tchèque (littérature)
Venus en 863 en Grande-Moravie, les frères Cyrille et Méthode donnent aux slaves de Bohême de Moravie et de Slovaquie leur écriture « glagolitique » (traductions d'évangiles, de prières, de chants et des textes juridiques). Après la destruction de la Grande-Moravie (906-907), le latin renforce sa position dominante – Cronica Boëmorum de Kosmas de Prague (1045-1125) –, mais le vieux slave survit comme langue liturgique et littéraire – premières légendes des saints Ludmila et Venceslas (vers 940), le chant Seigneur, aie pitié de nous (av. 1000). Au XIVe s., paraissent des adaptations d'œuvres occidentales (Roman d'Alexandre, v. 1300) ainsi que d'œuvres originales comme la patriotique Chronique de Dalimil (vers 1310), attribuée à Hynek Žák de Duba († 1333), la dispute sur le libre arbitre Tkadleček (le Tisserand), chef-d'œuvre de la prose écrite en vieux tchèque, ou encore les œuvres morales et théologiques de Tomáš de Štítné (vers 1333-v. 1405) et la traduction complète de la Bible (vers 1370). La production latino-tchèque se poursuit avec des chroniques, traités et dictionnaires en vers, destinés aux étudiants de l'université de Prague, fondée en 1348 par Charles IV de Luxembourg (1316-1378). Jan Hus (1371-1415) prépare avec ses sermons, ses ouvrages en latin et en tchèque, la Réforme dans les pays tchèques. Les guerres hussites (1419-1434), qui isolent les Tchèques de l'Occident catholique, stimulent la pensée religieuse et morale. Petr Chelčický (vers 1390-1460) revient à l'évangile et prône une non-violence (le Filet de la vraie foi) qui inspirera la doctrine de l'Union des frères (1457-1467). La Renaissance sera représentée par de nombreux poètes d'expression latine, notamment Bohuslav Hasištejnský de Lobkovice († 1510), et tchèque, tels Hynek de Poděbrady († 1492) et Jan Blahoslav (1523-1571), auteur d'une Grammaire tchèque et d'une nouvelle traduction du Nouveau Testament, inspirateur de la Bible de Kralice (1579-1593), qui restera pour longtemps la norme linguistique. La défaite de la Montagne Blanche (1620) marquera le domaine des lettres en obligeant ceux qui ne se soumettent pas à l'Église catholique à s'exiler, comme l'humaniste Jan Amos Comenius – Komenský (1592-1670) –, qui publie à l'étranger notamment le Testament de l'Unité. En Bohême, la poésie spirituelle baroque triomphe avec Adam Michna d'Otradovice (1600-1676) et Bedřich Bridel (1619-1680).
Les réformes de Joseph II, les idées du siècle des Lumières et la résistance à la centralisation et à la germanisation provoquent avant la fin du XVIIe s. la renaissance de la vie culturelle et littéraire. Le jésuite Josef Dobrovský (1753-1829) ressuscite le passé littéraire, reconstitue la grammaire et fonde la slavistique. Auteur d'un Dictionnaire tchéco-allemand, Josef Jungmann (1773-1847) stimule la créativité. Le sentiment national s'exprime dans le poème, la Fille de Sláva (1824) du Slovaque Jan Kollár (1798-1852), qui marque le renouvellement de la poésie, suivi par les « échos » de la poésie russe et tchèque (1829, 1839) de František Ladislav Čelakovský (1799-1852), le remarquable poème romantique Mai (1836) de Karel Hynek Mácha (1810-1836), et le Bouquet (1853) de Karel Jaromír Erben (1811-1870), ainsi que les satires du journaliste libéral Karel Havlíček Borovský (1821-1856). La prose s'illustre aussi avec Božena Němcová (1820-1862), prêtresse de la prose tchèque rénovée (Grand-Mère, 1855), et avec Josef Kajetán Tyl (1808-1856) dont les pièces historiques parachèvent également la renaissance du théâtre.
