Dictionnaire de la Littérature 2001Éd. 2001
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France (XXe siècle) (suite)

Le théâtre contemporain

Depuis les années 1980, les pratiques d'écriture scéniques et dramatiques se sont largement diversifiées. Bernard Dort a observé que le déclin du metteur en scène démiurge ouvrait un espace de créativité aux comédiens en leur donnant la parole ; on peut aussi noter l'importance des partenariats entre metteurs en scène et dramaturges. Le travail de Patrice Chéreau avec le dramaturge Bernard-Marie Koltès est de ce point de vue exemplaire (Combat de nègres et de chiens, 1983 ; Quai ouest, 1986 ; Dans la solitude des champs de coton, 1987 ; le Retour au désert, 1988). Plus généralement, les initiatives pour promouvoir l'écriture dramatique contemporaine se sont multipliées : le « Théâtre ouvert » de Lucien et Micheline Attoun a permis à de nombreux auteurs de voir leurs textes lus ou mis en espace (Vinaver, Deutsch, Cormann, Lagarce) ; la Chartreuse de Villeneuve-lez-Avignon accueille depuis 1991 le Centre national des écritures du spectacle. Toutefois, les structures théâtrales françaises restent encore frileuses à l'égard des textes contemporains, malgré quelques efforts notoires, dont la création du Théâtre national de la Colline en 1988, entièrement voué à la littérature dramatique du XXe siècle.

   La dramaturgie, de son côté, connaît des évolutions et des métamorphoses permanentes. Sous l'influence conjointe de l'Allemand Heiner Müller, qui pratique en matière d'écriture le « matériau » ou « fragment » auquel le metteur en scène doit faire face pour recomposer un sens nécessairement ouvert, et de la liberté créative du metteur en scène moderne, la scène a pris conscience qu'elle pouvait « faire théâtre de tout » (Antoine Vitez). L'un des metteurs en scène qui a conduit ce travail avec le plus de force créatrice est sans aucun doute Matthias Langhoff, qui traite les textes les plus divers comme des matériaux (l'Île du salut, d'après Kafka, 1996 ; Femmes de Troie d'après les Troyennes d'Euripide, 1998). D'une façon générale, on ne compte plus les adaptations scéniques de romans, d'essais, de poèmes, comme si, fait nouveau dans l'histoire du théâtre occidental, le dramaturge n'était plus nécessaire à la fabrique de l'œuvre théâtrale. Toutefois, nombreux sont les auteurs qui, stimulés par la création de maisons d'édition spécialisées dans le théâtre (L'Arche, Actes Sud, Les Solitaires Intempestifs, et Lansmann en Belgique), revendiquent la nécessité d'un travail de l'écriture et rejettent la paresse de certains matériaux. Il ne s'agit cependant pas d'en revenir à la forme dramatique traditionnelle, en crise depuis la fin du XIXe siècle. Le principe de l'écriture dramatique contemporaine repose sur le métissage assumé du dramatique, de l'épique et du lyrique, ainsi que sur la figure omniprésente du « rhapsode » (Jean-Pierre Sarrazac) qui coud et découd sans cesse les fragments d'un tissu dramatique discontinu. Ce drame « rhapsodique » connaît des devenirs multiples : montage de soliloques qui construisent de l'énigme, chez Bernard-Marie Koltès (Quai ouest, 1986) ; interpellation rageuse et ludique chez Michel Deutsch, avec la série des Imprécations ; grandes fresques épico-lyriques chez Olivier Py (la Servante, 1995). On observe enfin que, depuis la dernière décennie du XXe siècle, nombreuses sont les recherches à la fois scéniques et dramatiques qui s'orientent vers un théâtre de la voix. Celui-ci nécessite un renouvellement du jeu d'acteur, éloigné du travail de l'incarnation et de la construction du « personnage ». La recherche de Claude Régy, inlassable découvreur d'auteurs (de Marguerite Duras dans les années 1960 à John Fosse aujourd'hui), tend à une théâtralité de la voix centrée sur la profération du texte. Du côté des dramaturgies se développent des formes apparentées à la composition musicale et notamment à l'oratorio, chargé de faire parler des morts ou de recomposer une mémoire disparue (Patrick Kermann, la Mastication des morts, oratorio in progress, 1999 ; Michel Vinaver, 11 septembre 2001, « cantate » ou « oratorio », 2002).

