Gessner (Salomon)
Écrivain suisse-allemand (Zurich 1730 – id. 1788).
Après un bref séjour à Berlin, ce fils d'éditeur revint se fixer dans sa ville natale, où il occupa d'importantes fonctions. Peintre et graveur de talent, il s'inspira de Théocrite pour composer les tableaux champêtres de ses deux Idylles (1756 et 1772). Le goût pour une vie vertueuse dans la simplicité y souffre d'une sentimentalité exagérée et d'une tendance à l'ornementation qui relève du style « rocaille ». Gessner s'est exercé également dans l'épopée (la Mort d'Abel, 1758). Il connut un vif succès, particulièrement en France, où il fut traduit par Diderot et Turgot.
geste (chanson de)
Dès la Chanson de Roland, geste (du lat. gesta) désigne les hauts faits d'un homme ou d'un lignage et l'histoire héroïque de ce lignage. La chanson de geste, forme médiévale de la poésie épique, se définit ainsi par sa thématique, l'exaltation de la prouesse, mais aussi par sa forme. Psalmodiée par le jongleur qui s'accompagne à la vielle, la chanson est composée en laisse, groupe de vers (décasyllabes ou alexandrins) en nombre variable, unis par une même assonance ou une même rime. La laisse peut être à elle seule une unité de sens ; plus souvent les laisses sont « enchaînées », créant un continuum narratif, ou encore groupées en laisses parallèles (plusieurs actions évoquées simultanément) ou en laisses similaires (un même fait vu sous différents aspects) et font alterner progression du récit et pauses lyriques ou dramatiques. L'utilisation récurrente de motifs narratifs (combat singulier ou mêlée, siège, duel judiciaire, ambassade, séance de conseil) et de motifs plus descriptifs ou ornementaux (prière épique, armement ou adoubement du guerrier, description des cités, des armées, etc.) contribue aussi à la spécificité du genre. Les motifs sont eux-mêmes développés par les jongleurs à partir de formules : les « clichés épiques ». L'art du jongleur est alors de produire des variations à partir de ce matériau formulaire, pour l'essentiel constitué dès la Chanson de Roland. Ces procédés ont été sans doute élaborés au stade de l'improvisation orale par les jongleurs des chants épiques. Nous n'en atteignons plus que les traces écrites, mais l'importance des variantes dans la tradition manuscrite des chansons permet de suivre d'une version à l'autre le travail sur le motif effectué par les chanteurs et copistes de geste.
Commémoration du passé national revisité par la légende à l'intention du public que convoque le jongleur (d'où l'impression persistante d'une performance orale), la chanson de geste célèbre les héros de l'époque carolingienne, Charlemagne, les douze pairs de France (Rolland, Olivier, Turpin, etc.) en lutte contre les sarrasins d'Espagne (Chanson de Roland), chante leurs conquêtes en Italie ou en Espagne (Aspremont, Otinel, Fierabras), exalte l'image royale (le (Pèlerinage de Charlemagne). Autour de Guillaume d'Orange, de ses neveux (Vivien, Bertrand), de son père (Aymeri de Narbonne), se constitue dès le début du XIIe siècle (Chanson de Guillaume) un vaste cycle qui relate les relations difficiles de Guillaume et de l'empereur Louis et se fait l'écho des tensions idéologiques et politiques du siècle : sans Guillaume, Louis, le faible successeur de Charlemagne, ne peut conserver sa couronne (Couronnement de Louis). Mais tout comme les chansons organisées autour de Charlemagne, les chansons du Cycle de Guillaume célèbrent les combats, les sacrifices et les triomphes des combattants de la chrétienté. Elles disent les terribles défaites infligées par les Maures (Chanson de Guillaume, Aliscans) mais égrènent aussi la liste des villes reprises à l'ennemi par le héros ou son lignage : Charroi de Nîmes, Prise d'Orange (où Guillaume conquiert à la fois une cité et une épouse), Prise de Cordoue et de Séville, Siège de Barbastre. Un autre thème épique, plus problématique et très fécond, la révolte des vassaux contre le pouvoir royal, sous-tend des chansons comme Ogier le Danois, Otinel ou Raoul de Cambrai, également fondé, comme le sauvage Cycle des Lorrains, sur les luttes entre deux lignages. Avec Huon de Bordeaux (où apparaît le nain Aubéron), la chanson de geste s'ouvre au merveilleux féerique et évolue vers la « chanson d'aventures », qui fait une timide place à la relation amoureuse et unit épisodes guerriers et péripéties teintées de romanesque. L'héroïsme reprend la première place dans les chansons du Cycle de la croisade (Chanson d'Antioche, Conquête de Jérusalem) qui substituent au passé carolingien l'histoire plus récente de la croisade en Terre sainte et qui donnent une dimension hagiographique aux exploits historiques des chefs (Godefroy de Bouillon, par exemple) de la première croisade. La plupart des chansons de geste ont été composées, remaniées, pourvues de continuations (un motif fréquent est celui du « moniage » des héros vieillissants devenus ermites) au cours des XIIe et XIIIe siècles. Une importante renaissance se produit au XVe siècle, à la cour de Bourgogne spécialement, avec les mises en prose des cycles épiques. Ainsi des Chroniques et Conquêtes de Charlemagne, compilées par David Aubert.
Gevers (Marie)
Femme de lettres belge de langue française (Edegem, près d'Anvers, 1883 – id. 1975).
Missembourg, le domaine familial où elle passa sa vie, servit de cadre à plusieurs de ses récits : elle y décrit le bonheur de la vie au contact de la nature et l'enracinement des personnages dans leur milieu. De caractère autobiographique, Madame Orpha (1933) et Vie et Mort d'un étang (1950) doivent au travail de la mémoire affective leur vibration particulière. Attentive au mode de vie des gens simples, aux légendes de Campine et des bords de l'Escaut, M. Gevers écrivit également des « livres de nature », où la description minutieuse se mêle au récit ou au conte (Plaisir des météores, 1937 ; l'Herbier légendaire, 1943).
Gezelle (Guido)
Poète belge d'expression néerlandaise (Bruges 1830 – id. 1899).
Prêtre (1854), professeur au collège de Roulers, il unit l'influence de Vondel et de Bilderdijk à celle de la littérature anglaise (il traduira Longfellow) dans ses premiers recueils (Fleurs de cimetière, 1858), qui enthousiasment ses élèves mais inquiètent ses supérieurs. Déplacé à Bruges, puis à Courtrai (1872), il connaît le découragement (Poèmes, Chants et Prières, 1862), qu'il domine en se consacrant à des activités journalistiques, dirigeant l'Année 30 (1864-1870), Autour du foyer (1865), éditant Loquela (1881-1895), animé par le double souci de redonner leur dignité à la langue et à la culture flamandes et de convertir l'Angleterre au catholicisme. S'il ne publie plus pendant 30 ans, tout lui est prétexte à poésie : objets, saisons, événements liturgiques, qu'il célèbre dans une langue d'une richesse et d'une souplesse étonnantes, où archaïsmes et mots rares expriment une thématique de la lumière et du désir de Dieu (Couronne du temps, 1893 ; Couronne de l'année, 1897 ; Collier de rimes, 1901).