Dictionnaire de la Littérature 2001Éd. 2001
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France (XXe siècle) (suite)

Jouer avec le soupçon

La réalité sociale réinvestit également le roman contemporain, qui, tout en dénonçant l'illusion réaliste, ne s'interdit plus de traiter du réel. Le roman transcrit les signes, rituels, faits divers, images et symboles de notre société de consommation et de médias, et s'attache à décrire les mutations sociales. Le nouveau réalisme scrute, avec empathie mais sans complaisance, les fractures sociales (Lainé, Ernaux) et culturelles (Begag, Bouraoui), donne une voix aux détresses individuelles (Lenoir, Salvayre, Detambel) et aux marginaux d'ordinaire privés d'expression (Bon, Serena, Saumont). Le fantastique se mêle à l'hyperréalisme pour révéler l'inquiétante étrangeté du monde moderne, débusquer au tournant du quotidien l'horreur des possibles dérapages (Carrère, Ndiaye, Fleutiaux, Volodine, Huston, Darrieussecq). La crise sociale des années 1990 offre un réservoir de thèmes à des romans caractérisés par un vocabulaire cru, un style négligé et un cynisme exhibé (Djian, Ravalec, Houellebecq, Despentes).

   L'individualisme postmoderne et la médiatisation des écrivains ramènent le sujet au cœur de la fiction et y ouvrent un espace autobiographique. L'année même où Philippe Lejeune définit le Pacte autobiographique (1975), paraissent deux textes aussi différents que Roland Barthes par Roland Barthes et le Cheval d'orgueil (Hélias). L'autofiction (Doubrovsky), qui permet au romancier de s'écrire très librement, délivré de l'obligation de sincérité comme de celle d'inventer, rencontre un grand succès. Robbe-Grillet en dénonce avec brio l'imposture (Romanesques, 1984). Claude Mauriac (le Temps immobile, 1975) et Roubaud (GRIL, 1989) élaborent leur vie en de complexes montages. L'autofiction glisse vers l'exhibition de soi, métaphore de l'impudeur d'écrire (Guyotat, Renaud Camus, Angot) ou revendication d'une sexualité (Duvert, Guibert, Dustan, Matzneff, Wittig). La pornographie cesse ainsi dans les années 1980 d'être censurée pour devenir quasiment un topos obligé du roman moderne. L'autofiction s'attache aussi à dire filiations et origines, avec honte, orgueil ou nostalgie (Modiano, Ernaux, Rouaud, Bergounioux, Del Castillo, Millet). Elle débouche enfin sur la biographie (plus ou moins fictive) de l'autre, célèbre ou anonyme (Puech, Macé, Michon, Quignard).

   Le roman de la fin du siècle est enfin caractérisé par son goût pour la distance, la parodie et une intertextualité enrichie de multiples variantes (réécriture des lieux communs, montage filmique, sampling). La fécondité des formules et des contraintes chères aux oulipiens (Roubaud, Bens, Jouet, Lascault) héritiers de Roussel et de Queneau (cofondateur de l'Oulipo en 1960) éclate dans les textes de Perec (la Disparition, 1969 ; la Vie mode d'emploi, 1979). Nombre de romans cultivent le double registre (une lecture immédiate feuilletée d'autres niveaux pour lecteurs cultivés) : réflexions cryptées sur l'état du roman (Renaud Camus, Roman Roi, 1983), réécriture des mythes et légendes (Germain, Grainville, Rio), romans archéologiques (Nadaud), mythobiographies (Louis-Combet). À la suite d'Echenoz, Deville, Gailly, Benoziglio, Laurrent, Oster, Laurens, Olivier Rolin, Viel pratiquent un roman distancié, toujours à la limite de la parodie, jouent en virtuoses à la fois des codes du Nouveau Roman et de ceux du roman policier, s'amusent à surprendre les attentes de lecteurs rompus au pacte romanesque. Cette esthétique du détachement peut s'infléchir vers l'expression de la difficulté d'être contemporaine (Toussaint, Chevillard, Ndiaye ou Redonnet).

   Le roman qui au début du siècle semblait un genre dépassé est, au seuil du XXIe siècle, plus divers et vivant que jamais : il n'a pas retrouvé la bonne conscience, mais compose avec sa mauvaise conscience et s'élabore dans un dialogue synthétique, critique et ludique avec le passé.

Franck (Sebastian)

Écrivain allemand (Donauwörth 1499 – Bâle 1542 ou 1543).

