Dictionnaire de la Littérature 2001Éd. 2001
C

Coray (Adamantios)
ou Adamantios Korais

Écrivain grec (Smyrne 1748 – Paris 1833).

Après un séjour à Amsterdam et des études de médecine à Montpellier (1782-1788), il s'installe définitivement à Paris. Philologue, il se consacre à l'édition des textes anciens dans sa « Bibliothèque hellénique ». Patriote, il se dépense sans compter pour la cause philhellène et anime le Mercure savant, revue publiée à Vienne. Épistolier, il s'intéresse à tous les problèmes de l'éducation et surtout à la langue : il est célèbre pour sa théorie du « juste milieu », prônant une langue populaire fondée sur l'étude comparée du grec ancien et de la démotique. Disciple des Lumières, il veut une langue obéissant à la raison. Mais son message n'est pas entendu.

Corbière (Édouard, dit Tristan)

Poète français (Coat-Congar 1845 – Morlaix 1875).

« On m'a manqué ma vie », écrit celui qui dès l'adolescence fut voué par la maladie (rhumatisme aigu, peut-être tuberculose) à l'infirmité, à la difformité, à la mort précoce. Pires, la vie rognée par l'insomnie, et surtout, brusquement brisés, les rêves si vastes de naviguer, de dominer. Quelques mois en Italie, quelques séjours à Paris, une passion éphémère et mauvaise, des farces de rapin à Roscoff, cette résidence obligée pour son climat si doux : pitre et bourreau de soi-même, Corbière est rivé au dérisoire. « Je suis là mais comme une rature... », écrit-il face au père puissant, Édouard (1793-1875), brillant auteur du Négrier, navigateur et notable, qui jamais, dit-on, ne lira la grande œuvre de Tristan, à lui dédiée, jamais n'entendra ce rire jaune des Amours jaunes (1873), son unique recueil. Celui-ci fut publié à compte d'auteur chez les frères Gladys en août 1873. Les « Amours jaunes », de la couleur d'un rire glacé et grinçant, témoignent d'une œuvre de rupture, que seul Verlaine révélera dix ans après leur parution. Tout pouvait sembler rature et chaos dans les six parties de cette œuvre, où les thèmes de la mer, de la Bretagne ou de l'amour n'étaient pas l'essentiel : la désarticulation de la versification érigée en système, le lexique bariolé où l'archaïsme jouxte le néologisme et où triomphe un cosmopolitisme grotesque, la syntaxe brisée, et tout un langage presque prosaïque avec sa prédilection pour l'argot maritime, la complainte populaire ou l'exclamation triviale. Et pourtant, réduite à une quintessence osseuse, cette poésie qui condamne le chant, qui cultive l'absurde et l'humour railleur annonce aussi bien Laforgue, pour son goût du blasphème désespéré et cynique, que Joyce, T. S. Eliot, Céline et Queneau pour son recours au style oral, ou que les surréalistes, qui lui reconnurent d'ailleurs leur dette, pour ses vertus provocatrices. Sa dissonance même (« Ses vers faux furent les plus vrais »), qui la voue à l'imperfection, fonde, dans un nihilisme sans pathétique, sa modernité.

cordel (littérature de)

On appelle au Brésil littérature de cordel (d'un mot portugais signifiant « ficelle ») la production narrative populaire en vers, transmise oralement, récitée par l'auteur lui-même ou par un chanteur, devant le public des marchés et des places publiques, notamment dans le Nord-Est, mais aussi partout où il existe une agglomération d'immigrés de cette région. Ces poèmes sont imprimés à la main, sur papier d'emballage, et munis d'une couverture illustrée par une xylographie en accord avec le thème de l'histoire. Ils prennent la forme de feuilles pliées en 8 (folhetos), 16 ou 24 pages (romances, avec des histoires d'amour), dans le format 16 x 11,5. Ils sont mis en vente dans des étalages, accrochés à des ficelles (d'où l'expression « littérature de cordel »). D'origine européenne et introduits par les premiers colonisateurs, ces textes sont tirés des romans de chevalerie français, ou relatent des faits divers récents, réels ou imaginaires (crimes, miracles, animaux fabuleux, exploits de bandits d'honneur).

Cordes (Léon)

Écrivain français de langue d'oc (Siran 1913 – Montpellier 1987).