La poésie

La poésie française contemporaine est toute richesse et diversité. Le début du siècle voit la fin du symbolisme régnant. Sa trace, comme celle du décadentisme, de Verlaine, de Baudelaire, est longtemps perçue. Mallarmé, le maître de la rue de Rome, est présent par son disciple Valéry. Météorite chue de l'absolu, « Livre-poème », Un coup de dés jamais n'abolira le hasard (1897, édition définitive posthume, 1914), aboutissement autant qu'impasse, est un tournant. Claudel, qui donne dès 1900 le premier état de Connaissance de l'Est, correspond avec Mallarmé et reste marqué par sa lecture de Rimbaud, comme le Segalen de Stèles (1912). Le futur Saint-John Perse a stupéfié avec Éloges (1910) dans la Nouvelle Revue française (N.R.F.), fondée en 1909, qui publie « une génération qui suit immédiatement le symbolisme ». Péguy donne en 1910 le Mystère de la charité de Jeanne d'Arc. En 1913 paraît, dans un autre registre, Toi et Moi, de Géraldy.

   Les choses neuves naissent la même année avec Alcools d'Apollinaire et la Prose du Transsibérien de Cendrars, fiévreusement tendus vers le présent de l'Esprit nouveau. Pour Cendrars, pour Morand poète, l'ouverture à la géographie assure ce décrochement avec le temps. Apollinaire, lyrisme fait homme, invente les formes et, en 1914, le futur « calligramme ». En 1916, la revue SIC (« Sons, Idées, Couleurs ») d'Albert-Birot, le célèbre. Le sujet moderne, tissu de contradictions, ne se satisfait plus du chant, mais via un « lyrisme de la réalité » (Reverdy), le présent est célébré comme le passé l'a été, et jusque au banal. C'est le siècle en entier, dans une conversion riche de sens, qui apprend à le considérer. Du « lyrisme visuel » d'Apollinaire au « comportement lyrique » de Breton, des choses se précisent. Peintre et poète, le cubiste Reverdy (le Cornet à dès, 1917), à la source de la définition surréaliste de l'image, ouvre une voie : le rapport consubstantiel entre poésie et peinture. En 1917, la Jeune Parque de Valéry est un monument, un tombeau de la langue française, un office tragique.

Le surréalisme

Le futurisme le dit : les choses vont vite. La même année, Apollinaire avance dans ses Mamelles de Tirésias le terme de « surréalisme », mouvement rendu possible par le biais déstabilisant de Dada et de Tzara, posant, face à l'horreur du temps, la négativité en principe. La surréalisme comme texte naît avec les Champs magnétiques, coécrit en 1919 à l'Hôtel des Grands-Hommes, à un battement de cœur du Panthéon, par Soupault et Breton. La théorie en est « l'écriture automatique ». En 1924, le Manifeste du surréalisme est l'écrit théorique le plus important (Second Manifeste en 1929). La pléiade surréaliste se reconnaît aux génies poétiques qu'elle attire à elle : dans « la période des sommeils », à l'orée des années 1920, Desnos, « le cavalier le plus avancé » (Breton), à qui l'inconscient a accordé des entrées spéciales (la Liberté ou l'amour !, 1927) ; Eluard, qui, d'une transparence racinienne, rend à l'amour son langage (Capitale de la douleur, 1926) ; Aragon, homme des masques et de l'opéra verbal (le Mouvement perpétuel, 1926) ; Péret, le bras droit de Breton ; Soupault (Georgia, 1926). Artaud est « le suicidé de la société ». À l'époque du débat de l'abbé Brémond sur la « poésie pure », le surréalisme se diffracte avec l'épineuse question des rapports politiques au P.C., mais il est à l'écran (Buñuel), sur les palettes (Dalí), le principal mouvement du temps. Son magnétisme est entier, sans parler de l'étranger, de Paz à Chavée. Il marque son siècle comme, au XIXe, ce romantisme qu'il prolonge marqua le sien. Breton publie jusque fort tard : l'Ode à Charles Fourier (1947), Sur la route de San Romano (1948). La seconde génération est moins riche, le surréalisme s'essouffle après la guerre, mais ne meurt pas avec Breton (1966). Si Char s'en éloigne, comme la poésie française elle-même, il dit sa fidélité à son esprit (Lettre hors commerce, 1947). Mai 68, qui fera des slogans poétiques son métier de beauté, et dont les « néoréalistes » ou Biga (Kilroy was here, 1972) sont les poètes, est sa réalisation. Au-delà des « surréalisants » (Gracq, poète sans un vers ; le baroque Mandiargues), Jouffroy et Kober nourrissent le feu. Tout poète aura à se définir dans son rapport à cette présence imposante, ce flux d'images. Le jeune Bonnefoy est surréaliste, Nadja passe dans sa Douve.