Dictionnaire de la Littérature 2001Éd. 2001
D

Dujardin (Édouard)

Écrivain français (Saint-Gervais-la-Forêt, Loir-et-Cher, 1861 – Paris 1949).

Riche de tentatives originales, son œuvre éclate dans des genres multiples et reflète un esprit multiforme et créatif. Dujardin crée en 1886 la Revue indépendante, qui sert, jusqu'en 1888, de point de rencontre aux symbolistes : l'union de tous les arts « dans un effort commun à créer la vie », mot d'ordre qui témoigne de la passion de l'écrivain pour la musique et les théories esthétiques de Wagner. Romancier, il tente de transposer les procédés wagnériens. Et surtout il inaugure, dans Les lauriers sont coupés (1888), le procédé littéraire du « monologue intérieur » que James Joyce reprendra avec tant d'éclat que ce titre éclipse le reste de l'œuvre de celui qui se voulait aussi l'inventeur du vers libre.

Dulaurens (Henri Joseph Laurens, dit)

Écrivain français (Douai 1719 – Marienborn 1793).

Devenu moine sous la pression de sa famille, il défroqua et mena une vie d'aventures, de scandales et d'errances. Ses œuvres frappent par leur caractère excentrique et leur esprit provocateur, violemment antireligieux, en particulier Irmirce ou la Fille de la nature, la Chandelle d'Arras (1765), et le Compère Mathieu ou les Bigarrures de l'esprit humain (1766). Arrêté en 1765, condamné à la prison à perpétuité en 1767, il mourut fou en 1793.

Dumarsais (César Chesneau, sieur)

Grammairien français (Marseille 1676 – Paris 1756).

Oratorien, il quitte Marseille et vient étudier le droit à Paris. Avocat en 1704, puis précepteur, il écrit en 1722 une Nouvelle Méthode pour apprendre la langue latine. Dans sa Grammaire générale (publiée par Beauzée en 1767) comme dans ses articles de l'Encyclopédie (« Césure », « Citations », « Conjugaison », « Construction » notamment), il élabore une théorie du langage qui doit à la fois à Locke, à Descartes et aux grammairiens de Port-Royal. Privilégiant la raison et la pensée, selon lui antérieures au langage, il est conduit à voir l'ordre « naturel » des mots dans l'ordre des mots du français (sujet-verbe-objet). Il affirme ainsi la coupure entre la rhétorique (qui s'écarte de la construction simple) et la grammaire, et la primauté du français sur les autres langues (langues à inversion). Les thèses de Dumarsais seront « gauchies » vers la logique, dans un sens cartésien, par Beauzée qui continue son œuvre dans l'Encyclopédie. Ces conceptions marquent aussi le Traité des tropes (1730), réhabilité en 1968. Dumarsais y donne une classification des figures du discours qu'il définit comme écart, non par rapport au langage courant, mais par rapport « aux manières de parler qui expriment le même fond de pensée sans avoir d'autre modification particulière ».

Dumas (Alexandre) , dit Dumas père

Écrivain français (Villers-Cotterêts 1802 – Puys, près de Dieppe, 1870).

La question des origines familiales est omniprésente dans l'œuvre de Dumas, sans doute parce que les siennes sont complexes : son père, Thomas-Alexandre Dumas, est le fils d'un aristocrate français établi à Saint-Domingue, Antoine-Alexandre Davy de La Pailleterie, et de son esclave noire Marie-Césette Dumas. Arrivé en France en 1776, Thomas-Alexandre choisit le nom de sa mère pour s'engager. Il sert dans l'armée de la République, puis de l'Empire, et meurt en 1806, laissant sa femme et ses deux enfants dans une situation difficile. Le futur écrivain connaît cependant une enfance libre et heureuse à Villers-Cotterêts. En 1823, il gagne Paris, et obtient une place de secrétaire dans les bureaux du duc d'Orléans. Mais ses ambitions le portent ailleurs, vers une carrière de dramaturge ; le romantisme est d'abord une grande époque de théâtre. C'est au début de 1829, avec Henri III et sa cour, qu'il connaît son premier grand succès : d'un jour à l'autre, il devient célèbre. Grand succès aussi d'Antony (1831), de la Tour de Nesle (1832), d'Angèle (1833), de Kean (1836). Dumas est alors lancé dans le monde romantique, il se lie avec Hugo, Vigny, Delacroix, Nerval, fréquente les Orléans et collectionnne les maîtresses. À lui tout seul, il est le parfait résumé d'une époque. Il voyage aussi beaucoup (Italie, Sicile, Allemagne) et publie dans les journaux ses Impressions de voyage. Sa fortune littéraire prend un nouveau tournant au début des années 1840, avec l'apparition de la presse moderne à grands tirages qui fidélise ses lecteurs grâce au roman-feuilleton. Dumas collabore à plusieurs grands titres : la Presse, le Siècle, le Constitutionnel, le Journal des débats. Avec la collaboration, entre autres, d'Auguste Maquet, rencontré en 1839, il publie des romans qui vont connaître un succès sans précédent : les Trois Mousquetaires (1844), le Comte de Monte-Cristo (1844-1846), Vingt Ans après (1845), la Dame de Monsoreau (1846), les Quarante-Cinq (1847), Joseph Balsamo (1846-1848), le Vicomte de Bragelonne, (1847-1850), le Collier de la reine (1849-1850), Ange-Pitou (1851), la Comtesse de Charny (1852-1853)... Enrichi, il achète en 1844 un terrain à Marly-le-Roi où il fait construire le château de Monte-Cristo, de style néo-Renaissance. Mais il en profitera peu : la révolution de 1848 cause la ruine du Théâtre-Historique, dans lequel il avait investi une partie de sa fortune. Parallèlement, il est candidat à la députation, mais sans succès. En décembre 1851, après le coup d'État de Louis-Napoléon Bonaparte, qu'il avait d'abord soutenu, il se réfugie à Bruxelles. Mais il s'agit surtout pour lui de fuir ses créanciers. Par ailleurs, il entreprend alors la rédaction de ses Mémoires. Revenu à Paris en 1853, il fonde le journal le Mousquetaire, qui s'avérera « une bonne action mais une mauvaise affaire » et qui cesse de paraître en 1857, remplacé par le Monte-Cristo, dont il assume seul la rédaction. Mais l'écriture est toujours concurrencée par les voyages : en Angleterre, en Allemagne, en Russie surtout (1858-59), encore et toujours en Italie (1859-1860) : il y rencontre Garibaldi et prend part à l'expédition des Mille. À Naples, il fonde l'Indipendente pour soutenir la cause de l'unité italienne. Les dernières années voient encore paraître quelques grands romans : la San Felice (1863-1865), les Blancs et les Bleus (1867), Création et Rédemption (1869-1870). Dumas, entre deux voyages, prononce des séries de conférences en France et à l'étranger. En septembre 1870, affaibli et ruiné, il se rend chez son fils à Puys, où il meurt le 5 décembre 1870.

