Dictionnaire de la Littérature 2001Éd. 2001
E

Erter (Isaac)

Écrivain russe de langue hébraïque (Przemysl 1791 – Brodi 1851).

L'un des principaux animateurs de la Haskalah en Galicie, Erter prêchait pour des idées de modernisation et d'émancipation, ce qui lui valut d'être excommunié par les rabbins orthodoxes. Il acheva alors des études de médecine à Budapest et s'installa définitivement à Brodi. Essentiellement composée de satires publiées à partir de 1823 (les Transmigrations de l'âme, 1845) dans la presse littéraire de Galicie et réunies dans la Sentinelle de la maison d'Israël (1858), son œuvre constitue une critique acerbe du hassidisme et du mode de vie juif traditionnel.

Escalante (Amós de)

Écrivain espagnol (Santander 1831 – id. 1902).

Le récit de ses multiples voyages en Europe (Côtes et Montagnes, 1871) rendit célèbre son pseudonyme de Juan García. Rival de Pereda dans ses évocations poétiques de leur montagne natale, il fait revivre les Asturies du XIIIe siècle dans Ave Maris Stella (1877), un roman historique marqué par l'influence de Manzoni. On lui doit aussi des poèmes intimistes exaltant les valeurs de la famille traditionnelle.

Eschine

Orateur grec (Athènes v. 390 – v. 322 av. J.-C.).

Né dans une famille modeste, Eschine est un orateur politique, adversaire de Démosthène, avec lequel il participa aux ambassades auprès de Philippe de Macédoine qui menèrent à la paix de 346. Il répond aux attaques de l'orateur dans le Contre Timarque et dans le discours Sur l'ambassade infidèle (343), qui réplique au discours Sur les forfaitures de l'ambassade, puis il poursuit pour illégalité celui qui avait proposé de couronner Démosthène (Contre Ctésiphon, 330). Condamné dans cette affaire, Eschine s'exile. L'auteur est un critique ironique de l'éloquence démosthénienne.

Eschyle

Tragique grec (Eleusis 525 – Géla 456 av. J.-C.).

Citoyen athénien, il combattit à Marathon et à Salamine, voyagea en Sicile (740), où il repartit (458-457) et où il mourut : tels sont les éléments biographiques fiables qui sont parvenus jusqu'à nous. On accorde à l'auteur une bonne connaissance du monde grec, des événements politiques qui s'y déroulent, mais aussi une culture qui s'étend probablement à la philosophie présocratique, à la pensée d'Empédocle et au pythagorisme, aux nouveautés qui se développent en Sicile, notamment la rhétorique, enfin aux doctrines delphiques et aux doctrines des mystères, qu'il y ait été lui-même initié ou non. Eschyle participa pour la première fois aux concours tragiques en 500 et obtint sa première victoire en 484. On lui attribue 72 ou 90 tragédies, dont 7 sont conservées : les Perses (472), seule pièce – parmi celles qui nous restent – dont le sujet ne soit pas mythologique, les Sept contre Thèbes (467), les Suppliantes (463), le Prométhée enchaîné (469), et l'Orestie (458) ; à cela s'ajoutent de nombreux fragments de tragédies ou de drames satyriques. Eschyle, à qui Aristophane fait dire dans les Grenouilles qu'il avait « montré le bon modèle » de la tragédie, y a introduit le second acteur (deutéragoniste) et peut-être le troisième (tritagoniste). Son théâtre comprend plusieurs trilogies, dont l'Orestie est la seule conservée de toute la littérature grecque. Si la tragédie, à Athènes, est par essence « civique », le théâtre d'Eschyle témoigne d'une réflexion proprement liée à l'histoire politique de la cité, que ce soit le développement de la puissance athénienne ou celui de la démocratie (la réforme d'Éphialte, en 462, dépossède le conseil aristocratique de l'Aréopage de son pouvoir), en une période troublée sur laquelle les informations manquent. Mais cette réflexion est indissociable d'une vision religieuse du monde où l'histoire humaine est dictée par la justice divine, par le châtiment de l'hubris et du désordre, par l'affirmation du retour nécessaire aux grands équilibres dans un univers des partages divins. Cet arrière-plan gouverne la réflexion sur le pouvoir ou sur le savoir humain.

