Dictionnaire de la Littérature 2001Éd. 2001
C

conservatisme

Aux États-Unis, le conservatisme marque la littérature par la référence à l'ordre des classes sociales et à la distinction essentielle entre réforme et changement. Il n'implique pas un dessein proprement réactionnaire, ni une rigoureuse orthodoxie idéologique – Pound et Eliot en sont des contre-exemples. De Washington Irving à Cozzens, le conservatisme paraît attaché à saisir le mouvement de la nation. Il assure chez Hawthorne les pouvoirs de la fancy, chez Henry James la perception du monde, chez Henry Adams la définition de l'histoire contemporaine en termes d'énergie, chez Santayana l'examen des antinomies culturelles. Il marque l'affirmation nette d'un ordre intellectuel et moral chez Irving Babbitt et les néohumanistes, et la recherche de l'enracinement chez Tate et Ransom. Il suscite une systématique littéraire avec la Nouvelle Critique.

Consolo (Vincenzo)

Écrivain italien (Sant'Agata di Militello 1933).

Romancier sicilien influencé par L. Sciascia et C. E. Gadda, il mêle l'évocation historique aux fantasmes du mythe personnel, langue savante et tradition populaire sicilienne (la Blessure d'avril, 1963 ; le Sourire du marin inconnu, 1976 ; le Rétable, 1987 ; les Pierres de Pantalica, 1988 ; Nuitamment, maison par maison, 1992 ; Ruine immortelle, 1994 ; le Palmier de Palerme, 2000). Il a reçu en 1996 le prix international de littérature pour l'ensemble de son œuvre.

Constant (Benjamin Henri Constant de Rebecque, dit Benjamin)

Écrivain et homme politique français d'origine suisse (Lausanne 1767 – Paris 1830).

Pour l'échotier, c'est avant tout le joueur invétéré criblé de dettes et l'homme aux tumultueuses amours ; pour le politologue, c'est l'un des créateurs de l'idéologie libérale ; pour l'historien des religions, il est l'auteur de deux traités importants, De la religion considérée dans sa source, ses formes et ses développements (1824-1830) et Du polythéisme romain (1833) ; pour le plus grand nombre, enfin, il est l'auteur d'un bref récit, Adolphe (1816)...

   La relation qui l'unit à Germaine de Staël, jusqu'au déchirement, passionnelle jusqu'au romanesque (on ne compte pas les adieux, les retours, les disputes, les rencontres d'un instant), est la pierre de touche d'une conception de l'amour fondé avant tout sur la douleur : « La grande question dans la vie c'est la douleur que l'on cause » dira l'éditeur d'Adolphe reprenant les propos d'une lettre de Constant : « Je suis convaincu que la véritable moralité est d'épargner le plus qu'on peut de la douleur... »

   Cette généralisation de l'expérience individuelle – qui prend souvent, dans les Journaux intimes comme dans les récits, la forme de la maxime – se retrouve dans le comportement politique de Constant. Homme de terrain, il se retrouve à la tête du Cercle constitutionnel en 1795, naturalisé français en 1798, au Tribunat de 1799 à 1802, opposant à Napoléon puis collaborant avec lui pour rédiger l'Acte additionnel aux Constitutions de l'Empire, défenseur de la Charte au retour des Bourbons, responsable de la Minerve française, député de la Sarthe en 1819, puis de Paris en 1824... Mais cette activité en apparence fluctuante n'est que la mise en œuvre d'une idéologie patiemment élaborée à travers brochures (De la force du gouvernement actuel et de la nécessité de s'y rallier, 1796), pamphlets (De l'esprit de conquête et de l'usurpation, 1814), traités (Réflexions sur les Constitutions, 1814 ; De la liberté des brochures..., 1814) et discours multiples.

   Dès lors, comment concevoir qu'une telle volonté généralisante de l'expérience ait pu susciter une œuvre aussi personnelle ? Car l'œuvre de Constant se définit avant tout par l'omniprésence du moi : récits personnels (Adolphe, Cécile), autobiographie éclatée en divers journaux (notamment le Cahier rouge), prise en charge de la théorie par une instance narrative individualisante.

   Le plus connu de ses romans, Adolphe, a plus été lu comme une œuvre autobiographique, dont on a cherché à percer l'identité réelle des personnages, que comme une fiction, et Constant se plaignait « de cette fureur de reconnaître dans les ouvrages d'imagination les individus que l'on rencontre dans le monde ». Adolphe ordonne autour du récit rétrospectif du héros trois textes annexes (l'« Avis de l'Éditeur » qui présente la confession, la « Lettre de l'Éditeur » et la « Réponse » qui la suivent) qui tissent un réseau où se dévoile le sens véritable du roman, Adolphe apparaissant alors comme un faux roman par lettres. Lettres qui circulent entre les héros, lettres qui les relient à la société, lettres trouvées dans la « cassette », lettre, enfin, « placée à la fin de l'histoire et qui a décidé de la publication actuelle ». Car la lettre, loin d'être un artifice, devient l'acte essentiel du récit : c'est elle qui tue Ellénore et c'est elle qui, terminant l'anecdote, prophétise l'avenir malheureux d'Adolphe. Fixant les mots, elle permet ce que la parole ne parvient jamais à réaliser : décider (« J'étais arrivé près d'elle, décidé à tout lui dire. Accusé par elle, le croira-t-on ? je ne m'occupai qu'à éluder »). Et dans sa lettre d'outre-tombe, Ellénore avouera : « Ce que j'obtiens de mieux, c'est votre silence. »

   Cependant, Adolphe n'est pas un banal drame de l'indifférence ou de l'incommunicabilité : on parle, on écrit, on lit les signes à travers tout le roman ; mais parole, billet ou signe ne sont jamais là où ils devraient être. Adolphe prête attention à la société plus qu'à Ellénore, constituant sans le vouloir le trio fatal – l'amant/l'amante/les autres – qui, loin de se résorber en vaudeville, achève son parcours conformément au désir didactique de Constant : « Sa position et celle d'Ellénore étaient sans ressource, et c'est précisément ce que j'ai voulu. » Récit du huis clos sentimental, Adolphe ne peut que se conclure sur l'échec : la fausse liberté reconquise ne saurait satisfaire le héros puisqu'elle n'est rien d'autre que la manifestation d'une soumission à l'ordre social, le triomphe de l'apparence sur l'essence. En échappant à Ellénore, Adolphe se dissout lui-même, « ajoutant des remords aux regrets, des fautes aux souffrances ». Il est vrai que, dès la préface, Constant ne laissait aucun espoir à son lecteur : « Quand on est entré dans cette route, on n'a plus que le choix des mots. »