Dictionnaire de la Littérature 2001Éd. 2001
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Platon

Philosophe grec (Athènes, 427 – 347 av. J.-C.).

Appartenant à une famille aristocratique, parent de Critias, l'un des Trente, Platon quitte Athènes en 399, après la mort de Socrate. Un temps en exil à Mégare, il voyage, peut-être en Égypte et en Cyrénaïque ; en Grande Grèce, il entre en contact avec les éléates et les pythagoriciens, et se rend une première fois en Sicile. Échouant à mettre en œuvre ses théories, auprès de Denys l'Ancien, tyran de Syracuse, il revient à Athènes en 388 et fonde l'Académie, dans les jardins d'Académos. Rappelé en Sicile par son ami Dion, qui se voit exilé par Denys le Jeune (367-365), puis voulant négocier son retour, Platon connaît deux nouvelles déceptions. Il meurt à Athènes en 347 av. J.-C. Si l'œuvre écrite laissée par Platon est très importante, la critique moderne s'est aussi intéressée à une « doctrine non écrite » du philosophe, matière de son enseignement oral à l'Académie, qui s'écarterait de la pensée dont témoignent les dialogues. Sous le nom de Platon ont été transmis 42 dialogues, 13 lettres et un recueil de définitions. On tient pour apocryphes l'Eryxias, l'Axiochos, le Démodocos, le Sisyphe, l'Alcyon, ainsi que les dialogues intitulés Du juste, De la vertu, et les Définitions. D'autres dialogues sont suspectés d'inauthenticité : l'Hipparque, les Rivaux, le Second Alcibiade, le Minos, le Théagès et le Clitophon. Pour d'autres enfin, les avis divergent : c'est le cas pour l'Hippias majeur, l'Epinomis ou les Lettres (les Lettres VI, VII, VIII sont désormais en général considérées comme authentiques). On ignore la date de composition des dialogues, mais on les divise habituellement en trois groupes. Les premiers, dits « socratiques » (399-390), comprennent l'Hippias mineur, l'Ion (où Socrate définit l'inspiration poétique comme possession divine), le Lachès, le Charmide, le Protagoras (qui expose le « mythe de Protagoras », tableau de l'origine de l'humanité prêté au sophiste par le philosophe, 320 c-322 d), l'Euthyphron, l'Hippias majeur, l'Apologie de Socrate (constituée de trois discours de Socrate) et le Criton, avec la Prosopopée des Lois. Ensuite viennent les dialogues de transition (cf. M. Canto-Sperber, Philosophie grecque), le Gorgias ou De la rhétorique (dialogue qui définit l'arétè, « vertu » ou « excellence », liée à la connaissance, comme le bien de l'âme et le but du vrai politique pour réfuter une rhétorique de l'efficace et la théorie de la loi du plus fort), le Ménexène, parodie des oraisons funèbres d'Athènes et critique politique, l'Euthydème, le Lysis, le Ménon et le Cratyle ou De la rectitude des noms, selon le sous-titre donné par la tradition. Le Phédon, le Banquet, la République et le Phèdre, dialogues de la maturité (385-370), et pour finir le Théétète, le Parménide, le Sophiste, le Politique, le Timée (qui donne dans une cosmologie l'origine du monde et de l'âme), le Critias (où on lit le mythe de l'Atlantide), le Philèbe et les Lois constituent le troisième groupe.

   La forme constante, à une exception près, du dialogue et son emploi philosophique, parfois sous l'artifice du dialogue rapporté et de l'anachronisme, avec un prologue le plus souvent fait comme une annonce « poétique » de l'enjeu de la discussion qui va suivre, ont pu sembler être une mise en œuvre propre à l'auteur, même si l'on connaît ailleurs des dialogues socratiques. L'usage particulier du mythe, son « invention » et la valeur que lui confère Platon, la relation qu'il entretient avec les poètes qu'il cite sont autant de points qui caractérisent une écriture fort complexe.

