Dictionnaire de la Littérature 2001Éd. 2001
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Japon (suite)

La naissance du théâtre (XVe s.)

L'existence d'une épopée semble avoir permis la formation du théâtre. L'emprunt, vers la fin du XIIIe siècle et surtout au XIVe par les danseurs du dengaku ou du sarugaku, de thèmes épiques amènera en quelques décennies la création du no. Il suffira que l'acteur, qui mimait d'abord un texte chanté par d'autres, dise ou chante son propre rôle pour que soit franchi le pas qui séparait encore la pantomime du théâtre. Le génie de Kanami (1333-1384) et de son fils Zeami (1363-1443), fit le reste.

Genres nouveaux, individualités nouvelles (XVIe-XVIIe s.)

L'apogée du no (vers 1400-1450) fut suivi par deux siècles considérés généralement comme un relatif désert littéraire. La production des XVe et XVIe est constituée pour l'essentiel par une production romanesque désignée par le terme otogizoshi (« livres de contes »), relevant de genres très divers : pastiches de monogatari ; fragments épiques ; récits de voyages, parfois imaginaires ; contes fantastiques ; récits de miracles ; histoires dont les acteurs sont des animaux au comportement humain.

   C'est dans ces otogizoshi que se trouve le germe de la vogue retrouvée par la littérature anecdotique dans les premières années du XVIIe. La frontière qui les sépare des premiers recueils imprimés, ou kanazoshi (« écrits en kana », c'est-à-dire en japonais), est d'abord imprécise. Mais bientôt apparaissent des écrivains professionnels, dont le plus prolifique fut Asai Ryoi (?-1691), qui composent des recueils de contes drolatiques, des descriptions de sites fameux, des recueils d'apologues moraux ou de contes fantastiques.

   La tradition du roman guerrier donne, de son côté, naissance à un genre nouveau, le joruri. Ce dernier doit son nom à un roman célèbre, l'Histoire en douze épisodes de la demoiselle Joruri (vers 1570), qui conte les amours de Yoshitsune avec une demoiselle imaginaire. Le succès de cette œuvre, diffusée par des récitants aveugles, est sans doute dû en partie à l'introduction du shamisen, guitare à trois cordes, aux ressources plus variées que le biwa. D'inspiration héroïque ou pathétique, le joruri s'adjoignit les services de montreurs de marionnettes et connut bientôt, dans la paix et la prospérité restaurées par les Tokugawa (1616-1868), la faveur du public des « trois métropoles » : Kyoto, Osaka et Edo.

   En poésie, le waka classique avait été supplanté par le « poème lié en chaîne » (renga), formé par une alternance de vers de 5-7-5 et de 7-7 syllabes, composés à tour de rôle par plusieurs poètes. Cette sorte de jeu de société évolua vers un genre poétique à part entière, illustré par de grands poètes tels que Sogi (1421-1502). En marge d'un renga toujours plus épuré prit naissance une variante comique, le haikai-renga ou haikai, qui au XVIIe siècle se répandit dans toutes les couches de la société et s'imposa comme le genre poétique le plus vivant au sein de la nouvelle culture urbaine.

   Prose, théâtre et poésie devaient connaître leur apogée à l'ère Genroku, au tournant du XVIIIe siècle. Issu d'une famille marchande d'Osaka, Ihara Saikaku (1642-1693) fut formé dans le haikai, dont il devint un virtuose. À partir de 1682, où il publie la Vie d'un homme galant, il compose en quelque douze ans une vingtaine de recueils de nouvelles, inaugurant ainsi le genre des ukiyo-zoshi (« écrits de ce triste monde flottant »), où il traite de sujets contemporains : récits d'amour, histoires de marchands et de guerriers, dont l'ensemble forme une sorte de Comédie humaine de son temps.

   Le joruri lui aussi évoluait. Le récitant Uji Kaga no jo (1635-1711), à Kyoto, cherche à en élever le style pour lui conférer une dignité égale à celle du no. Le dramaturge Chikamatsu Monzaemon et le récitant Takemoto Gidayu (1651-1714), à Osaka, portent le genre à son sommet, en développant les parties dialoguées, désormais mieux distinguées des passages lyriques. En 1703, Chikamatsu, s'inspirant du kabuki, donna pour la première fois sur la scène du théâtre de marionnettes une pièce inspirée d'un fait divers contemporain (sewamono).

