Dictionnaire de la Littérature 2001Éd. 2001
E

Endo Shusaku

Écrivain japonais (Tokyo 1923 – id. 1996).

À 11 ans, un an après son retour de Mandchourie – par suite du divorce de ses parents –, encouragé par sa mère il fut baptisé dans une église catholique à Kobe. Cet événement, dont il ne mesura point alors la gravité, fut le point de départ des interrogations qui traversent ses œuvres : la rencontre problématique du « panthéisme » japonais et de la religion chrétienne « monothéiste » d'Occident, le rôle de « l'être maternel », et les problèmes du mal et du péché dans la réalité humaine. Après ses études de littérature française à l'université Keio, il fut un des premiers boursiers japonais à venir étudier en France après la guerre. Pendant son séjour à Lyon, de 1950 à 1953, où il poursuivit ses recherches sur la littérature catholique contemporaine, il décida de s'orienter définitivement vers la création littéraire, à la suite de Mauriac et de Julien Green par qui il fut particulièrement marqué. Rentré au Japon à la suite d'une maladie, il commença à publier d'abord des essais et des critiques, puis son premier roman Jusqu'à Eden (1954). Peu de temps après la mort de sa mère qui le marqua profondément, il publia l'Homme blanc (1955), que le prix Akutagawa fit connaître. Le problème du mal dans l'inconscience est vu d'abord à travers le personnage d'un Français au service de la Gestapo, puis dans la Mer et le Poison (1957), qui décrit les expériences scientifiques effectuées sur les prisonniers pendant la guerre au Japon. Il y reviendra dans Scandale (1986). Ses interrogations sur la foi chrétienne au Japon atteignent un sommet dans Silence (1966), drame des chrétiens japonais persécutés au XVIe siècle, et se poursuivent dans ses deux essais, Vie de Jésus (1973), Naissance du Christ (1978) et dans son roman le Samouraï (1980). Son dernier roman le Fleuve sacré (1993), marqué d'un pluralisme religieux, traite le thème de la réincarnation et l'image moderne d'un « serviteur souffrant ». Endo est apprécié également du grand public pour ses œuvres humoristiques. Ses œuvres ont été traduites en vingt-trois langues et couronnées par les plus prestigieux prix littéraires au Japon.

Énéas

Version française de l'Énéide de Virgile, en octosyllabes rimés (milieu XIIe s.

Cette œuvre influença d'une manière décisive le genre du roman. Énéas, héros fondateur, se trouve successivement confronté à deux expériences amoureuses : à l'échec de la première, avec Didon, s'oppose la réussite avec Lavinie ; à la volupté sous l'empire de Vénus, le désir pur inspiré par Cupidon. La coupure marquée par le chant VI de l'Énéide fut atténuée par des remanieurs qui se voulurent plus fidèles à Virgile. Outre cette transformation idéologique de l'épopée, le roman apporte une nouvelle pratique du merveilleux, fondée sur une esthétique de la description. La mort et la sépulture de deux personnages, Pallas et Camille, sont l'objet d'une attention particulière, l'un est ami d'Énéas, l'autre, une figure de l'Amazone. Leur disparition, qui écarte de l'entourage du héros des fantasmes de confusion sexuelle, prépare le retour du mythe d'Éros, introduisant le désir viril dans une thématique courtoise qui rejette la volupté symbolisée par Vénus. Il faudra attendre le Roman de la Rose de Jean de Meun pour que soit réhabilité ce principe de plaisir, avec la volupté féminine.

enfance et jeunesse

Le répertoire des lectures d'enfance et de jeunesse regroupe deux types d'écrits d'origine sensiblement différente. Il y a d'une part la littérature réorientée vers l'enfance et la jeunesse. Éditeurs et pédagogues font entrer dans le répertoire des enfants des textes qui ne leur étaient pas initialement destinés, des contes venus – directement ou indirectement – de la tradition orale et des classiques de la culture adulte lettrée. L'abbé Lhomond écrit son De viris illustribus urbis Romae (1775) à l'intention des collégiens. Charles Lamb raconte les pièces de Shakespeare dans ses Tales from Shakespeare (1807). Les éditeurs publient des versions abrégées de Robinson Crusoé ou des Misérables. Mais il y a d'autre part ce qui constitue stricto sensu la littérature pour l'enfance et la jeunesse, c'est-à-dire une littérature adressée. C'est l'écrivain qui en est, cette fois, à l'initiative. Il adresse son texte à un enfant lecteur, de manière souvent explicite. Mme Leprince de Beaumont titre son recueil le Magasin des enfants, la comtesse de Ségur dédie ses romans à ses petits-enfants. Mais il est des dédicaces plus ambiguës, comme celle du Petit Prince, et l'on sait qu'un destinataire privilégié n'est jamais un destinataire exclusif : l'histoire de la réception d'Alice au pays des merveilles nous le montre amplement. Ces écrivains sont des adultes, et ils transposent dans le domaine de l'enfance les formes littéraires de leur propre culture. La place progressivement prise par l'image dans la littérature pour enfants va cependant faire naître un genre, le seul qui lui soit spécifique, l'album.