   Les dialogues de Platon offrent entre eux cohérence et différences ; le personnage de Socrate porte la trace d'une évolution qu'on rapporte plutôt à Platon lui-même. Philosophe de la connaissance, Platon définit le processus de la réminiscence où l'âme retrouve par l'effort du raisonnement et par la découverte progressive une connaissance innée acquise avant l'incarnation. La réminiscence est liée à la théorie des Formes, ou Idées, à la séparation opérée entre l'Intelligible et le Sensible, à l'Immortalité de l'âme qui se réincarne dans des corps successifs. La remémoration apparaît dans le Ménon ; le Phèdre peint la procession des âmes (246 d-249 d), leur nature, à travers le mythe de l'attelage ailé, et définit l'amour philosophique, après le discours de Diotime dans le Banquet ; dans le Phédon, la remémoration est un argument qui démontre l'immortalité de l'âme. La République réunit les plans de réflexion ; Platon y donne l'allégorie de la caverne (VII, 514 a-517 a), image de l'ascension philosophique et, avec la « ligne » (VI, 509 d-511 d), la théorie du rapport d'imitation qui unit Intelligible et Sensible et la détermination des modes de connaissance ; dans ce dialogue, dont le sous-titre est De la justice, le philosophe décrit la cité idéale, où l'on trouve trois classes, celle des gouvernants, qui doivent être les philosophes, celle des auxiliaires et celle des artisans et des laboureurs, mais il pose aussi les principes de la dégénérescence des régimes politiques (VIII, 544 c-569 c). Enfin, il appuie encore sur l'ontologie, sur la vision de l'âme et sur la conception des plaisirs une critique de la poésie, conçue comme imitation (III, 386 a-403 c ; X, 595 a-608 b), qui annonce les Lois. On souligne désormais, dans cette œuvre de la vieillesse de Platon, dont Socrate est absent, les différences qui la séparent de la République, quand le philosophe entend montrer la fondation d'une cité qui n'est plus idéale, dans un cheminement illustré aussi par le Politique.

Platonov (Andreï Platonovitch Klimentov, dit)

Écrivain russe (Voronej 1899 – Moscou 1951).

Fils de cheminot, il est conduit par son métier d'agronome à parcourir la Russie. En 1927, à la suite de conflits avec l'administration, et après le succès des Écluses d'Épiphane (1927), il choisit de vivre de sa plume. Son œuvre est consacrée à la révolution, qu'il voit comme un processus historique profondément populaire, permettant de restaurer l'harmonie entre l'homme et le monde en réconciliant pensée et action. Dès les Ecluses, cependant, il laisse percer ses doutes : par un exemple historique, le percement d'un canal entre le Don et la Volga – projet de Pierre le Grand entrepris sans respect ni pour la liberté de l'individu ni pour l'intégrité de la nature –, il suggère que le pouvoir absolu constitue en soi un obstacle à la transformation du monde. De 1926 à 1929, il travaille à Tchevengour, refusé par la censure : un groupe de rêveurs exaltés parvient au communisme dans la petite ville de Tchevengour, mais l'idéal débouche sur le dénuement matériel et la régression vers les instincts primaires ; la population est exterminée par les apôtres du nouveau monde, devenus bourreaux. La leçon de cette contre-utopie est prolongée dans des récits satiriques (la Ville de Villegrad, 1926 ; Makar pris de doute, 1929 ; À l'avance, 1931) qui dénoncent la prétention des bureaucrates à se substituer au peuple. La Faille (écrit en 1930, publié en 1988) reprend la problématique de Tchevengour pour évoquer la collectivisation : la violence, perpétrée au nom de l'idéal, étouffe l'utopie dans l'œuf. Dans Djann (1936, publié en 1966), l'écrivain recourt à l'inspiration biblique (un homme guide un peuple exsangue dans le désert) pour réaffirmer que la liberté est une condition nécessaire à la construction d'un monde meilleur. Les thèmes qu'il aborde le contraignent à proposer un reflet fidèle, mais sous un jour fantasmagorique surréaliste, du monde contemporain, ce qui fait l'originalité de son écriture en lui donnant une force métaphysique.