Les événements de 1848 marquent le début d'une nouvelle volonté politique et économique d'émancipation. František Palacký donne une monumentale Histoire de la nation tchèque, qui reste également un modèle de style. La « génération de Mai », qui apparaît vers 1860, réunit Jan Neruda (1834-1891), auteur des Contes de Malá Strana (1878), Vítezslav Hálek (1835-1874), également poète et narrateur, la romancière Karolína Světlá (1830-1899), Jakub Arbes (1840-1914). La génération suivante se divise en deux groupes : d'une part, les nationalistes, attachés aux valeurs tchèques et slaves – tel Svatopluk Čech (1846-1912) auteur des Chants de l'esclave (1895) – et les romanciers d'inspiration historique comme Alois Jirásek (1851-1930) ; d'autre part, l'« école cosmopolite », qui s'ouvre sur l'Europe et sur le monde avec Julius Zeyer (1841-1901), et Jaroslav Vrchlický (1853-1912), poète et traducteur fécond.
À la fin du XIXe s. et au début du XXe, le philosophe Tomáš Garrigue Masaryk (1850-1937), adversaire du faux patriotisme et du naturalisme, le critique František Xaver Šalda (1867-1937) et le poète Josef Svatopluk Machar (1864-1942) dominent la scène littéraire. Durant cette période, on assiste à une véritable éclosion poétique avec Otokar Březina (1868-1929), imprégné de métaphysique et de mysticisme, Jakub Deml (1878-1961), Antonín Sova (1864-1928) et Karel Toman (1877-1946) auxquels s'ajoute le décadentisme « fin de siècle » de Viktor Dyk (1877-1931) et de Stanislav Kostka Neumann (1875-1947). Citons enfin le poète, romancier et dramaturge Fráňa Šrámek (1877-1952). Karel Matěj Čapek-Chod (1870-1927) et Anna Maria Tilschová (1871-1957) se recommandent du naturalisme prôné par Vilém Mrštík (1863-1912), tendance combattue par l'orientation psychologique des romans de R. Svobodová (1878-1920) et de B. Benešová (1873-1936).
Au tournant du siècle, Prague devint un foyer actif, quoique linguistiquement isolé, de « littérature intérieure allemande » : Rilke y naquit et y passa sa jeunesse ; un cénacle y réunissait, outre Kafka , Max Brod, F. Werfel, Willy Haas, Oskar Baum ; le groupe néoromantique « Jeune-Prague », proche de G. Meyrink, comprenait des écrivains comme V. Hadwiger, Paul Leppin et Oskar Wiener.
La Première Guerre mondiale trouve de nombreux témoins parmi les écrivains, tels V. Vančura (1891-1942) et surtout Jaroslav Hašek (1883-1923), créateur du personnage de Švejk, tandis que Rudolf Medek (1890-1940), Josef Kopta (1894-1962), František Langer (1888-1965) évoquent l'épopée des « légionnaires » tchécoslovaques en Russie. La vingtaine d'années de liberté sous la Ire République frappe par son impressionnant essor littéraire. Après une brève période de poésie « prolétarienne » avec Jiří Wolker (1900-1924), c'est le temps du « poétisme », orienté par Jaroslav Seifert (1901-1986) et Vítezslav Nezval (1900-1958) sur l'expression ludique du plaisir de vivre. II se prolonge avec le groupe « surréaliste » de Nezval et Karel Teige, fondé à Prague en 1934. Néanmoins, en butte aux attaques de plus en plus prononcées du parti communiste, et de tout temps vilipendé par la presse de droite, le groupe éclate au printemps de 1938. La majeure partie des poètes, même ceux marqués par la libération formelle du poétisme, choisissent alors l'expression intimiste ou, le plus souvent, spirituelle, métaphysique, avec un accent souvent pessimiste ; ce sont les poètes de la condition humaine, Josef Hora (1891-1945), František Halas (1901-1949), Vladimír Holan (1905-1980), Vilém Závada (1905-1982), František Hrubín (1910-1971). Dans le domaine de la prose, Karel Čapek (1890-1938) fait figure, par sa pensée humaniste, d'écrivain-symbole de la république libérale de Masaryk. Le renouveau catholique est porté par des stylistes, tels Jaroslav Durych (1886-1962), qui ranime le roman historique, Karel Schulz (1899-1943), Jan Čep (1902-1974). Vladislav Vančura est un insolite novateur qui s'inspire du langage du Moyen Âge et de la Renaissance. Le roman psychologique triomphe avec Ivan Olbracht (1882-1942), Marie Pujmanová (1893-1958), Jarmila Glazarová (1901-1977), et pénètre dans un domaine inexploré avec Egon Hostovský (1908-1973) et Richard Weiner (18841937). Le théâtre, enfin, reconnaît ses meilleurs auteurs en Karel et Josef Čapek, František Langer et s'engage sur les voies de l'avant-garde avec le célèbre tandem d'auteurs-acteurs du Théâtre libéré, Jiří Voskovec (1905-1981) et Jan Werích (1905-1980).
