Dictionnaire de la Littérature 2001Éd. 2001
N

Nekrassov (Viktor Platonovitch)

Écrivain russe (Kiev 1911 – Gentilly 1987).

Après des études d'architecture, il est mobilisé en 1941 et se fait connaître par un roman inspiré de son expérience de la guerre, Dans les tranchées de Stalingrad (1946) : le livre, qui met en scène de simples soldats et dont le motif principal est l'exécution d'un ordre absurde coûtant la vie à la moitié d'un régiment, ne correspond pas à la définition de « l'héroïsme » de règle après la guerre. Pourtant, il plaît à Staline et cela suffit à faire taire les critiques. Le récit est largement autobiographique, mais l'expérience de l'auteur, intellectuel engagé dans une guerre en laquelle il voit une menace mais aussi la possibilité d'une nouvelle vie, atteint grâce à la simplicité et à la sobriété de son style, une universalité qui fait son succès. Le second roman de Nekrassov, la Ville natale (1954), raconte la résistance d'un soldat qui refuse de se mêler à une campagne injuste contre un professeur de l'institut où il étudie. Le livre est apprécié pour son courage polémique (la plupart des dirigeants sont des personnages négatifs), mais aussi pour la vérité des situations et des caractères. Kira (1961) est une tentative manquée pour évoquer le thème des camps. Auteur d'essais et de reportages dérangeants, Nekrassov est placé sous la surveillance du KGB et décide en 1974 d'émigrer en France, où il collabore à la presse dissidente et publie des souvenirs (Carnets d'un badaud, 1976) et des récits (Saperlipopette, 1983 ; Une petite histoire triste, 1986).

Nelli (René)

Écrivain français d'expression française et occitane (Carcassonne 1906 – id. 1982).

Cet universitaire anticonformiste commença sa carrière dans l'amitié des philosophes Claude Estève et Ferdinand Alquié ainsi que de Joë Bousquet et de Louis Alibert. Fixé à Carcassonne, il mena de front une œuvre en français et une quête poétique en langue d'oc. Cette dernière commence avec Entre l'espoir et l'absence (1942) et se poursuit avec Âme de vérité (1952), Vesper (1963), Beatris de Planissòlas (1971) et Temps foudroyé, qui seront réunis en 1981 dans son Òbra poetica occitana. On doit à Nelli de nombreuses études sur le catharisme, sur les troubadours, sur l'ethnographie méridionale (il dirigea jusqu'à sa mort la revue Folklore).

Nelligan (Émile)

Poète canadien-français d'origine irlandaise (Montréal 1879 – id. 1941).

Il sombra dans une démence précoce et définitive après avoir été applaudi comme un génie enfant. Son recueil unique de poèmes baudelairiens, parnassiens, verlainiens et symbolistes (écrits entre 1896 et 1899), publié par Louis Dantin en 1903 et constamment réédité, est un classique admiré, comme d'ailleurs la figure rimbaldienne du jeune poète. Le « mythe » de Nelligan revit, esthétiquement, dans les œuvres d'un Chaurette et d'un Ducharme.

Němcová (Božena)

Femme de lettres tchèque (Vienne 1820 – Prague 1862).

Ses Contes de fées et Légendes populaires (1845-1846) et ses tableaux de la vie des paysans constituent de précieux matériaux d'intérêt ethnographique. Elle a écrit un long récit, la Grand-Mère (1855), inspiré de sa propre enfance, qui a joué un rôle considérable dans le renouveau de la prose tchèque. On lui doit aussi des récits d'inspiration sociale (Baruška, 1852 ; Bára la Sauvage, 1856 ; Un village dans les montagnes, 1856).

Nemerov (Howard)

Écrivain américain (New York 1920 – Saint-Louis 1991).

Éditeur de la revue Furioso, il unit formes conventionnelles et attitude critique dans sa poésie, de l'Image et la loi (1947) à Dans l'Oignon (1984). Ses romans (Acteurs de mélo, 1949 ; le Jeu du retour, 1957) traitent des ambiguïtés de l'intellectuel. Ses essais (Essais choisis, 1984) fondent la notion de fiction sur un schéma intellectualisant et sur la combinatoire.

Nemésio (Mendes Pinheiro da Silva, dit Vitorino)

Écrivain portugais (Praia da Vitória, île de Terceira, 1901 – Lisbonne 1978).

Directeur de la Revista de Portugal, il marque dans sa poésie une évolution par rapport au lyrisme du groupe de « Presença » (Tête ronde, 1949 ; Marche hollandaise, 1976). On lui doit aussi des récits (le Serpent aveugle, 1945) et des recueils de contes (Quatre Prisons sous les armes, 1971) où les ressources de l'art le plus savant s'allient à l'inspiration populaire.

Németh (László)

Écrivain hongrois (Baia Mare, Roumanie 1901 – Budapest 1975).