Né dans une famille de vignerons du Minervois, il est le poète très personnel d'Aquerèla (Aquarelle, 1946), de Branca tòrta (Branche tordue, 1964), Dire son si (Dire son être, 1975), Se conti que conte (Si je conte que je raconte, 1980). Acteur, metteur en scène et auteur dramatique, il a écrit un grand nombre de pièces jouées à la radio ou sur les scènes du bas Languedoc : La nòvia (la Mariée, 1935), Prudhon de la luna (Prudhon de la lune), La font de Bonas Gràcias (1956), La banda negra (la Bande noire, 1961), etc. Écrivain tous azimuts, il publia en 1972 une méthode d'initiation à l'occitan, puis des contes, une anthologie des troubadours, des nouvelles, un roman, une pastorale, un drame historique et fut à l'origine d'un festival occitan à Minerve.

Corée

La littérature coréenne classique

La poésie

Période ancienne

La première œuvre attestée de toute la littérature coréenne est le Chant de la Tortue, que l'on date de 42 apr. J.-C. La chronique ancienne dit que cette année-là neuf chefs et deux cents hommes de l'État tribal de Karak, après avoir fait l'ascension du mont Kuji, entonnèrent un « chant de bienvenue à la divinité » (« Tortue, Tortue/ Montre-nous ta tête/ Si tu ne le fais pas/ Nous te rôtirons et te mangerons »). Deux remarques capitales s'imposent à propos de cette première production littéraire : bien que datée de 42, elle est attestée pour la première fois dans une chronique de 1279, les Récits de l'époque des Trois Royaumes ; elle est écrite en chinois classique. Cela permet de noter d'emblée quelques particularités remarquables de la littérature coréenne classique. La langue parlée dans la péninsule coréenne est depuis toujours le coréen, que l'on rattache de façon plus ou moins lâche à la famille ouralo-altaïque, mais, jusqu'en 1897, la langue officielle a été le chinois classique, qui était non seulement la langue dans laquelle étaient rédigés tous les actes officiels, mais aussi celle de l'élite intellectuelle du pays : les lettrés, classe d'où étaient issus les fonctionnaires et tous ceux qui s'occupaient de près ou de loin de littérature, bon nombre d'entre eux cumulant, à la chinoise, les deux activités. Aussi, quand on parle de littérature coréenne classique, on ne peut pas se limiter aux œuvres écrites en coréen. Une autre conséquence a été que tout ce qui ne répondait pas aux canons de l'esthétique chinoise ni à la morale d'abord du bouddhisme, ensuite du confucianisme, a été rejeté ou, dans le meilleur des cas, adapté à ces orthodoxies successives. C'est pourquoi bon nombre d'œuvres indigènes, à commencer par ce Chant de la Tortue, n'ont été notées que tardivement et bien souvent après maints remaniements et édulcorations. Au vrai, l'origine de la poésie coréenne ancienne se perd dans la nuit des temps et se signale par son caractère essentiellement magico-religieux. Il ne reste pratiquement rien de cette période initiale et il faut sauter plusieurs siècles avant de rencontrer un nouveau genre de poésies anciennes, les hyangga (chansons du terroir), également conservées dans les Récits de l'époque des Trois Royaumes  de 1279. En Corée, comme au Japon, on a autrefois opposé à la poésie « noble », en chinois classique, la poésie indigène, qualifiée de « chansons » (en coréen norae), née dans ce qui n'était, même aux yeux des Coréens, qu'une province éloignée de la Chine, mère des arts. Là aussi, les guerres, les destructions et surtout la censure de l'orthodoxie ont fait leur œuvre : il nous reste en tout et pour tout 25 hyangga, dont 14, écrites entre 579 et 886, datent de l'ancien royaume de Silla, tandis que les 11 autres, œuvres du bonze Kyunyo, ont été composées un siècle plus tard. Ces hyangga représentent les premières œuvres écrites directement en coréen, à l'aide d'un système d'écriture, appelé idu, à base de caractères chinois utilisés tantôt pour leur valeur phonétique, tantôt pour leur valeur sémantique. Les hyangga qui nous sont parvenues forment un ensemble plutôt hétéroclite de chansons de 4, 8 et 10 vers, où de courtes comptines telles que la Chanson de Mattung (« La princesse Sonhwa/ A un amour secret/ Celui qui s'appelle Mattung/ Elle le retrouve toutes les nuits en cachette ») voisinent avec des œuvres d'une inspiration plus élevée, d'origine bouddhiste ou confucianiste, comme la Prière à Amitabha (« Ô Lune/ Va jusqu'en Occident/ Prie Amitabha/ Et dis-lui/ Qu'il y a ici quelqu'un/ Qui adore son trône/ Et n'aspire qu'à atteindre la Terre Pure/ Pour prier devant lui les mains jointes/ Les Quarante-Huit Vœux [d'Amitabha] peuvent-ils être exaucés/ Tant que la chair n'a pas été anéantie ? »). Les poèmes de 4 vers sont les plus anciens ; ceux de 10 vers (2 strophes de 4 et une sorte d'épigramme ou d'envoi final de 2 vers) représentent l'évolution ultime du genre ; les poèmes de 8 vers représentent un stade intermédiaire.

