Dictionnaire de la Littérature 2001Éd. 2001
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Saint-Evremond (Charles de Marguetel de Saint-Denys de)

Écrivain français (Saint-Denys-le-Guast, près de Coutances, 1613 ou 1614 – Londres 1703).

Causeur brillant, soldat courageux, fidèle à la cause royale pendant la Fronde, il fut nommé maréchal de camp en 1651. Il s'intéressait déjà à la littérature : il lisait Rabelais au maréchal de Gramont et composait en 1643 une satire, la Comédie des académistes pour la réformation de la langue française. Quant à la Conversation du maréchal d'Hocquincourt avec le P. Canaye (1654), elle témoigne de la triple influence de Montaigne, de la tradition philosophique libertine et de l'enseignement de Gassendi. Saint-Evremond entre dans l'intimité de Ninon de Lenclos avec laquelle il entretiendra longtemps une correspondance. Mais la découverte, lors des perquisitions de l'affaire Fouquet, d'un libelle dirigé contre la politique de Mazarin (Lettre au marquis de Créqui sur la paix des Pyrénées, 1659) l'oblige à gagner l'Angleterre, où, refusant la grâce offerte par Louis XIV en 1689, il restera jusqu'à sa mort. En exil, il poursuivit son œuvre écrivant de brefs ouvrages réunis à partir de 1668, sous le titre d'Œuvres mêlées. Saint-Evremond considère l'histoire (Réflexions sur les divers génies du peuple romain dans les différents temps de la République, 1662), les lettres (Dissertation sur l'Alexandre le Grand de Racine, 1666 ; Sur les tragiques, 1672 ; Sur nos comédies, 1677) et prend parti pour les Modernes (Sur les poèmes des Anciens, 1685). Il apparaît dans sa correspondance comme un critique pénétrant. Homme de l'esprit critique et d'un fin libertinage, Saint-Evremond a ainsi toujours revendiqué la double volupté de l'âme et du corps (À M. le maréchal de Créqui, 1671).

Saint-Exupéry (Antoine de)

Écrivain français (Lyon 1900 – au large de la Corse 1944).

Rarement la vie d'un écrivain aura tant fasciné : il suffit, pour s'en convaincre, d'observer les titres des monographies qu'on lui a consacrées, jusqu'à la bande dessinée (Hugo Pratt, Saint-Exupéry, le dernier vol, 1995). Dans cette biographie où les missions produisent les livres, le ciel et la terre se croisent, l'espace virginal de la relation abstraite entre un homme et sa machine alterne avec la chaleur et la plénitude de la rencontre avec autrui. Comme si les contraires s'unissaient pour que le chevalier moderne, revenu de si loin, de si haut, de si périlleux, mesure mieux la chance qu'on a de vivre et d'aimer.

   Dans les souvenirs tendres d'une enfance heureuse, il y a des parcs et des châteaux, des armoires pleines de draps couleur de neige, et des avions : Antoine avait 9 ans quand Blériot effectua la première traversée de la Manche, 12 quand il fit son propre baptême de l'air, et il est aisé de comprendre combien la place décisive de l'aviation dans la Première Guerre mondiale dut le fasciner. Son échec à Navale le renvoya à sa passion et il apprit à piloter. En 1926, il devint pilote de ligne chez Latécoère. La grande aventure commençait, dont jamais il ne put se déprendre. Aviateur, « Saint-Ex » a été un des pionniers de ce qui fut peut-être l'une des dernières épopées, si l'on pense que ce mot implique artisanat et bricolage, dangereux tête-à-tête avec soi-même.

   Aux côtés de Costes et Bellonte, de Nungesser et Coli, de Mermoz, il a sa place parmi ceux qui ont ouvert la voie des airs. Aristocrate par ses origines, Saint-Exupéry se retrouvait au sein d'une autre noblesse, au système de valeurs non moins fixé et contraignant, qui fondait la morale sur le service et le dépassement constant de l'homme par lui-même. Malgré son âge et les nombreux accidents qu'il avait subis, il finit par obtenir cinq missions en 1943, et une dernière la veille du jour de juillet 1944 où il devait être définitivement interdit de vol. De cette dernière il ne revint pas, et nul ne sait exactement ce qui lui est arrivé. Ce qui est sûr, c'est qu'il ne pouvait rêver mort mieux accordée à sa vie et plus propre à le faire entrer dans la légende : héros de la guerre, Saint-Exupéry était retourné dans les étoiles, mais discrètement, permettant ainsi tous les rêves et toutes les identifications, contrairement à Guynemer, « tombé en plein ciel de gloire », trop grand pour autoriser autre chose que l'admiration et la distance respectueuse.

   Avant d'être un moraliste, Saint-Exupéry a été un homme d'action. Ce que beaucoup aiment dans ses livres, c'est la présence de l'outil, l'indication des gestes précis du mécanicien, le lexique au besoin technique – bref cette impression d'y être sans que l'auteur ait dû recourir aux procédés du pittoresque et de l'exotisme. Un homme du métier parlait de son métier. D'emblée, Courrier-sud (1930) comporte ce sceau de réalité. En couronnant Vol de nuit (1931), le jury du Femina reconnaissait l'intérêt, documentaire et littéraire (dixit Gide dans sa préface), d'un récit qui refusait les artifices du romanesque traditionnel et se donnait comme un témoignage et une réflexion sur le courage et l'exigence dans leurs rapports avec la vie et avec la mort, y compris dans leur contradiction avec le bonheur.

   L'angoisse sur la justification de l'action produisit une crise d'identité textuelle : outre la lenteur avec laquelle suivirent les autres livres, il y eut hésitation sur la forme à leur donner. Terre des hommes (1939) est une sorte d'essai autobiographique, et le Petit Prince (1943), un faux conte pour enfants qui ressemble à une vraie parabole pour adultes. La dissidence formelle est plus évidente encore pour Citadelle (1948), mais s'agissant d'un texte posthume et inachevé, on se gardera d'en tirer argument. En revanche, ce que découvre Saint-Exupéry avec Terre des hommes, c'est qu'il ne lui suffit plus d'écrire des histoires. Non que le livre se passe d'événements, au contraire, mais l'action n'y est pas pour elle-même : elle est le moyen de s'interroger sur le sens d'une existence dont l'avion donne une vision si singulière qu'on peut bien dire que c'est de la machine que procède ici la réflexion. Vues d'en haut, les choses sont toutes différentes. Vues du désert aussi, qui répond au firmament : patrie de vent et d'étoiles, inhospitalière, mais aussi pureté du sable vierge de toute trace, étendue lisse et brillante, à l'infini, chargée d'un vrai poids d'irréel. Errant entre dunes et nuages, l'aviateur rebrousse chemin vers l'essentiel : les biens intérieurs, invisibles aux matérialistes.

   Rien ne vaut, pour l'humanisme de Saint-Exupéry, que spirituellement et symboliquement. Le vrai sujet de tous ses textes, c'est le rêve d'un impossible retour, d'une réintégration à un monde depuis longtemps perdu, la nostalgie d'un âge d'or, l'esquisse d'une remontée au temps magique de l'enfance. Faire en sorte que ne meure pas la petite flamme sans laquelle il n'y aurait plus d'humanité, c'est-à-dire la conscience de la solidarité, la ferveur qui permet de construire, l'affirmation que le bonheur et la grandeur de l'être ne sont pas dans la seule liberté, mais aussi dans l'acceptation d'un devoir qui témoigne de la capacité de transcender l'immédiat, malgré les doutes du quotidien (Carnets, 1953).