Après avoir exercé la médecine, il remporta, en 1927, un concours littéraire organisé par la revue Nyugat. Directeur et unique rédacteur de la revue littéraire Tanu (Témoin) [1932-1936], il adhéra pendant la guerre au mouvement des écrivains populistes. On lui doit des romans (Deuil, 1935 ; Crime, 1936 ; Une possédée, 1947 ; Eszter Égetö, 1956), des drames historiques (Grégoire VII, 1939 ; Galilée, 1954 ; Piège, 1967) et des essais (les Hongrois et l'Europe, 1935 ; la Révolte de la qualité, 1940 ; les Soirées de Sajkód, 1961 ; l'Homme qui entreprend, 1963 ; Deux Générations, 1971 ; le Voyageur de l'Europe, 1973).

néolatine (littérature)

Les progrès des langues vulgaires dans tous les domaines littéraires, intellectuels et spirituels et la laïcisation de la culture à partir du XIVe s. ont progressivement réduit l'emploi du latin ; parallèlement, le latin médiéval, véritable langue vivante, vecteur de savoir et outil de communication entre clercs de l'Europe entière a été critiqué par les premiers humanistes comme Pétrarque ou son ami Boccace, en attendant L. Valla et ses Élégances. Passionnés par tous les aspects de la civilisation antique, ils ont préconisé un retour au style cicéronien pour la prose ou au modèle virgilien pour la poésie et condamné, comme barbares et gothiques, les particularités du latin médiéval (syntaxe influencée par les langues vernaculaires, lexique non classique accueillant de nombreux néologismes). Suivi par les érudits italiens puis français du XVe s., ce classicisme a substitué au latin médiéval ce que les spécialistes ont récemment nommé le néolatin.

   Ce néolatin, réservé à une élite lettrée, s'est coupé du monde environnant et est devenu une langue morte ou au moins figée dans ses règles, ce que n'avait jamais été le latin très évolutif du Moyen Âge. Répandu à travers toute l'Europe savante du XVe s. au XVIIe s., il est devenu le ferment et le ciment de qu'on a pu appeler la « République des lettres », permettant à un L. Valla, un Érasme, un Budé, un Buchanan d'être lus, de la Pologne au Portugal, de la Grèce à l'Écosse, par tous les lettrés.

   Par opposition aux langues vernaculaires universellement vécues comme imparfaites et labiles, même par un Montaigne, qui s'exprime pourtant en français, le latin est perçu comme une langue redevenue parfaite et éternelle : tout ce qui est grand ou important doit donc être écrit dans cette langue qui a plus de vingt siècles d'existence, et qui demeurera pour longtemps encore la langue des inscriptions et de l'enseignement. La pédagogie des jésuites, par la formation oratoire et la pratique du théâtre, joue un rôle de diffusion déterminant, en concurrence avec l'érudition gallicane de l'aristocratie parlementaire. La nature de l'éloquence, les techniques du discours ou de la composition poétique, le programme des études, tout se définit en fait par rapport au latin, langue souple et riche, jugée sans rivale dans l'expression des raffinements philosophiques et littéraires. Philologues et rhétoriciens s'efforcent d'en proposer un modèle idéal directement dérivé des grands textes antiques : le texte latin se fait langue. Mais le mérite de ce purisme est de favoriser la prise de conscience de la nécessité d'une langue proprement littéraire et de définir par là même un espace où pourra se développer la « littérature ». Est-ce un hasard si les cicéroniens les plus fervents comme P. Bembo en Italie, Dolet et Ramus en France sont aussi ceux qui ont le plus œuvré pour le développement d'une littérature dans la langue nationale ? La littérature française classique se constituera (de Du Vair à Guez de Balzac et Patru, de Malherbe à La Fontaine) sur un calque latin.

   Par delà la sphère proprement littéraire – mais la « littérature » s'entend et se pratique à l'époque moderne de manière beaucoup plus large qu'aujourd'hui – le néolatin est la langue des historiens (P. Vergile, Le Ferron, de Thou), des juristes (Alciat, Cujas), des philologues (Budé, Camerarius, Turnèbe, Lambin, Le Roy, Lipse), des philosophes et théologiens (Melanchthon, Sanchez). On l'emploie dans les traités d'érudition, les polémiques, les correspondances entre savants et même une partie de la production poétique (en Italie, Marulle, Fracastor, Sannazaro ; en France, Gerson et Alain Chartier, avant Salmon Macrin, M. de Saint-Gelais ou du Bellay). Il a joué un rôle important dans la Renaissance : il suffit de penser à Érasme, à Budé, à Jules César Scaliger, théoricien de la poésie classique et poète lui-même, à Marc-Antoine Muret, modèle à Rome de la parfaite latinité, ainsi qu'aux poèmes latins de J. Second ou de Buchanan. Langue de la critique littéraire, de l'érudition, des sciences (Copernic, Kepler, Harvey ; Linné publiera encore ses travaux en latin), de la philosophie (Descartes, Spinoza, Leibniz), certains l'emploient pour des œuvres plaisantes ou satiriques. Le latin restera en usage au parlement et dans l'Université, et le français classique s'imposera avec beaucoup de difficultés aux « doctes » qui le considéraient comme le véhicule d'une culture frivole, celle des femmes et de la jeunesse dorée de la cour. Le siècle de Louis XIV accompli, le français jouant désormais le rôle de langue de culture de l'Europe lettrée, le latin ne sera plus guère que l'apanage des collèges et des pédants. La réforme de 1880 substituera, dans les épreuves du baccalauréat, la composition française à la composition latine et, la même année, le dernier discours latin sera prononcé en Sorbonne. Mais les candidats au titre de docteur soutiendront, jusqu'en 1910, une thèse complémentaire en latin.