Période moyenne

Dans cette période qui correspond à la dynastie de Koryo (918-1392), le genre poétique caractéristique est la changga (chanson longue). 60 titres sont connus, mais 20 textes seulement nous sont parvenus, dont la plupart sont des notations tardives ou des « adaptations » en coréen d'une première notation en chinois classique. Dans la forme la plus répandue, chaque vers se compose de 3 groupes de syllabes, chaque groupe comportant 3 ou 4 syllabes. Le « vers » , basé sur le groupe, et le groupe, calculé en fonction du nombre de syllabes, constituent le fondement de la métrique coréenne. Par comparaison aux hyangga, les thèmes d'inspiration des changga sont plus austères et plus philosophiques, ainsi la Chanson de P'yongyang, Ode aux quatre saisons, le Chant des vertes montagnes. Le kyonggui ch'e ka (chanson de style kyonggui) est une variété de changga en vogue dans les milieux littéraires de l'époque.

Période moderne

Elle couvre la dynastie des Yi (1392-1910). C'est au cours de cette époque que s'affirme un genre apparu à la fin de la dynastie précédente et qui est considéré comme la forme la plus apte à exprimer la sensibilité coréenne classique, tant parmi le peuple qu'au sein de l'élite cultivée : c'est le sijo (« air populaire »). Dans sa forme de base, le sijo comporte 3 vers de trois groupes de syllabes, le nombre de syllabes étant réparti de la façon suivante : 3-4-3/ 3-4-3/ 3-5-4. Les deux premiers vers exposent le thème, le troisième apporte la conclusion. Parmi les sijo fameux on trouve une œuvre de l'amiral Yi Sun-sin, héros de la lutte antijaponaise (« Une nuit où la lune brillait sur l'île de Hansan/ Seul sur une tour de guet/ L'épée au côté, en proie à l'angoisse/ Venu d'on ne sait où l'appel d'un sifflet me déchire les entrailles »). La kisaeng (geisha coréenne) et poétesse Hwang Chin-i a laissé aussi des sijo célèbres (« Je coupe en deux la longue nuit de novembre/ Glisse une moitié sous la couverture printanière/ Quand il viendra, je la déroulerai pouce après pouce, pour rendre la nuit plus longue »). Les sijo, comme beaucoup d'œuvres de la dynastie Yi, sont écrits en coréen car, en 1446, le roi Sejong créa un alphabet national, le hangul. Le sijo toutefois n'offrait au sentiment poétique qu'un moule exigu et, malgré quelques variantes, assez rigide. C'est pour pouvoir exprimer leurs sentiments de façon plus libre et sans limitation du nombre des vers que les Coréens créèrent le kasa, qui est en quelque sorte une modification et une adaptation aux goûts du jour des longs poèmes de Koryo. La seule restriction imposée par ce genre était que chaque vers devait contenir deux groupes de quatre syllabes. En revanche, le nombre de vers n'était pas limité et certains kasa en comptent plusieurs milliers. D'abord lyriques et presque exclusivement consacrés à la description des beautés de la nature, ils devinrent par la suite plus réalistes, surtout avec les invasions japonaise et mandchoue et avec la désintégration du pouvoir, quand ces œuvres se mettent à exalter le nationalisme ou à stigmatiser la corruption. Ces sentiments de révolte donnèrent également naissance, à la fin du XVIIe s., à un genre nouveau de long poème populaire appelé chapka. Quant aux kasa, ils produisirent le ch'anggok, sorte d'opéra qui combine éléments rythmiques et prose narrative chantée. Ce panorama de la poésie serait incomplet sans les hymnes à la gloire des premiers souverains Yi : Hymnes aux dragons volants et Chant des reflets de la lune sur les mille rivières, œuvres qui servirent également de banc d'essai à la nouvelle écriture coréenne (hangul).