Munich, puis l'occupation allemande frappent les écrivains tchèques, déportés ou exécutés – Vančura, J. Čapek, Poláček) –, ou exilés (Langer, Hostovský, Voskovec et Werich, V. Fischl, J. Mucha). Les poètes expriment cette tragédie nationale avec dignité, puisant l'espoir dans les valeurs nationales et humaines. Ce sont notamment Hora, Halas, Seifert, Holan, Zahradníček, Závada, K. Bednář (1912-1972), l'existentialiste avant la lettre Jirí Orten (1919-1941) ou encore O. Míkulášek (né en 1910), Jiří Kolář (né en 1914), Josef Kainar (1917-1971), Josef Hiršal (né en 1920), les catholiques contemplatifs J. Kostohryz (né en 1907) et Z. Rotrekl (né en 1920). Les prosateurs, tels Eduard Bass (1888-1946), František Kubla (1894-1969), František Kožík (né en 1909), se tournent vers le passé ou vers la psychologie comme Václav Řezáč (1901-1956), Miroslav Hanuš (né en 1907), Vladimír Neff (1909-1983). À la libération de 1945, le pluralisme reprend ses droits : le porte-drapeau des positions humanistes à l'occidentale demeure le critique et comparatiste Václav Černý (1905-1987). Le traumatisme de l'Occupation, la Résistance constituent les thèmes principaux de cette brève période.
La prise du pouvoir par le parti communiste (févr. 1948) met en place le « réalisme socialiste ». Si certains comme Hostovský, Čep, Voskovec choisissent l'exil, les procès envoient en prison de nombreux écrivains tels Jan Zahradníček, Palivec, Knap, Kostohryz, Rotrekl, Václav Renč (1911-1973). D'autres sont interdits de publication ou se taisent : Durych, Langer, Holan, Kolář, le théoricien et critique Černý ; certains écrivent pour les enfants (Hrubín, Hiršal). La littérature officielle est alors représentée par Nezva!, Majerová, Závada, Glazarová, Řezáč, Jan Drda (1915-1970), le dramaturge Emil František Burian (1904-1959) et les jeunes « engagés » comme Pavel Kohout. Après cinq ans de dogmatisme, le « dégel » se manifeste avec l'apparition d'un groupe de poètes (Jiří Šotola, Karel Šiktanc, Miroslav Florian), qui s'inspire du quotidien et se réunit autour de la revue Mai (1955-1959), avec les poésies de Milan Kundera (né en 1929), les romans d'Edvard Valenta (1901-1978) et surtout les Lâches (1958) de Josef Škvorecký (né en 1924), alors que le Congrès des écrivains de 1956 libère les consciences (Seifert, Hrubín). Dans les années 1960, le Parti tente de redresser son « front culturel », mais les prosateurs n'entendent plus quitter une vision réaliste ou psychologique des choses – ainsi Ladislav Fuks (né en 1923), Arnošt Lustig (né en 1926), Alexandr Kliment (né en 1929), Jan Procházka (1929-1971), Ivan Klíma (né en 1931), qui reprennent souvent le thème de l'Occupation –, ni le refuge du passé (Neff, Jeřábek, Hanuš, etc.). La science-fiction réapparaît avec Josef Nesvadba, tandis qu'en poésie se poursuit la tendance « spiritualiste » avec Kainar, Ivan Diviš, Jan Skácel, Josef Hanzlík. Le théâtre élargit son espace de liberté avec František Pavlíček, Josef Topol, et Václav Havel.