Prêtre catholique rallié à Luther, il rompt avec ce dernier en 1528 et prêche un christianisme sans dogme ni Église, fondé sur l'amour de Dieu et la liberté. Chassé de Nuremberg, Strasbourg et Ulm pour sa religion non orthodoxe ou ses attaques contre les princes, il se réfugie à Bâle en 1539. Dans son œuvre, la théologie (Paradoxa, 1533) voisine avec l'histoire (Chronica, 1531), le pamphlet avec la géo– graphie (le Livre universel, 1534) et la compilation (Proverbes, 1541). Traducteur de l'Éloge de la folie d'Érasme, il est un des premiers grands prosateurs de la langue allemande.

Franco (Niccolo)

Écrivain italien (Bénévent 1515 – Rome 1570).

Secrétaire de l'Arétin à Venise (1536), il se brouilla avec lui en 1538 et se réfugia à Padoue, puis à Casal, où il publia sa Priapée (1542). Emprisonné (1558-1560) pour ses sonnets injurieux contre Paul III puis relâché, il composa alors une Vie du Christ et une traduction de l'Iliade. L'Inquisition finit par le condamner à mort pour l'immoralité de son œuvre.

François d'Assise (saint) , en italien Francesco d'Assisi

Mystique italien (Assise 1181 – id. 1226).

Sa jeunesse très tourmentée l'encouragea à se dépouiller de tous ses biens pour mener une vie pleinement adéquate aux préceptes évangéliques. Ainsi, en 1209, il fonda un ordre qui prônait à travers l'exemple de la pauvreté une nouvelle communauté humaine. On lui doit le premier texte poétique important de la littérature italienne, le Cantique du Frère Soleil. Il s'agit d'une composition en prose rythmique qui chante joyeusement la toute-puissance de Dieu, présent en chaque recoin du monde. Quelques siècles plus tard, les Fioretti di San Francesco, recueil anonyme toscan (1370-1390), ont grandement contribué à la popularité de ses idées et de sa personnalité.

François de Sales (saint)

Évêque, théologien et écrivain savoyard d'expression française (château de Sales, près de Thorens, Savoie, 1567 – Lyon 1622).

Marqué par son enfance champêtre et la piété franciscaine de sa famille, il fait au collège des jésuites de Paris et à l'université de Padoue des études d'humaniste et de juriste, au cours desquelles il est terrifié par l'idée de la prédestination et tenté par les idées protestantes. Avocat au sénat de Chambéry, il se reconnaît une vocation religieuse : prêtre en 1593, il se consacre à la reconquête catholique du Chablais calviniste et prend part à plusieurs controverses avec Théodore de Bèze. Coadjuteur du prince-évêque de Genève, chargé de mission auprès du roi de France, il fréquente la Cour et les milieux dévots de Paris (Bérulle, Marillac, Mme Acarie). Évêque de Genève (1602) avec résidence à Annecy, il entreprend des tournées de prédication et devient le directeur de conscience des femmes du monde (les Vrais Entretiens spirituels, 1629) : c'est ainsi qu'il place, en 1610, la baronne Jeanne de Chantal, grand-mère de Mme de Sévigné, à la tête de l'ordre nouveau de la Visitation. Canonisé en 1665, il est proclamé par Pie IX docteur de l'Église. François de Sales n'est devenu écrivain que pour remplir sa tâche de directeur spirituel : ce faisant, il a créé une spiritualité et une écriture nouvelles. L'Introduction à la vie dévote (1609) s'attache ainsi à l'homme qui tente, à égale distance du religieux et du courtisan, de vivre dans le monde tout en assurant son salut. Écrit en un style aisé, qui ne recule ni devant l'image familière ni devant le jeu de mots, l'ouvrage, « livre de chevet des mères de famille » (Bourdaloue), offre, sous les traits du dévot Philothée, le pendant du courtisan de Castiglione et de l'honnête homme de Méré : il fut quarante fois réimprimé du vivant de l'auteur et traduit en dix-sept langues. Le Traité de l'amour de Dieu (1616) développe toute une psychologie de l'amour à travers un style qui unit les traditions de l'humanisme érudit (avec le père de Vaugelas, François de Sales participa à la fondation de l'Académie florimontane) au jeu d'images de l'esprit baroque. Sa conception du sermon, débarrassée de tout fatras pédantesque, influença saint Vincent de Paul. Plus de 2 000 Lettres, le dixième de son immense correspondance, ont été publiées de 1626 à 1923.