Antilles (suite)
Antilles néerlandophones
Le colonisateur hollandais n'a jamais favorisé l'assimilation à la française ni l'acculturation à l'anglaise des peuples indigènes. Les intérêts purement commerciaux et le sens d'une supériorité culturelle créaient une herengedragspatroon, une « attitude de seigneur » qui, dans la société multiraciale et infiniment stratifiée des Indes occidentales, s'exprimait par une corrélation étroite entre langue et classe sociale. Une telle attitude n'a pas davantage favorisé la « décolonialisation » que l'affirmation d'une identité culturelle différente. Elle explique pour une très large part les difficultés de l'émancipation actuelle tant sur le plan linguistique que plus largement culturel des pays concernés, devenus indépendants comme le Surinam ou restés dans le giron du royaume avec un statut de large autonomie. Le néerlandais s'est trouvé ainsi dans la position d'un moyen de communication exclusivement urbain et dominateur. Il n'a jamais pu atteindre l'envergure internationale ni servir de ciment national, avec des racines clairement affirmées. Historiquement, la littérature antillaise en néerlandais se divise en quatre périodes, dont les deux dernières sont d'une importance particulière. La période précoloniale qui suivit immédiatement la découverte de l'Amérique a vu des auteurs exalter les exploits des marins : dans cette veine, De Americaensche Zee-Roovers (les Boucaniers américains, 1678) est sans doute le plus connu et le plus traduit des journaux d'aventures. La Guyane sert d'arrière-plan à Reinhart, ou Nature et Religion (1791-1792), de l'écrivain romantique Élizabeth Maria Post. Roman exotique, avant tout, qui rappelle le thème du bon sauvage sans caractère philosophique : ce cadre sert de dépaysement à un héros qui, fortune faite, réintègre sa patrie, laissant derrière lui les décombres d'une vie affective. Un deuxième groupe d'œuvres est plus véritablement colonial. À la suite de la création, en 1785, du cercle des Amis de la littérature au Surinam, on voit apparaître dans la série « Letterkundige Uitspanningen » les Surinaamsche Mengelpoëzij (Mélanges poétiques du Surinam, 1804) de Paul François Roos (1751-1805) et l'œuvre d'Hendrik Schouten. Ce n'est qu'après 1916, cependant, quand le néerlandais est imposé comme langue obligatoire dans les écoles primaires, qu'une expression littéraire « autochtone » à chercher à se dire et à se faire valoir. Elle annonce la troisième période généralement située à partir de 1926, quand de véritables talents d'auteur émergent. Albert Helman, pseudonyme de Lou Lichtveld, né à Paramaribo en 1906, publie alors un roman d'apprentissage, Sud-Sud-Ouest, très vite suivi d'un livre plus symbolique et cruel, Mon singe pleure (1928). La célébrité particulière de ce jeune catholique, collaborateur de la revue De Gemeenschap, s'explique par son engagement dans la guerre d'Espagne ; il reprendra son roman historique De Stille Plantage (la Plantation déserte, 1931) en 1952 (le Silence brûlant) et deviendra ministre. Moins connus, mais plus avides d'expériences, sont les poètes, dont la plupart se sont rassemblés autour de la revue De Stoep (le Perron), fondée à Curaçao en 1940 et dirigée par Luc Tournier (Chr. J. H. Engels, né en 1907) et Frits Van der Molen (né en 1908). Charles Corsen (né à Curaçao en 1927), qui se sent très proche de Kenneth Patchen, Oda Blinder (pseudonyme de Yolanda Corsen, née à Curaçao en 1918) et d'autres, comme Tip Marugg (né en 1923), y collaborent. La relation avec la mère-patrie deviendra un point de focalisation, thème aussi bien que motif, selon les multiples perspectives philosophiques des auteurs, qui se débattent toujours avec le problème de l'émancipation, individuelle ou collective, rarement résolue. Cola Debrot (né en 1902), qui débute dans la revue Forum, se distingue comme romancier par Ma sœur, la négresse (1935) et critique (le Cycle du cheval, 1963). Avant de devenir gouverneur des Antilles, il dirigea la série Antilliaanse Cahiers à Amsterdam, qui a fait connaître la quatrième génération d'écrivains antillais aux Européens. Cette nouvelle génération politiquement engagée se détache de plus en plus des langues dominantes du pays : le néerlandais, le papiamentu et surtout le sranan tongo. Ainsi en est-il du poète d'origine hindoue Shrinivasi, des mulâtres Bea Vianen, Leo Ferrier (El Sisilobi), E. A. de Jongh (Fata Morgana) ou Diana Lebacs (Sherry). La littérature s'appuie sur des structures traditionnelles dans sa quête d'émancipation, comme MacLeod dans le roman historique Hoe duur was de suiker ou Astrid Roemer dans ses pièces de théâtre violemment dénonciatrices. Deux auteurs ont acquis une véritable densité littéraire par des œuvres hors du commun. L'ex-rédacteur de Ruku, Frank Martinus, dit Arion, a pris une place majeure dans la littérature néerlandaise moderne avec Dubbelspel (Double, 1973), qui dénonce la discrimination raciale comme un boomerang culturel avec effet rétroactif, et Adieu à la Reine (1975). Le talent le plus prometteur est celui d'Edgar Cairo, qui prend la défense du sranan tongo dans ses esquisses sociales (Temekoe/Kopzorg [Casse-Tête], 1969 ; Djari/Erven ; Jeje Disi, 1981) et son théâtre (Ba Anansi, Woi ! Woi ! Woi ! [la Mort d'Araignée], 1977). Compte tenu de la distance géographique et de l'affirmation culturelle, on peut prévoir que, malgré les efforts de jeunes éditeurs hollandais (In de Knipscheer à Haarlem, par exemple), le néerlandais des Antilles suivra l'évolution de l'afrikaans et se développera comme une langue et une littérature apparentées, mais autonomes.