Une singulière destinée littéraire

Bien que reconnu par ses pairs (voir les témoignages de Hugo, de George Sand), il a longtemps été maltraité par la postérité, qui ne voyait en lui qu'un écrivain pour la jeunesse, d'où un grand nombre d'éditions remaniées et abrégées de ses titres les plus fameux, popularisés en outre par le cinéma. Son œuvre a souffert aussi d'être cataloguée rapidement (roman populaire, roman historique) plutôt qu'étudiée sérieusement. Il semble que la situation est en train de changer et qu'une nouvelle lecture de Dumas s'impose, portée par des éditions critiques sérieuses dues à Claude Schopp, qui révèlent au public certains romans encore peu connus : la San Felice, les Mohicans de Paris, Olympe de Clèves.

Dumas n'est-il qu'un romancier « historique » ?

Cette question permet d'aborder la place de l'histoire au XIXe siècle. La génération romantique a le sentiment de vivre des événements politiques inédits, ce qui se ressent dans la littérature et l'art en général. L'influence de Walter Scott joue également un rôle important et suscite de nombreux émules. Il faut alors distinguer ceux qui utilisent l'histoire comme un simple décor (Anquetil), cultivent le pittoresque, le dépaysement, et ceux qui en font le sujet même de leur œuvre (Hugo, Vigny, Dumas). Pour ces derniers, l'histoire ne saurait être une donnée gratuite, abordée de manière désengagée. Le « roman historique » s'oppose ainsi au « roman de l'Histoire ». C'est particulièrement vrai pour Dumas, qui conçoit le projet global d'une histoire totale, largement influencé par Vico et Michelet, empruntant au premier l'idée de cycle historique et partageant avec le second le même engagement politique : la Révolution est pour eux la finalité suprême, l'aboutissement de la marche des siècles. La portée didactique de l'œuvre est revendiquée par son auteur. « Nous avons eu un double but : instruire et éduquer. Et nous disons instruire d'abord ; car l'amusement, chez nous, n'a été qu'un masque à l'instruction.... nous avons la prétention d'avoir... appris à la France autant d'histoire qu'aucun historien », écrit-il en 1857, dans les Compagnons de Jéhu. Mais, loin d'être déterminé par une idéologie envahissante, le roman dit l'histoire par le biais de la fiction, portée par des individualités fortes et représentatives d'une époque (d'Artagnan, Athos, Gilbert), dont le destin prend une valeur exemplaire.

   Dumas est donc avant tout un grand romancier romantique, créateur d'un monde riche de personnages mythiques. Le passé l'intéresse dans la mesure où il explique le présent. Et c'est ce XIXe siècle parfois déroutant (la Restauration, la monarchie de Juillet) qui fait irruption dans le Comte de Monte-Cristo et dans les Mohicans de Paris. Là encore, on retrouve la même exigence de totalité qui régissait l'investigation historique, mais transposée dans le domaine social. On a pu dire ainsi de ces deux romans qu'ils constituaient un résumé de la Comédie humaine. Plongeant dans les milieux les plus variés, ils révèlent ainsi le concentré des mythes et des idéologies de leur époque : l'Argent, le Pouvoir, l'Art, le Travail... La dimension politique est également très présente : la fiction traduit le deuil progressif de l'héritage napoléonien et l'avènement des idées républicaines. Loin de se cantonner dans le passé, Dumas se veut écrivain de la modernité.