Grèce (suite)
La crise des années 1920 et la génération de 1930
De l'euphorie née des victoires balkaniques (1912-1913), la Grèce passe au désespoir consécutif à la catastrophe d'Asie mineure (1922). Dans le port de Smyrne, ce sont, avec la mort de la « Grande Idée » incarnée par Venizélos, les espoirs d'une génération tout entière qui se trouvent engloutis. La jeunesse grecque doit désormais vivre avec la vision d'une Grèce rétrécie aux frontières d'un petit État balkanique. L'œuvre du poète C. Caryotakis (1896-1928) reflète bien, dans des accents où le désespoir est sapé par une ironie laforguienne, la frustration d'une génération marquée par le défaitisme. Cette crise spirituelle est, à la même époque, la toile de fond des poèmes qu'élabore, à l'écart de toute mode, le solitaire C. P. Cavafis (1863-1933) dont il faudra attendre encore vingt ans pour comprendre la place essentielle qu'il tient dans l'expression de la modernité poétique en Grèce. Si le lyrisme exubérant du syncrétisme pagano-chrétien d'A. Sikélianos (1884-1951) ne se trouve guère affecté par la remise en question de l'après-guerre, N. Kazantzakis (1883-1957) commence, lui, à exprimer l'angoisse de l'homme contemporain (Ascèse, 1927). Mais c'est dans Esprit libre (1929) de Georges Théotokas (1905-1966), considéré comme le manifeste de la « génération de 1930 », que l'inquiète jeunesse grecque trouve le mieux exprimés ses exigences, ses refus et ses aspirations. Cette génération, la première à être née dans la démotique que ses aînés ont conquise, fait un bilan très négatif de l'héritage littéraire qu'elle reçoit, condamnant aussi bien l'emphase de Palamas que l'abus de couleur locale des prosateurs. Il est temps de faire accéder la Grèce à la modernité d'une problématique considérant l'homme dans sa complexité psychologique et dans sa quête d'une forme poétique intégrant la recherche européenne depuis Baudelaire et Mallarmé. G. Séféris (1900-1971) est celui qui a le mieux exprimé à la fois la souffrance contemporaine d'être Grec et le besoin d'une modernité technique découverte à l'école des poètes français et anglais contemporains. À la même époque, autour de la revue des Lettres nouvelles, un groupe de jeunes poètes (N. Engonopoulos, A. Embiricos, O. Élytis) se met à l'école du surréalisme français, tandis que I. Ritsos continue, dans l'esprit de C. Varnalis (1884-1974), à chanter l'espoir militant des « lendemains qui chantent ». Mais c'est en prose que la distance à combler par rapport au roman européen est la plus considérable. Malgré un effort pour introduire la modernité dans la thématique, aucun romancier ne parvient à renouveler véritablement la forme romanesque, et l'apport de la génération de 1930 paraît aujourd'hui largement surestimé. Théotokas exigeait du roman grec qu'il posât enfin les problèmes contemporains, mais sa propre fresque historique (Argo, 1932) n'est guère convaincante ; les œuvres de S. Myrivilis (1892-1969), E. Vénézis (1904-1973) et S. Doucas constituent d'honnêtes romans de guerre, tandis que les romans d'A. Terzakis (1907-1979) ou Th. Petsalis, malgré un cadre urbain moderne, n'offrent guère d'innovation par rapport aux œuvres antérieures de G. Xénopoulos (1867-1951). Ph. Condoglou ou C. Politis (1887-1974) sont les témoins de l'hellénisme d'Asie mineure et P. Prévélakis (1909-1986) consacre ses romans à son île natale, la Crète. La psychologie tient, certes, un rôle prédominant dans l'œuvre de M. Caragatsis (1908-1960), mais, là encore, la génération de 1930 ne diffère pas véritablement du naturalisme du XIXe s. Autour de la guerre, cependant, des écrivains comme Y. Skarimbas, M. Axioti et surtout N. G. Pentzikis, représentant de l'école de Thessalonique, bousculent les conventions romanesques.
Une expression mûrie de la crise de la Grèce contemporaine
La « génération de 1950 », issue d'une guerre civile meurtrière (1945-1949), a été profondément marquée par cette expérience. Plusieurs jeunes poètes en portent témoignage dans leur œuvre (M. Anagnostakis, M. Sachtouris, T. Patrikios). En prose, l'après-guerre est marquée, outre le virage romanesque de N. Kazantzakis, par des œuvres qui intègrent l'apport technique du roman américain ou européen de l'entre-deux-guerres et l'analyse des problèmes de la société grecque contemporaine, en pleine mutation. Exemplaires sont à cet égard Cités à la dérive (1960-1965) de S. Tsírkas, le Troisième Anneau (1962) de C. Taktsis ou la Trilogie : la Plante, le Puits, l'Ange (1961) de V. Vassilikos. Les autres romanciers restent plus classiques dans leur écriture, tout en posant un regard critique et souvent très politisé sur la société contemporaine (D. Chadzis, A. Frangias, I. Ioannou, M. Koumandaréas, M. Douka).
Dans les années 1980-1990 la recherche d'une écriture romanesque nouvelle prend enfin le pas sur l'engagement politique et le témoignage historique, avec des romanciers tels que Th. Valtinos, R. Galanaki ou Z. Zatelli.
Le théâtre, longtemps à la remorque soit de drames à la Ibsen, soit de revues de vaudeville, n'a guère pris naissance que depuis la dernière guerre. Si le Théâtre Royal, puis National, reste, aujourd'hui encore, marqué par une tradition trop souvent timorée, le Théâtre d'Art de K. Koun a joué un rôle essentiel soit en présentant les œuvres majeures du théâtre étranger contemporain, soit en donnant leur chance à de jeunes dramaturges dont quelques-uns sont maintenant des valeurs reconnues : J. Cambanellis, I. Skourtis, D. Cechaïdis.