   Quant au haikai, il atteint la perfection avec Matsuo Basho (1644-1694). Outre quelques milliers de hokku (vers initiaux d'une chaîne de renga), recueillis en plusieurs anthologies par ses disciples, son œuvre comprend des haibun ou proses composées dans l'esprit du haikai, des récits de voyage et des journaux poétiques dont le chef-d'œuvre est la Sente étroite du Bout-du– monde.

Le siècle d'Edo (1750-1850)

Dès le XVIIe siècle, les bouleversements politiques et sociaux ainsi que le relatif déclin du bouddhisme avaient favorisé l'éclosion d'une pensée confucéenne. Même s'il ne joua jamais au Japon le rôle officiel qui fut le sien en Chine, le confucianisme imprégna profondément la société de l'époque d'Edo. Les tenants du néoconfucianisme, comme Hayashi Razan (1583-1657), durent s'accommoder de la concurrence de nombreux courants tels que celui des « études anciennes » d'Ito Jinsai (1627-1705) prônant le retour aux textes de Confucius et de Mencius, ou celui fondé par Ogyu Sorai (1666-1728), qui sépare la morale individuelle de la politique et insiste sur le rôle civilisateur de l'expresion artistique.

   Stimulés par ces recherches nouvelles, des philologues japonisants (kokugaku-sha) tentèrent de l'appliquer aux classiques nationaux. Rompant avec les commentaires traditionnels pratiqués dans les écoles poétiques, Shaku Keichu (1640-1701), inaugura une méthode plus rigoureuse, qui fut poursuivie par Kada no Azumamaro (1669-1736) Kamo no Mabuchi (1697-1769) et surtout Motoori Norinaga (1730-1801), auteur d'un commentaire exhaustif du Kojiki.

   Cette diversification idéologique ainsi que la diffusion de la littérature chinoise en langue vulgaire (baihua) devaient marquer la littérature du XVIIe et du XIXe siècle, dont le centre se transporte progressivement à Edo.

   Le kokugaku-sha Ueda Akinari (1734-1809), disciple de Mabuchi, à qui l'étude attentive des classiques japonais inspira un style narratif nouveau, fut, avec les Contes de pluie et de lune (1776), l'initiateur du genre du yomi-hon, dans lequel les romanciers tourne le dos à la réalité contemporaine, pour élaborer un univers romanesque totalement fictif. Santo Kyoden (1761-1816) et Kyokutei Bakin (Histoire des huit chiens de Satomi, 1841-1842) illustrent ce genre en transposant des motifs empruntés aux romans chinois.

   À l'arrière-plan de cette « grande littérature » foisonnent les opuscules de tous genres, généralement illustrés, œuvres d'abord de lettrés en mal de distractions, puis de véritables écrivains professionnels. Les sharebon (« livres plaisants, à la mode ») s'inspirent de l'esprit des quartiers de plaisir. Les kusa-zoshi, classés d'après la couleur de leur couverture en « livres jaunes, rouges, noirs ou bleus », font la part belle aux illustrations. Les « livres comiques » (kokkeibon), beaucoup plus amples, donnent une large place aux dialogues en langue parlée et renouent sur le mode de la fantaisie et de l'humour avec la réalité quotidienne. Jippensha Ikku (Par le Tokaido sur l'alezan Genou, 1802) et Shikitei Samba (Au bain public, 1809-1812) en sont les deux principaux auteurs.

   Dès le XVIIe s'était constitué un théâtre d'acteurs, le kabuki, qui évolua rapidement vers une véritable expression dramatique en intégrant le répertoire du kyogen, du no et du joruri. L'époque de Genroku est marquée par l'émergence de grands acteurs comme Sakata Tojuro à Kyoto et Osaka ou Ichikawa Danjuro (1660-1704) à Edo, et de premiers dramaturges.

   Après la mort de Chikamatsu qui l'avait quitté pour le théâtre de marionnettes, le kabuki effectua un retour triomphal. Bientôt, les auteurs se détournèrent des poupées pour écrire directement pour le kabuki. Parallèlement, Edo supplanta Osaka dans son rôle de capitale du théâtre. C'est là que vécurent les deux meilleurs dramaturges du XIXe : Tsuruya Namboku et Kawatake Mokuami.

   En poésie on peut retenir les waka du moine Ryokan (1757-1831), les hokku de Buson (1716-1783) et de Kobayashi Issa (1763-1827). À partir de l'ère Tenmei (1781-1789), Edo vit fleurir les genres comiques du senryu, version populaire et satirique du haikai, ainsi que du kyoka (« poèmes fous »), version parodique du waka, qui par ses liens avec le roman et la gravure ukiyo-e, exerça une influence considérable sur la vie culturelle.