Rothenberg (Jerome)
Écrivain américain (New York 1931).
Ses recueils de poèmes (notamment Soleil blanc soleil noir, 1960 ; Visions I-IX, 1964 ; Poèmes pour le jeu du silence, 1971 ; Pologne/1931, 1974 ; Un journal seneca, 1978 ; Sang de Vienne, 1980 ; Variations Lorca, 1993 ; Gematria, 1994 ; Un paradis de poètes, 1999), ses anthologies (Rituel, 1966 ; Révolution du mot, 1974 ; Poèmes pour le millénaire, 1998, en collaboration avec Pierre Joris), ses traductions – en particulier, de l'allemand et des littératures indiennes d'Amérique –, ses essais (Pré-faces, 1981) allient un travail de collage et de montage d'éléments apparemment hétérogènes (écrit, image, son, etc.) à une expression poétique fondée sur la performance, c'est-à-dire à la mise en scène de l'écrit et l'improvisation publique, liant intimement le poétique à l'oralité.
Rotrou (Jean de)
Auteur dramatique français (Dreux 1609 – id. 1650).
Il abandonna vite le projet de devenir avocat pour être le « poète à gages » des Comédiens du Roi. Lié avec Mareschal, Pichou, Scudéry, il fut protégé par Richelieu, le comte de Belin, le comte de Soissons, avant de regagner, en 1639, sa ville natale et devenir lieutenant du bailliage de Dreux. De son œuvre abondante, inégale, diverse, une trentaine de pièces ont été conservées. On y trouve des comédies (les Ménechmes, 1630-1631 ; la Bague de l'oubli, 1635 ; la Belle Alphrède, 1636 ; la Sœur, 1647), des tragi-comédies (l'Hypocondriaque, 1628 ; les Occasions perdues, 1633 ; l'Heureux Naufrage, 1637 ; l'Innocente Fidélité, 1637 ; Venceslas, 1647) et des tragédies (Hercule mourant, 1634 ; Bélisaire, 1644 ; Cosroès, 1649). Rotrou est, après Corneille, le second des tragiques français du XVIIe siècle. Mais il demeure un auteur de la vieille école, fort peu partisan des règles : son univers étonne par ses excès, ses tensions, son foisonnement, son romanesque, ses interrogations, sa violence, ses quiproquos, ses travestis. Le monde de Rotrou privilégie le spectaculaire, l'éclat du verbe, les vers brusques, les tirades rocailleuses et suggestives dans leurs méandres mêmes. C'est un théâtre de l'ambiguïté et du déguisement, qui culmine dans le Véritable Saint Genest (1646), où le comédien est pris à son propre jeu : l'acteur, jouant le rôle d'un martyr chrétien devant l'empereur qui les persécute, est touché par la grâce, et devient celui qu'il jouait à être. La « mise en abyme » du théâtre par le théâtre, propre à l'art baroque, permet ici une saisie purement dramatique du phénomène de la conversion. Cette traversée des apparences, qui connaît aujourd'hui de si étonnantes résonances, fut longtemps dévalorisée, au nom de la raison et des règles classiques.
Rouart (Jean-Marie)
Écrivain français (Neuilly 1943).
Directeur du Figaro littéraire, il a placé son œuvre romanesque sous le signe du Mythomane (1980) : dans une « bonne société » décadente, la Fuite en Pologne (1974) d'un adolescent préfigure les aventures de ses héros qui rêvent leur ambition plus qu'ils ne la réalisent (la Blessure de Georges Aslo, 1975 ; Avant-guerre, 1983 ; le Cavalier blessé, 1987 ; le Voleur de jeunesse, 1990). Une jeunesse à l'ombre de la lumière a paru en 2000. Il a aussi écrit un essai sur le suicide (Ils ont choisi la nuit, 1983).
Rouaud (Jean)
Romancier français (Campbon, Loire-Atlantique, 1952).