En 1963 s'amorce une seconde période de « dégel », qui ira jusqu'au « printemps de Prague » (1968), avec Bohumil Hrabal (1914-1997), Ludvík Vaculík (né en 1926), Jan Beneš (né en 1936) et Kundera (la Plaisanterie, 1967). On édite les « interdits » et les « réhabilités » des procès des années 1950. L'occupation soviétique et la « normalisation » enrayent cette libéralisation. Comme après 1948, la littérature se scinde et le camp officiel comprend Závada, Jan Kozák. Le public goûte davantage Vladimír Neff, Jarmila Loukotková, František Kožík et Vladimír Páral. Les romans de Bohumil Hrabal (Moi qui ai servi le roi d'Angleterre, 1981 ; Une trop bruyante solitude, 1983) circulent clandestinement, paraissent à l'étranger et, censurés, parfois à Prague. La poésie est représentée par Oldřrich Mikulášek et Jan Skácel, de nouveau publiés, par Miloslav Holub, Josef Hanzlík et Jaroslav Seifert, qui reçoit le prix Nobel en 1984. Parmi les « interdits », dont beaucoup publient en « samizdat » et dans les maisons d'édition des exilés, se retrouvent Vaculík, Klíma, Kliment, Rotrekl, Skácel, Trefulka, Šiktanc, Pecka, Mikulášek, Hiršal, les auteurs dramatiques Pavlíček, Topol, Havel, les critiques et théoriciens littéraires Černý, Effenberger, Fučík, Chalupecký, les structuralistes Oleg Sus, Miroslav Červenka. C'est de ce milieu que part l'initiative de la défense des droits de l'homme, la « Charte 77 », avec le philosophe Jan Patočka. Parmi les écrivains qui ont choisi l'exil, la France a accueilli Milan Kundera, le poète plasticien Jiří Kolář (Témoin oculaire, 1983), Jan Vladislav, Petr Král, A. Liehm, fondateur de la revue Lettre internationale. Dans le reste de l'Europe et en Israël se trouvent Pavel Kohout, Viktor Fischl, Vilém Hejl, Gabriel Laub, Vladimír Škutina, les poètes Ivan Jelínek (Akropolis, 1982), Ivan Diviš (Agneau sur neige, 1981), Antonín Brousek (Sommeil d'hiver, 1980), le surréaliste Milan Nápravník, les historiens et théoriciens littéraires Antonín Kratochvíl, Antonín Meštan, Vladimír Karbušický, Květoslav Chvatík. Aux États-Unis et au Canada – où s'éteignent l'auteur-acteur Jiří Voskovec (1905-1981) et Roman Jakobson (1896-1982) – se sont notamment installés Josef Škvorecký, Jan Beneš (Triangle avec Madone, 1980), Jiří Gruša, Arnošt Lustig, Jiří Kovtun, les essayistes Rio Preisner et Ivan Sviták. Le Dictionnaire d'écrivains tchèques. Tentative de reconstruction de la littérature tchèque 1948-1979, édité d'abord clandestinement en Tchécoslovaquie, puis complété à Toronto (1982), recense plus de 400 auteurs persécutés, interdits, silencieux.
Le calvaire de plus de quarante ans prend fin avec la « révolution de velours » de novembre 1989, qui porte le dramaturge Václav Havel au pouvoir. Pour la littérature tchèque commence alors la tâche de rassembler toutes ses parties interdites, clandestines, mutilées ou exilées. Commencée dix ans auparavant, l'œuvre de Daniela Hodrová (née en 1945) est publiée dans les années 1990 et s'impose, de même que celle de Sylvie Richterová (née en 1945), tandis que se sont révélés ces dernières années l'humour du romancier à succès Michal Viwegh et le ton plus personnel, entre étrangeté et provocation, de Jáchym Topol (tous deux nés en 1962).