Les origines

C'est à partir du milieu du XVIIIe siècle que la littérature d'enfance et de jeunesse devient un fait social et culturel en Angleterre, aux Pays-Bas, dans les pays de langue allemande, puis en France, c'est-à-dire dans les États les plus riches et les plus scolarisés de l'Europe occidentale. Il faudra plus d'un siècle pour que des pays comme l'Italie, l'Espagne ou la Suède développent à leur tour une littérature pour la jeunesse.

   Il n'y a bien sûr jamais de commencements absolus. Du Moyen Âge au XVIIIe siècle, on trouve un certain nombre de livres publiés pour les enfants : des « civilités » dérivées du livre d'Érasme, De civilitate morum puerilium (1530), des petits catéchismes, des abécédaires (appelés également Croix de par Dieu), des « rudiments » pour les jeunes élèves et des manuels pour les plus grands. Mentionnons Roti-cochon ou Méthode très-facile pour bien apprendre les enfans à lire, publié à Dijon entre 1689 et 1704, et dont il existe un unique exemplaire à la Bibliothèque de l'Arsenal. En 1658, le grand pédagogue tchèque Comenius fait paraître à Nuremberg l'Orbis sensualium pictus. L'ouvrage associe apprentissage des langues et connaissance des choses. Il classe en une encyclopédie raisonnée les objets du monde qui sont visualisés par une image, puis nommés et décrits successivement en latin et dans la langue maternelle de l'enfant. L'avant-propos recommande de mettre le livre à la libre disposition des enfants, avant même qu'ils aillent à l'école, pour qu'ils aient le plaisir d'en regarder les images. L'Orbis pictus peut être tenu pour le premier livre illustré destiné exclusivement à l'enfance, et pour le premier qui envisage qu'un livre puisse leur être objet de plaisir avant d'être outil de savoir. On trouve enfin les livres destinés à l'éducation du Prince. De ce dernier type relèvent les 41 volumes de textes grecs et latins que Louis XIV fait imprimer ad usum delphini ainsi que les Aventures de Télémaque (1699), que Fénelon écrit à l'intention du duc de Bourgogne. Pour les garçons des milieux cultivés, « La région de l'enfance, c'était l'Antiquité » (Michel Butor).

La littérature d'éducation au XVIIIe siècle

Ce qui constitue la grande nouveauté de ce siècle, c'est l'apparition d'une littérature de fiction adressée aux enfants. Les Aventures de Télémaque constitue en ce sens un texte charnière. L'enfance est désormais pensée comme une série d'étapes pour lesquelles il convient d'inventer des conduites spécifiques. Fénelon réfléchit à l'éducation des filles (1687), John Locke fait des propositions dans Quelques pensées sur l'éducation (1693) pour adapter l'acquisition des savoirs aux rythmes des enfants et rendre l'éducation plus plaisante par le jeu. Les traités d'éducation prolifèrent en France à partir de 1750 et le roman pédagogique de Rousseau, Émile ou De l'éducation (1762), connaîtra un immense retentissement en Europe. La bourgeoisie des Lumières construit un « sentiment de l'enfance » et fait de l'enfant un être qu'il faut tout à la fois séparer et protéger.

   C'est en Angleterre qu'apparaissent les premiers écrivains pour enfants, les premiers journaux pour enfants, le premier éditeur de livres pour enfants. Dans sa boutique, au pied de la cathédrale Saint-Paul, John Newbery vend des médicaments et des livres. Il publie son premier livre pour enfants, A Little Pretty Pocket Book en 1744 ; il en publiera environ 400 – sur les 2 400 de sa production totale – durant les vingt années de son activité. Mme Leprince de Beaumont peut être tenue pour une pionnière dans le domaine du livre pour enfants, et ce n'est sans doute pas un hasard si c'est en Angleterre qu'elle conçoit, écrit et publie en français son Magasin des enfants (Londres, 1756 ; Lyon, 1758), sans doute inspiré par The Governess, or Little Female Academy (1749) de Sarah Fieldling. L'écriture adressée à l'enfance semble être née d'une pratique pédagogique et d'un rapport initial avec des enfants réels. Mme de Beaumont vit depuis huit ans en Angleterre, où elle gagne sa vie comme gouvernante dans des familles de la grande aristocratie. L'abbé Pluche est précepteur en Normandie du fils de lord Strafford et il écrit pour son élève le Spectacle de la nature (1732). C'est pour ses deux filles que Mme de Genlis écrit les premières pièces de son Théâtre à l'usage des jeunes personnes (1779), avant d'être nommée en 1782 « gouverneur » des enfants du duc de Chartres. Arnaud Berquin, l'auteur très célébré de l'Ami des enfants (collection de petits récits, publiés selon un rythme mensuel de janvier 1782 à la fin 1783), fut précepteur des enfants de l'éditeur Panckoucke. Le chanoine Christoph von Schmid – qui publie au début du XIXe siècle – imagina ses récits pour les élèves de la petite école qu'il dirigeait.