Son premier roman, les Champs d'honneur (1990), évocation intimiste et cosmique d'une histoire familiale marquée par la Grande Guerre et enveloppée par le paysage et le climat nantais, obtient le prix Goncourt. La matière qu'il travaille est celle de sa mémoire personnelle et familiale : « scribe » des siens, il tente de restituer, à travers de « petits faits obtus », l'humble généalogie de figures au destin déterminé par l'Histoire. Des hommes illustres (1993) évoquent la « figure héroïque » d'un père représentant qui se tue à la tâche à 41 ans, mais n'est « illustre » que par antiphrase. Le Monde à peu près (1996) revient sur ce drame mais dans une veine burlesque qui joue du décalage entre registre et sujet, mêlant pathétique et dérision. La mort de sa mère en 1997 lui permet de la raconter, avec émotion mais aussi l'ironie qu'il dit tenir d'elle, dans Pour vos cadeaux (1998) et Sur la scène comme au ciel (1999).
Roubaud (Jacques)
Écrivain français (Caluire-et-Cuire, Rhône, 1932).
Mathématicien et poète, mais aussi théoricien du vers (la Vieillesse d'Alexandre, 1978 ; Soleil du Soleil, 1990), médiéviste, traducteur, écrivain pour enfants, membre de l'Oulipo et du groupe Alamo, il revisite le réservoir de formes des traditions les plus diverses « dans une disposition intérieure à la fois respectueuse, exaltée et ironique, furieuse ». Mono no aware (1970) transmue 143 haiku, renga et choka japonais ; Trente et Un au cube (1974) est composé de 31 liasses à déployer avant lecture (31 poèmes de 31 vers de 31 pieds sur 3 thèmes), inspirées des tanka ; la Fleur inverse (1986) traduit 119 cansos de troubadours. Avec Florence Delay, il restitue l'enchevêtrement merveilleux des récits médiévaux (Graal théâtre, 1977) ou traduit des chants indiens d'Amérique (Partition rouge, 1989). La trilogie romanesque de la Belle Hortense (1985, 1987 et 1990), policière et algorithmique, drôle et virtuose, rend hommage à Queneau.
Le savoir encyclopédique et éclectique de cet humaniste moderne, le caractère hétéroclite de son œuvre ne doivent pas masquer la profonde unité de sa démarche. Roubaud est un « troubadour » (celui qui trouve, c'est-à-dire celui qui cherche) dont l'œuvre se rattache à la tradition du trobar ric médiéval : réflexion théorique et activité ludique font de la poésie une « forme de vie » dont le sens naît de la dialectique de la règle et du jeu, et se construit comme une cité idéale grâce à des considérations mathématiques : même la poésie aphasique qui dit la mort de sa femme (Quelque chose noir, 1986) est structurée (9 poèmes de 9 phrases). e (1967) apparaît ainsi comme un manifeste : le signe de la relation d'appartenance relie poésie, mathématique et jeux. Le recueil est un réseau au sein duquel le lecteur a le choix entre plusieurs parcours : protocole d'une partie de go (361 textes ou pions), déroulement des séquences de poèmes ou approche tabulaire (un sonnet de sonnets).
Autre constante de l'œuvre, l'autobiographie s'inscrit très tôt sous le signe de l'altérité. Autobiographie, chapitre dix (1977), composée de citations de poèmes écrits dans les dix-huit ans précédant sa naissance, raconte sa vie avec les mots des autres. L'ambitieuse construction du GRIL (le Grand Incendie de Londres, 1989, la Boucle, 1993, Mathématique :, 1997, Poésie :, 2000, la Bibliothèque de Warburg, 2002) mêle journal personnel et récit de l'œuvre en train de s'écrire pour tisser les fils emmêlés de la mémoire et de l'oubli. Ce « récit avec incises et bifurcations » combine la structure arborescente de la prose médiévale avec une ingénieuse technique de rédaction sur ordinateur (retraits et couleurs). L'image initiale du figuier permet de décrire l'unité singulière du parcours éclaté de Roubaud comme celle d'une anamnèse.