Dictionnaire de la Littérature 2001Éd. 2001
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Mercanton (Jacques)

Écrivain suisse de langue française (Lausanne 1910 – id. 1996).

La rigueur de l'enseignant (il fut professeur de littérature française à l'université de Lausanne), sa grande culture littéraire et musicale, les nombreux voyages qu'il avait entrepris se retrouvent dans ses essais sur les auteurs français du Grand Siècle, sur Thomas Mann et James Joyce (qu'il connaissait personnellement). Dans une démarche similaire, le nouvelliste (la Sibylle, 1976) et le romancier (de Thomas l'Incrédule, 1943, à l'Été des Sept-Dormants, 1974) décrit, dans une langue toujours dépouillée, les déchirements intérieurs d'hommes et de femmes qui ne parviennent pas toujours à réconcilier devoir et passion, don de soi et amour charnel, et pour qui la vie intime ne se réduit pas à la seule sexualité. Dans l'Été des Sept-Dormants, roman d'apprentissage (et peut-être sa meilleure œuvre), le passage de l'adolescence à l'âge adulte exerce une fascination mystérieusement érotique sur les protagonistes, qui y pressentent une clef pour approcher du mystère de la vie.

Mercer (David)

Auteur dramatique anglais (Wakefield, Yorkshire, 1928 – Haïfa, Israël, 1980).

Son itinéraire personnel l'amena à sympathiser avec les déviants, héros en marge, socialement et psychologiquement, qui cherchent à échapper aux institutions normalisantes et répressives (Là où commence la différence, 1961 ; Un cas susceptible de traitement, 1962). Il écrit principalement pour la télévision (la trilogie Générations, 1961-1963) ; sa pièce Deux Esprits (1971) inspira le film de Ken Loach Vie de famille (1972), et il fut l'auteur du scénario de Providence (1977) d'Alain Resnais.

Mercier (Alfred)

Médecin et écrivain louisianais de langue française (McDonough, Louisiane, 1816 – La Nouvelle-Orléans 1894).

Fondateur de l'Athénée louisianais, il a publié dans ses Comptes rendus de très nombreux articles, dont une étude sur la langue créole qui reste une référence (1880). Poète, il débuta dans le goût romantique (la Rose de Smyrne et l'Ermite du Niagara, 1842) pour aboutir à une ciselure parnassienne. Il a écrit également des dialogues philosophiques à la façon de Renan, du théâtre (Fortunia, 1888) et plusieurs romans aux intrigues mélodramatiques (la Fille du prêtre, 1877 ; Lidia, 1887), dont le meilleur, l'Habitation Saint-Ybars (1881), qui peint les mœurs à l'époque de l'esclavage, constitue un des sommets de la prose franco-louisianaise.

Mercier (Louis-Sébastien)

Écrivain français (Paris 1740 – id. 1814).

Son œuvre, énorme et inclassable, se situe au carrefour de tous les courants novateurs de la fin du XVIIIe siècle. Lié à Rousseau, Crébillon fils ou Diderot, il écrit de nombreux drames et s'attire l'hostilité des Comédiens-Français en publiant une théorie du théâtre, Du théâtre ou Nouvel Essai sur l'art dramatique (1773) : pamphlet contre la tradition et défense d'un théâtre qui pousserait le peuple à l'action, y compris politique. C'est en 1781 que commence à paraître son Tableau de Paris au succès considérable, mais qui, censuré, le contraint de fuir en Suisse, où il l'achèvera et écrira Mon bonnet de nuit (1784). La publication d'une utopie, l'An deux mille quatre cent quarante, rêve s'il en fut jamais, avait en réalité intégré Mercier, dès 1771, dans la frange la plus avancée politiquement de l'élite des Lumières. Pendant la Révolution, il se lance dans le journalisme et collabore aux Annales patriotiques et littéraires de la France, échappe à la Terreur pour être nommé professeur d'histoire à l'École centrale et poursuit son œuvre d'écrivain avec le Nouveau Paris (1798), une Histoire de France (1800) et sa Néologie ou Vocabulaire de mots nouveaux (1801). Sous l'Empire, il continuera à afficher des opinions républicaines avec un courage constant.

   L'œuvre de Mercier est toujours travaillée par sa propre « actualité ». Reprenant constamment ses textes, leur auteur ne cesse de leur inventer une modernité qui les rend à jamais inachevés. Avec une conscience aiguë du devenir, il se relit et se récrit sans cesse, « journalisant » son œuvre, saisie toujours comme pratique sociale. Cette obsession du mouvement est si grande qu'il ne peut se résigner à donner à l'An deux mille quatre cent quarante les structures définitivement figées de l'u-topie. Il préfère l'u-chronie, qui lui permet d'inscrire dans le temps la société qu'il imagine pour la France. Il peut alors affirmer après coup avoir prophétisé la Révolution. Bien plus que l'utopie, l'uchronie libère les démons critiques qui habitent l'imagination, dirigent le regard et viennent se saisir du réel. Le Paris de 2440 mène le lecteur tout droit à celui de 1781, au Tableau de Paris. Un nouveau « Diable boiteux » nous révèle toute la bigarrure de la société parisienne de l'Ancien Régime, mêlant, loin de toute contrainte formelle, jugements, descriptions, anecdotes et indignations. Mais, avec Mercier, on s'est éloigné de Lesage ou de La Bruyère : la société apparaît dans tous ses états, dans les détails les plus ténus, les gestes les plus quotidiens. Ce livre, plein d'une allégresse bouffonne et populaire, offre à l'historien un témoignage irremplaçable et découvrit aux lecteurs du XIXe siècle, dont Balzac et Hugo, l'émergence d'une poésie urbaine, la naissance littéraire de la ville. La réalité des choses n'éloigne pas Mercier de la réalité des mots, ceux qui viennent de naître dans toutes les couches de la société comme ceux qui doivent rejoindre une réalité transformée : de là cette Néologie ou Vocabulaire des mots nouveaux, à renouveler ou pris dans des acceptions nouvelles.

   Une telle œuvre, dans laquelle aucune hiérarchie ne vient situer à une place « naturelle » le sérieux et le futile, l'important et le dérisoire, le noble et l'ignoble et installer l'auteur dans sa dignité de « génie », ne pouvait prendre rang dans l'aristocratie de la littérature et fut de fait longtemps méprisée.

Méré (Antoine Gombaud, chevalier de)

Écrivain français (en Poitou v. 1607 – château de Baussay, Poitou, 1684).

Correspondant de Guez de Balzac, ami de Pascal et de La Rochefoucauld, il théorisa l'« honnêteté », faite de culture, de justesse et de disponibilité d'esprit, de politesse du cœur et des manières, de connaissance de soi et du monde (Des agréments, 1676 ; De l'esprit, 1677 ; De la conversation, 1677). Sceptique, préférant le goût aux règles, il s'opposa à l'esthétique de Boileau.