   Ces premiers écrivains pour la jeunesse font de l'enfant le personnage central de leurs fictions, qu'ils situent dans l'espace quotidien des jeunes lecteurs. Les volumes sont de petit format, le plus souvent sans autre illustration que celle du frontispice. Les textes empruntent aux formes traditionnelles du discours pédagogique – on trouve des fables, de nombreuses dialogues et des historiettes (« contes moraux ») qui prolongent la tradition des exempla – mais également aux formes littéraires contemporaines comme le théâtre de société et le roman par lettres. Les principaux traits de cette production sont assez bien résumés par le titre intégral que Mme de Beaumont donne au plus célèbre de ses ouvrages : « Magasin des enfants ou dialogues d'une sage gouvernante avec ses élèves de la première distinction dans lesquels on fait penser, parler, agir les jeunes gens suivant le génie, le tempérament et les inclinations d'un chacun. On y représente les défauts de leur âge, l'on y montre de quelle manière on peut les corriger ; on s'applique autant à leur former le cœur qu'à leur éclairer l'esprit. On y donne un abrégé de l'Histoire sacrée, de la Fable, de la Géographie, etc. Le tout rempli de réflexions utiles et de contes moraux pour les amuser agréablement et écrit d'un style simple et proportionné à la tendresse de leurs années. » Le livre est conçu comme un outil pédagogique qui vient combler un vide éditorial. Il est donc normal que cette jeune littérature mette la fiction au service de l'éducation.

   De la mode des contes de fées qui fut si vivante à la fin du XVIIe siècle, Mme de Beaumont ne retient rien, à l'exception des Contes de ma mère l'Oie de Perrault, « plus utiles aux enfants que ceux qu'on a écrits dans un style plus relevé », et du conte de Mme de Villeneuve, qu'elle récrit, sous le titre de la Belle et la Bête, pour le faire figurer dans son Magasin. La génération suivante témoigne d'une grande défiance à l'égard des contes. Mme de Genlis écarte les contes (« Je ne donnerai à mes enfants, ni les Contes de fées, ni les Mille et une Nuits ; les Contes même que Madame d'Aulnoy fit pour cet âge ne leur conviennent pas. Il n'y en a presque pas un dont le sujet soit véritablement moral ; l'amour en forme toujours tout l'intérêt ») pour en venir aux mérites de l'ouvrage qu'elle est en train d'écrire. Celui-ci est composé de récits qu'une mère à ses enfants, récits « qui ne laissent jamais passer un mot au-dessus de l'intelligence de cinq ans » (Adèle et Théodore ou Lettres sur l'éducation, Lettre XIII, 1782). Il s'agit des Veillées du château, qui seront publiées en 1784. Berquin oppose tout aussi clairement son projet à la tradition des contes : « Au lieu de ces fictions extravagantes et de ce merveilleux bizarre dans lesquels on a longtemps égaré leur imagination, on ne leur présente ici que des aventures dont ils peuvent être témoins chaque jour dans leur famille » (l'Ami des enfants, Avertissement). L'éditeur anglais Marshall critique les histoires « de sorcières, de fées, d'amour et de galanterie ». Il publie des Moral Tales et, tout logiquement, traduit Berquin et Mme de Genlis. Ces positions témoignent d'une image de l'enfance accessible à la raison et d'une conception de la lecture qui serait directement éducative. Ainsi se mettent en place au XVIIIe siècle deux traits qui seront longtemps ceux de la littérature pour enfants : une défiance à l'égard des plaisirs de l'imaginaire et une mise en avant de sa fonction éducative. Les ouvrages de ces premiers écrivains français pour enfants seront diffusés dans toute l'Europe francophone du XVIIIe siècle et réédités tout au long du XIXe siècle.