des courants spirituels de l'Europe au XXe s. Thomas Mann obtient en 1929 le prix Nobel de littérature.
Surpris par l'arrivée au pouvoir d'Hitler alors qu'il se trouve à l'étranger, Thomas Mann ne rentre pas en Allemagne. À partir de 1936, il s'engage activement dans la lutte contre le fascisme : il publie la revue Mass und Wert (1937-1940) et multiplie ses appels (Avertissement à l'Europe, 1938 ; Appels aux Allemands, 1942). Même les œuvres littéraires de cette époque, en particulier le roman sur Goethe Charlotte à Weimar (1939), sont des manifestes contre la barbarie, au nom de l'humanisme. Après la Suisse, ce sont les États-Unis qui l'accueillent (1938-1952). La tétralogie romanesque Joseph et ses frères, dont les trois premiers tomes ont paru en 1933, 1934 et 1936, est à présent achevée (1943). Sur la trame fournie par la légende biblique de Joseph, fils de Jacob, Thomas Mann mêle tous les genres et tous les styles, le passé et le présent. Joseph, l'élu de Dieu, le rêveur égocentrique (un autre avatar de l'artiste), trouve sa voie dans le dévouement au bien commun et devient le protecteur et le nourricier de son peuple. Cette évolution, de l'irrationalisme romantique à un socialisme aux couleurs du New Deal rooseveltien, est aussi celle que Thomas Mann a suivie lui-même. Le destin du compositeur allemand Adrian Leverkühn, héros du roman le Docteur Faustus (1947), ne connaît pas cette fin apaisée. C'est la course à l'abîme, à la folie, à la mort, d'un artiste prisonnier de son démon, et c'est, à travers lui, l'image du destin de l'Allemagne. Cette Allemagne, que Thomas Mann retrouve en 1949, lui est devenue étrangère ; il ne se sent enraciné que dans la culture allemande, non dans sa réalité présente, et refuse de choisir entre les deux États allemands nés de la guerre. C'est en Suisse qu'il s'installe finalement en 1952 et qu'il meurt en 1955.
Les Buddenbrook. Ce premier roman (1901) de Thomas Mann, qui porte le sous-titre Décadence d'une famille, décrit le destin d'une dynastie patricienne de Lübeck au XIXe s. : le dernier rejeton, Hanno, un garçon délicat et artiste, meurt à l'âge de 15 ans, épilogue d'une évolution que T. Mann suit à travers quatre générations. La déchéance sociale des Buddenbrook est due en partie au monde extérieur qui change, mais aussi et surtout à la perte progressive de leur vitalité à mesure que se développent leur sensibilité et leur raffinement intellectuels et artistiques. Roman d'une famille, c'est aussi le roman d'une société vouée à la disparition. Les rapports de l'art et de la vie sont développés dans une œuvre qui allie la tradition du roman réaliste et la philosophie de Schopenhauer.
La Mort à Venise, nouvelle (1912). Gustav Aschenbach, écrivain à l'apogée de son art et de la réussite sociale, rencontre à Venise un jeune garçon extraordinairement beau, Tadzio. Tout son univers bascule ; sa rigueur morale, la façade de respectabilité et même l'instinct de conservation se désagrègent. Il reste à Venise malgré l'épidémie de choléra et succombe à la maladie. Tout le processus qui amène Aschenbach de déchéance en déchéance, et finalement à la mort, apparaît comme une fatalité secrètement acceptée par la victime. Dionysos est plus fort qu'Apollon, la connaissance comme la beauté conduisent fatalement à l'abîme. Hermès psychopompe, le jeune Tadzio lui en a montré le chemin. Construit sur des éléments historiques (le personnage de Gustav Mahler, le souvenir de R. Wagner et du comte de Platen), ce récit apparaît aussi comme une sorte de catharsis personnelle de Thomas Mann. Le film de Luchino Visconti (1970), adapté de cette nouvelle, qui mêle un style pictural emprunté à l'impressionnisme à la musique de Mahler, a contribué à faire de cette œuvre l'un des livres les plus lus en France.
Docteur Faustus (1947). Sur ce récit, écrit entre 1943 et 1947 aux États-Unis, Thomas Mann a publié un vaste essai explicatif, la Genèse du docteur Faustus. Roman d'un roman (1949). Un narrateur, Serenus Zeitblom, adepte d'Érasme, raconte entre 1943 et 1945 le destin de son ami d'enfance, le compositeur Adrian Leverkühn, mort fou en 1940. La technique narrative (y compris le symbolisme très développé des chiffres) permet de transformer cette histoire d'artiste en une allégorie tragique de l'histoire de l'Allemagne qui, vouée au diable national-socialiste, sombre dans la folie et la destruction. Le roman est composé selon des modèles musicaux (Wagner et Schönberg) et repose sur l'équation idéologique « Allemagne depuis Luther = Faust et le diable = musique = démission politique ». La folie du nouveau Faust est racontée d'après le modèle biographique de Nietzsche et développe le problème de la singularité créatrice qui, lorsqu'elle ne se détruit pas elle-même, est rendue vaine par l'inhumanité de l'époque.
La Montagne magique (1924). Un jeune ingénieur, Hans Castorp, vient rendre visite à un de ses cousins dans un sanatorium de Davos. Intrigué, puis séduit par ce lieu hors du temps et de l'espace, il tombe malade lui-même et finira par y rester sept ans. Ce seront des années de formation et d'initiation par la lecture et la réflexion, par la rencontre de l'amour et surtout par les conversations dans lesquelles tous les courants spirituels de l'Europe d'avant 1914 convergent, s'affrontent et déploient leur magie, rendus à la fois plus dérisoires et plus tentants par l'omniprésence de la mort. Hans, le « simple », traversera les sortilèges en restant indemne ; il partira guéri, mûri, prêt à affronter la « vie »... mais ce sera pour trouver l'Europe embrasée par la guerre la plus meurtrière. Sous une structure linéaire se cache un jeu complexe de correspondances et de références mythologiques et hermétiques.