Dictionnaire de la Littérature 2001Éd. 2001
I

Ibraguimov (Galimdjan Guirfanovitch)

Écrivain tatar (Sultanmuratovo 1887 – 1938).

Militant progressiste, il connaît la prison et met en scène, dans des récits (le Destin d'une femme tatare, 1910 ; le Vieux Journalier, 1912) et un roman psychologique (Jeunes Cœurs, 1912), des héros en butte aux injustices et au patriarcat. Il retrace ensuite l'éveil du sentiment révolutionnaire, les événements de 1905 (Notre vie, 1920 ; Fille de la steppe, 1924), la guerre civile et les conflits consécutifs à la victoire du socialisme (les Fleurs rouges, 1922 ; Profondes Racines, 1928). Il fut arbitrairement arrêté en 1938.

Ibraguimov (Mirza Ajdar-Ogly)

Écrivain azerbaïdjanais (Évè 1911).

Fils de paysan pauvre, il publie des récits inspirés de l'actualité, puis aborde le théâtre pour peindre la lente évolution des campagnes (Hayat, 1935), et la résistance des Espagnols (Madrid, 1938) et des Soviétiques (Mahabbat, 1942) au fascisme. Auteur de récits sur les luttes politiques en Iran (Récits du Sud, 1947 ; Le jour viendra, 1948), il s'interroge dans un roman (Un grand soutien, 1957) et une comédie (la Kolkhozienne, 1962) sur les difficultés du monde rural, et consacre un récit historique à la jeunesse du commissaire Narimanov (Sacrifice, 1970).

Ibrahim (Hafiz)

Poète égyptien (Dayrût 1871 – 1932).

Officier au Soudan, il dirigea la section littéraire de la bibliothèque khédivale au Caire. Compatissant à la misère des fellahs, il s'est fait l'écho de leur souffrance et de leur espoir, et fut surnommé « le Poète du Nil ». Il a traduit une partie des Misérables de Victor Hugo (1903). On lui doit également une œuvre à mi-chemin entre roman et maqâma (les Nuits de Satîh, 1906) et un imposant Dîwân (1922).

Ibrahim (Sonallah)

Romancier égyptien (Le Caire 1938).

Journaliste, militant communiste incarcéré de 1959 à 1964, il écrit des romans au réalisme provoquant, qui tous questionnent l'Égypte et le monde arabe contemporain pour mieux révéler ce qui dérange, avec des expérimentations narratives novatrices et un goût particulier pour le collage de documents mêlant fiction et reportage (Cette odeur-là, 1966 ; Étoile d'août, 1974 ; la Commission, 1981 ; Beyrouth, Beyrouth, 1984 ; Dhât, 1992 ; Charaf, 1997).

Ibsen (Henrik)

Auteur dramatique norvégien (Skien 1828 – Christiania, auj. Oslo, 1906).

S'évadant de l'étroitesse de sa province, il gagne Christiania pour se consacrer à sa seule passion : le théâtre. La révolution de 1848 et la révolte hongroise lui inspirent un drame historique Catilina (1848), tiré de Salluste mais dont les vrais modèles sont Shakespeare et Schiller. Dans le Tertre des guerriers (1850), il reprend un thème cher à Oehlenschläger, le conflit entre paganisme et christianisme, tout en faisant œuvre de critique dramatique dans la revue Andhrimmer. Appelé comme « dramaturge » au nouveau théâtre de Bergen, il se voit offrir un voyage d'études à Copenhague et en Allemagne, où il découvre, outre Holberg et Shakespeare, l'ouvrage de Herman Hettner Das moderne Drama (1852), qui aura une grande influence sur son œuvre. Il doit cependant fournir chaque année une pièce à son théâtre : son premier succès est la Fête à Solhaug (1856), tirée d'une chanson populaire. Quittant Bergen pour prendre la direction du Théâtre norvégien de Christiania (1857), Ibsen fait représenter les Guerriers de Helgeland (1858), inspirés des sagas islandaises. La direction de ce théâtre, qui fermera ses portes en 1862, lui causera beaucoup de souci, et ses doutes se reflètent dans de grands poèmes (Sur les hauteurs, Terje Vigen). Dans la Comédie de l'amour (1862), l'action se déroule pour la première fois à l'époque contemporaine : derrière des personnages alertement caricaturés se déploie le conflit entre une attitude « esthétique » et une attitude « éthique » selon les définitions de Kierkegaard. Les Prétendants à la couronne (1863), sans doute la meilleure de toutes les pièces inspirées de l'ancienne histoire scandinave, est aussi la dernière qu'Ibsen ait écrite dans ce genre : on a voulu voir dans l'affrontement de la vocation et du doute, incarnés par les deux personnages principaux, un double portrait de Bjørnson, lutteur sûr de lui, et d'Ibsen lui-même, en proie à une hésitation perpétuelle.

