L'esprit satirique, qui s'en prend aux vices et aux ridicules des individus et des sociétés, est de tout temps et se retrouve dans une grande variété de formes. En tant que genre, la satire est un poème de quelque ampleur, ou un texte mélangeant la prose et les vers (ménippée).
En Grèce, l'esprit satirique n'est guère représenté que par Aristophane, le philosophe cynique Ménippe (d'où le nom de la satire en prosimètre) et Lucien. Les Latins au contraire ont revendiqué la satire comme un genre national : issue peut-être des saturae, « mélanges » chantés, dansés et mimés, d'une verve railleuse, elle devient un genre littéraire, unissant dans un discours familier et à bâtons rompus (en hexamètres) la leçon de morale à la raillerie mordante ou à l'indignation, avec Lucilius. Horace en fait un chef-d'œuvre de naturel et d'aisance malicieuse ; Perse, plus grave et plus oratoire, pousse la concision jusqu'à l'obscurité ; Martial donne à la satire le tour incisif de l'épigramme, tandis que Juvénal « manie le fouet de la satire » avec une rhétorique virtuose.
À la Renaissance, la forme antique, bien que prônée, est peu utilisée, alors que la veine satirique est présente un peu partout, chez Rabelais comme chez Du Bellay (le Poète courtisan), satire des mœurs (Marot, l'Enfer) ou satire politique et religieuse (Ronsard, Discours des misères de ce temps : d'Aubigné, les Tragiques ; Satire Ménippée). La satire est particulièrement vivante au début du XVIIe s. (M. Régnier, satiriques normands tels Sonnet de Courval, J. Auvray, J. du Lorens), mais contestée : relève-t-elle vraiment de la poésie ? sa violence et son agressivité critique ne sont-elles pas dangereuses et perverses, relevant de la médisance ou de la subversion ?
La satire comporte toujours sa propre apologie et se nourrit de lieux communs, d'idées reçues, de stéréotypes sociaux : gaie et humoristique ou blessante et polémique, elle affirme toujours une vertu morale et pédagogique (Horace, Satires, I ; M. Régnier, Satires, X ; Boileau, Art poétique, II, 145-180), dans la réforme des vices de l'homme comme des malheurs des affaires publiques. Mais, sous une monarchie absolue, où de plus la conscience chrétienne se pose le problème de la légitimité de la raillerie, la satire politique et religieuse n'est plus de saison (même si Boileau pourtant y persiste), et le genre va surtout devenir aux mains de l'écrivain socialement intégré le moyen de poursuivre tous les originaux, les marginaux, les irréguliers.
La grande tradition satirique réapparaîtra au XVIIIe s., plus âpre avec Gilbert, moins dogmatique et plus spirituelle avec Voltaire, politique, violente et passionnée dans les Ïambes de Chénier, dont l'exemple sera suivi, au XIXe, par A. Barbier (les Ïambes), par Barthélemy et Méry (Némésis), et, avec une rare puissance d'invention verbale, par V. Hugo dans les Châtiments, cependant que la satire spirituelle et littéraire revit chez Musset.
En dehors des lettres françaises, un domaine où la satire témoigne d'une originalité et d'une vigueur particulières est celui de la littérature anglaise. De Wycliffe à Moorcock, la tradition satirique anglaise, essentiellement moraliste et humaniste, s'ancre dans le conservatisme populaire et donne au monde non seulement des classiques universels (Swift), mais aussi des types et des tons nouveaux : le clown (paysan dans la ville et fou), le fool (fou et bouffon), le « caractère », l'homme d'humeur. La satire de l'institution au nom de la vitalité opprimée, de Chaucer à Huxley, en passant par S. Butler, la satire de la bêtise conformiste, du cant et de l'esprit de possession (Ben Jonson, Wyndham Lewis) se conjuguent avec celle du snob, le raffinement lui-même étant une cible chère à Shakespeare autant que la courtoisie amoureuse.
Il est frappant de constater que la satire anticourtoise, antipuritaine, antipaysanne, se développe principalement aux marges de l'Angleterre proprement dite (l'autonomisme de Burns, le féminisme antiféministe d'Austen, etc.). Les romantiques, qui viennent après l'âge d'or de la satire (le XVIIIe s.), seront eux-mêmes, comme Byron, de grands satiristes. C'est que la terre de Punch est aussi celle de la mélancolie et du sublime dont l'esprit satirique véhicule le contenu agressif. Le comique de fête ou de vitalité, qui encourage la communauté dans la désignation du bouc émissaire (Malvolio), bute assez vite, sauf dans la période d'après la révolution puritaine (Congreve, Sheridan, Wycherley), sur les malheurs de la bonne conscience, c'est-à-dire sur l'universalisation et l'intériorisation de la haine. De Swift à Dickens, de Sterne à Beckett, l'esprit satirique s'approfondit par la tendresse et l'humour, et se généralise (B. Shaw), atteignant une virulence inquisitoriale dans la dénonciation de l'(in)humain. L'intériorisation se fait non seulement par le retour de l'ironie sur soi (Goldsmith), mais aussi par la pratique des agressions obliques, celles du burlesque, du nonsense (Lewis Carroll) et de l'absurde.
Dans la littérature contemporaine, le satirique a partie liée avec un mouvement général de dénégation qui se développe en une fable noire (Orwell, 1984 ; Zinoviev, l'Avenir radieux). L'identification du monde romanesque à un univers où les pouvoirs de l'homme sont diminués ou dégradés par rapport aux données des grands genres héroïques généralise la perspective satirique et en fait une détermination constante de la création du XXe siècle. Figure du vengeur ou observateur distancié, le satiriste incarne l'ombre portée du désir d'amour, de justice et d'authenticité. En ce sens, la satire n'est que l'envers de l'utopie.