Dictionnaire de la Littérature 2001Éd. 2001
H

Hésiode, en gr. Hêsiodos

Poète grec épique (Ascra, Béotie, VIIIe-VIIe s. av. J.-C.).

Sa biographie, reconstruite par des érudits d'époque tardive, qui en font un contemporain et un rival victorieux d'Homère, repose d'abord sur ses œuvres. Paysan pauvre, menant une vie rude, il se serait opposé à son frère Persès pour leur maigre héritage, et les Muses lui auraient inspiré le don de la poésie, alors qu'il faisait paître ses brebis au pied de l'Hélicon. Outre de nombreux fragments (en particulier le Catalogue des femmes ou Éhées), il nous reste de lui trois poèmes en hexamètres dactyliques.

   La Théogonie (gr. Theogonia) ou Naissance des dieux, en 1022 vers, après un prologue où Hésiode devient le premier auteur de la littérature occidentale à dire « je », raconte l'accession de Zeus au pouvoir suprême, de la naissance du monde, à partir de Chaos (Abîme), Gaia (Terre), Éros (Amour), et Ouranos (Ciel), et de leurs descendants divins, entités naturelles, notions personnifiées (Thanatos, Mort ; Eris, Querelle...), dieux anthropomorphes (Poséidon, Athéna...), jusqu'à l'union de Zeus avec Métis (Intelligence rusée) et Héra. Hésiode évoque aussi, par exemple, la castration d'Ouranos, la naissance d'Aphrodite, les générations de Titanides, la ruse de Zeus contre son père Cronos, le don du feu aux hommes et la création du sacrifice par Prométhée, la guerre entre les dieux olympiens et les Titans, finalement enfermés dans le Tartare. Ce récit, proche des cosmogonies moyen-orientales, évoque le triomphe d'une justice équitable et harmonieuse sur un ancien monde de violence et d'excès.

   Les Travaux et les Jours (gr. Erga kai êmerai) évoquent, en 828 vers, les thèmes de la justice et du travail. Rendant honneur à Zeus, Hésiode distingue d'abord les deux formes d'Éris, l'émulation féconde et l'envie stérile, source d'injustice et de mensonge, dont il accuse son frère. La condition mortelle est expliquée par les deux mythes fondamentaux de Pandora (la femme, fléau envoyé par les dieux olympiens contre Prométhée et Épiméthée) et des cinq races (d'or, d'argent, de bronze, des héros et de fer), dont il résulte que les hommes sont soumis à la dure loi du travail. Ensuite, Hésiode présente un calendrier détaillé des travaux des champs et de la navigation et un catalogue des interdits religieux et des jours fastes et néfastes. Ce poème, au style varié (blâme, mythe, fable, catalogue gnomique), est un éloge de la Dikê (Justice) contre l'Hûbris (Démesure).

   Le Bouclier d'Héraclès (gr. Aspis Heracleous), attribué à Hésiode, remonte sans doute au VIe s. av. J.-C. et décrit en 480 vers, sur le modèle du bouclier d'Achille dans le chant XVIII de l'Iliade, des scènes de la vie quotidienne ou mythologique gravées sur le bouclier d'Héraclès, qui combat Cycnos, fils d'Arès.

   L'influence d'Hésiode sur la poésie élégiaque et iambique postérieure est déterminante, et ses oeuvres sont significatives d'un monde post-homérique où se mettent en place un nouveau système de valeurs, à dominante agraire, l'écriture et les premières bases de la cité classique.

Hesse (Hermann)

Écrivain allemand, naturalisé suisse en 1923 (Calw, Wurtemberg, 1877 – Montagnola, Tessin, 1962).

Personnalité contradictoire, marquée par une éducation stricte (Âme d'enfant, 1920), une rébellion contre toute forme d'autorité (l'Ornière, 1906) et l'incapacité de choisir un métier, il oscillera toujours entre les deux « piliers-principes » du monde : révolte/nostalgie de l'ordre, errance/fixation, tradition/modernisme, Occident/Orient. Après les poèmes des Romantische Lieder (1899), son premier roman (Peter Camenzind, 1904), d'inspiration romantique et reflétant « la part rêveuse, oublieuse et paisible de lui-même » (Blanchot), le prix Nobel lui assure la consécration en 1946. Ses prises de position pacifistes lui valent dès 1914 des haines irréductibles. Une crise (cure de psychanalyse en 1916) lui fait concevoir la littérature comme le moyen d'exprimer ses conflits, déjà présents dans Rosshalde (1914) et chez le vagabond Knulp (1915). Ainsi, Demian (1919) décrit deux mondes, celui de la sécurité familiale et morale et celui des interdits, plus fascinant que l'autre, tandis que Siddharta (1922), récit hindou qui sera « redécouvert » par la jeunesse américaine des années 1960, montre que la sagesse ne peut être acquise qu'au bout d'un long périple, en dehors des canons traditionnels (éducatifs et religieux). Si le Loup des steppes (1927) est un roman grinçant et chaotique, Narcisse et Goldmund (1930) se distingue par sa sérénité et un retour à la forme classique de « l'errance éducative », celle d'un jeune artiste qui, dans un Moyen Âge tourmenté, parfait sa vocation. Autodidacte, Hesse, qui a fait un séjour en Inde en 1911, étudie la pensée orientale (Voyage en Orient, 1932) en y cherchant l'unité du moi, dont la nostalgie apparaît tout au long de son œuvre dans des couples de personnages complémentaires, où l'un, qui se cherche, a besoin de l'aide de l'autre, qui choisit un chemin différent ou lui ouvre des horizons inconnus (Giebenrath/Heilner dans l'Ornière ; Sinclair/Demian ; Govinda/Siddharta ; Haller/Hermine dans le Loup des steppes ; Goldmund/Narcisse) : synthèse qu'il tentera de réaliser dans l'apothéose qu'est son dernier roman, le Jeu des perles de verre (1943).

Le Loup des steppes [Der Steppenwolf] (1927). Quadragénaire cultivé, Harry Haller ne parvient pas à unifier les deux aspects de son être (instinct/esprit) : le « loup » (animal aigri) et « l'homme » (héritier d'une grande civilisation). Hanté par l'idée du suicide, il est délivré de sa névrose par Hermine, qui l'entraîne dans une découverte de la dispersion du monde intérieur. Avec des accents nietzschéens (pessimisme, volatilisation du moi), Hesse présente un monde chaotique. À la fin, Haller apprend le rire mozartien (légèreté retrouvée) qui, idéalement, doit permettre une intégration des multiples facettes d'un être en constant devenir.

Le Jeu des perles de verre [Das Glasperlenspiel]. Ce dernier roman (1943) projette un idéal de vie contemplative qu'il faut à la fois préserver contre les périls extérieurs et propager dans le monde (vie active). Reprenant des éléments de son Voyage en Orient, Hesse décrit un Ordre nommé « Castalie » (une « province pédagogique » inspirée de Goethe), où des êtres choisis dès l'enfance pour leurs qualités humaines et intellectuelles se vouent à l'étude désintéressée, par la méditation et des règles monacales. Ce « Jeu des jeux » promet la création d'un langage traversant les âges et les civilisations et permettant de réunir la totalité des connaissances humaines. À travers la vie de Josef Knecht (= valet) qui, vers l'an 2200, gravit tous les échelons de l'Ordre jusqu'au grade de Magister ludi, apparaissent des thèmes chers à l'auteur comme le sacrifice de l'individu à la communauté et la relation maître/élève. Lorsque Knecht périt dans les eaux d'un lac, son jeune élève Tito se sentira profondément transformé et appelé à poursuivre la mission du Maître.