   Au printemps 1864, muni d'une bourse et d'une somme précisément réunie pour lui par son « rival » et ami Bjørnson, Ibsen partit pour l'Italie : à part quelques brèves visites, il ne devait revenir dans sa patrie que vingt-sept ans plus tard. C'est donc au loin qu'il écrivit ses deux pièces majeures, Brand et Peer Gynt. Brand, drame en cinq actes, écrit en 1866 et représenté en 1885, dresse le portrait du pasteur Brand pour qui l'homme ne peut être tout entier qu'à Dieu ou au Diable. Refusant tout compromis, il est chassé par ses paroissiens, et disparaît au moment où il va comprendre que la foi véritable passe au contraire par la charité. Peer Gynt (1867) est un hymne poétique à la lucidité et à la responsabilité, fortement inspiré par les traditions populaires norvégiennes. Peer Gynt est un petit paysan roué qui refuse de suivre les sages conseils de sa mère, et se lance dans l'aventure. Obligé de s'enfuir pour avoir enlevé une femme qu'il abandonne aussitôt, il refuse d'entrer dans le monde des trolls, les génies de la forêt, tout comme il dédaigne la douceur et la fidélité de la jolie Solveig. Ayant implicitement renoncé à s'assumer, privilégiant son égoïsme, il est en butte à toutes sortes d'obstacles et de péripéties. Il sera sauvé in extremis par l'amour fidèle de la douce Solveig. L'atmosphère féerique de ce drame et ses aspects folkloriques et exotiques, auxquels la musique de Grieg a donné un retentissement universel, ne doivent pas faire oublier la gravité du propos ibsénien que souligne davantage la musique inspirée plus tard au compositeur norvégien Harald Saeverud. Après l'intermède joyeux de l'Union des jeunes (1869), et un volume réunissant ses Poèmes (1871), Ibsen fait ses adieux à la grande tragédie historique et philosophique avec Empereur et Galiléen (1873). Désormais, toutes ses pièces se dérouleront en Norvège et s'attaqueront aux abus de la société contemporaine. Son exigence « idéale » et éthique n'en sera pas moindre et, malgré les thèmes sociaux, c'est une morale de l'individu qu'il vise. N'a-t-il pas dit qu'être poète, c'est sans cesse instruire son propre procès ? Viennent alors des pièces où les préoccupations sociales semblent l'emporter, comme dans Maison de poupée (1879), drame en 3 actes. Nora, la femme apparemment insouciante et dépensière de l'avocat Torval Helmer, a autrefois commis un faux pour emprunter l'argent nécessaire à un voyage indispensable à la santé de son mari : lorsque celui-ci l'apprend, sa peur de voir sa carrière ruinée éclate. Nora, qui a agi par amour, découvre alors qu'il l'a toujours traitée en mineure, qu'elle n'a été pour lui qu'une « poupée ». Pour préserver sa dignité, elle quitte mari et enfants. Cette pièce, devenue le symbole du mouvement féministe, provoqua une véritable tempête lors de sa création. On en perçoit les échos dans la version satirique qu'en donna Strindberg dans une nouvelle de Mariés, portant le même titre, et jusque dans l'épilogue, aux aspects plus largement sociaux, qu'en a inventé l'écrivain danois Ernst Bruun Olsen dans Où Nora est-elle allée quand elle est partie ? (1968). Un manifeste pour la liberté de l'individu et l'expression du « radicalisme » scandinave : la quête d'un amour désintéressé.

   Dans les Revenants (1881) et Un ennemi du peuple (1882) s'affirme une technique dramatique, déjà esquissée dans certaines pièces antérieures : méthode analytique ou rétrospective qui fait tourner l'intrigue autour d'un passé progressivement dévoilé. Le procédé est plus net encore dans des pièces plus psychologiques comme le Canard sauvage (1884), drame en prose, en 5 actes. Parce qu'il exige la justice à tout prix et la vérité implacable, le héros, Greger, échoue à vouloir assainir moralement la situation d'un couple de médiocres vicieux et ne parvient qu'à pousser au suicide la petite Hedvig, seul personnage pur et droit. Comme le canard sauvage blessé que l'on élève dans le grenier et qui symbolise la honte de l'être moralement déchu, l'homme est condamné à « rester dans la boue », c'est-à-dire à accepter le mensonge vital, car, s'il veut mettre en actes un idéal impossible, il périt. La position d'Ibsen reste volontairement ambiguë, elle pose avec force, mais sans trancher, le problème central de son œuvre, le « tout ou rien » de Brand et de Rosmersholm (1866), où le passé devient un poids impossible à rejeter et où l'importance des symboles va croissant, atteignant dans la Dame de la mer (1888) des profondeurs quasi psychanalytiques. Si Hedda Gabler (1890) retrouve un cadre plus réaliste (une femme frustrée d'idéal et d'amour joue, jusqu'au suicide, la comédie de l'héroïsme), Solness le Constructeur (1892) révèle une nette tendance allégorique. Bien que de propos et de rythme très différents, les trois dernières pièces : le Petit Eyolf (1894), Johan Gabriel Borkman (1896) et Quand nous nous éveillerons d'entre les morts (1899), sous-titré « Épilogue dramatique », ont une parenté profonde : elles traitent de ce qui fut pour Ibsen le péché mortel, la renonciation à la vie et à l'amour, serait-ce au bénéfice de l'œuvre.