   Les Persesracontent la défaite de Xerxès, en situant l'action chez les Perses qui attendent à Suse des nouvelles de la guerre. La pièce décrit l'angoisse qui monte chez la reine Atossa avant le récit du Messager, qui peint la bataille de Salamine, le massacre de Psyttalie, tandis que la déroute de l'armée évoque l'ombre de Darius et montre l'abattement de Xerxès à son retour. La tragédie consacre la gloire de Thémistocle, ostracisé l'année suivante, et la gloire d'Athènes ; elle exalte l'idéal démocratique face au despotisme perse, mais elle montre encore la justice divine à l'œuvre, et peut être un avertissement à l'ambition athénienne.

   Prométhée enchaîné, qui devait précéder un Prométhée délivré et un Prométhée porte-feu, montre le Titan immobilisé par Héphaïstos, en présence de Pouvoir et de Force (Kratos et Bia) sur l'ordre de Zeus, expliquant son malheur et le secret qu'il détient au chœur des Océanides, puis visité par Océan, avant la double « tirade des inventions » (436-471 ; 476-506), et par lo à qui il révèle le chemin à venir dans une géographie mythique et tragique ; Hermès ne réussit pas plus à faire dire à Prométhée quelle union doit abattre Zeus. Le Titan est enseveli sous le roc. La pièce met ainsi face à face pouvoir et savoir quand l'habile Prométhée est réduit à l'impuissance par le pouvoir d'un Zeus aveugle sur son propre destin.

   Les Sept contre Thèbesforment le dernier volet d'une trilogie dont le Laïos et l'Œdipe sont perdus. L'action s'ouvre à Thèbes, où règne Étéocle, l'un des deux fils d'Œdipe, quand la cité est assiégée par l'armée argienne, menée par le frère d'Étéocle, Polynice. Une peinture de l'angoisse du chœur des femmes de Thèbes précède la description par le Messager des sept chefs ennemis, placés aux sept portes, et de leurs boucliers – passage d'une riche symbolique –, et l'annonce par Étéocle du combat qu'il mènera contre Polynice. Thèbes est sauvée et on apporte les cadavres des deux frères sur scène ; le chœur, puis Antigone et Ismène chantent un chant funèbre.

   Les Suppliantes,que suivaient les Égyptiens et les Danaïdes, ont pour thème la venue des Danaïdes à Argos, avec leur père ; fuyant les fils d'Égyptos, elles demandent au roi Pelasgos sa protection, rappelant l'histoire d'Io. Le roi doit choisir entre la guerre, qui s'ensuivra s'il les protège, et la souillure, qui lui viendrait de son refus. Le peuple d'Argos décide par un vote unanime de les accueillir et le roi renvoie le héraut venu avec la flotte des Égyptiades. La tragédie traite de la décision politique mais aussi du danger de la requête des Danaïdes qui refusent le mariage.

   L'Orestiecomprend Agamemnon, les Choéphores (Porteuses de libations) et les Euménides et retrace l'histoire des Atrides. La première pièce reprend le meurtre d'Agamemnon à son retour de Troie, tué par Clytemnestre à Argos dans le filet de la ruse qu'elle a tissé et que Cassandre a décrit avant de mourir elle-même. La seconde pièce met en scène la mort d'Égisthe et de Clytemnestre, tués par Oreste, et la folie qui prend le jeune homme. L'action des Euménides est d'abord située à Delphes, dans le sanctuaire d'Apollon qui assure Oreste de sa protection contre les Érinyes (déesses de la vengeance poursuivant les meurtriers), puis à Athènes ; la pièce présente la transformation des Érinyes en déesses « bienveillantes », protectrices d'Athènes. Le jeu de la vérité et du mensonge, la peinture de la transgression, les renversements sous-tendent ces drames de la malédiction et de l'enchaînement des crimes que vient rompre la dernière tragédie. Le changement que marquent les Euménides, évoquant l'acquittement d'Oreste et l'institution par Athéna du tribunal de l'Aréopage, reflète la complexité de la réflexion du temps sur la justice humaine et sur la légitimité des réformes politiques.