Dictionnaire de la Littérature 2001Éd. 2001
A

Aub (Max)

Écrivain espagnol (Paris 1903 – Mexico 1972).

Dans Narcisse (1922), dans son Théâtre incomplet (1931) et dans le Miroir de l'avarice (1935), il combine l'inspiration de l'expressionnisme allemand à celle de Crommelynck et de Cocteau. Interné en France, puis en Algérie (1941), il gagne le Mexique (1942) où il publie des pièces de théâtre (San Juan, 1943 ; Mourir d'avoir fermé les yeux, 1945), la revue Sala de espera (1948-1951), une biographie de Jusep Torres Campalans (1958), peintre imaginaire, des Contes mexicains (1959) et, surtout, une série de romans sur la guerre civile (le Labyrinthe magique, 1943-1968).

Aubanel (Théodore)

Écrivain français d'expression provençale (Avignon 1829 – id. 1886).

Fils d'une riche famille d'imprimeurs, il fut l'un des fondateurs du félibrige et de l'école d'Avignon. Il est avant tout le poète de l'amour avec la Grenade entrouverte (1860) et les Filles d'Avignon (1885). Très tôt en butte aux critiques de la société catholique rigoriste qui l'entoure et qui trouve scandaleuse la sensibilité néopaïenne de son œuvre (Aubanel reniera et brûlera la première édition des Filles d'Avignon), il aura des démêlés, dans la dernière partie de sa vie, avec le félibrige officiel. La sensualité solaire de ses vers et de son théâtre (le Pain du péché, 1864 ; le Pâtre, 1866 ; le Rapt, 1872), où joie et douleur, pureté et péché se répondent, est associée à une recherche esthétique très moderne en son temps et en Provence, et qui le place au premier rang de la renaissance littéraire occitane du XIXe s.

Aubéron

Chanson de geste de 2 468 décasyllabes rimés (fin XIIIe s.), composée comme introduction à la chanson de geste Huon de Bordeaux.

Aubéron explicite a posteriori la naissance, les aventures, le destin du nain merveilleux né de Jules César et de la fée Morgane, sœur d'Arthur.

Aubignac (François Hédelin, abbé d')

Écrivain français (Paris 1604 – Nemours 1676).

Petit-fils d'Ambroise Paré, il fut d'abord avocat. Prêtre et précepteur du duc de Fronsac, neveu de Richelieu, il anima (1663-1671) une « Académie des Belles-Lettres » examinant des œuvres philosophiques et littéraires. S'il fut un poète galant, un romancier froidement allégorique (Aristandre, 1644 ; Macarise, 1664) et un dramaturge malheureux avec ses tragédies en prose (la Cyminde ou les deux victimes, 1642 ; la Pucelle d'Orléans, 1642), il fut l'un des critiques dramatiques les plus écoutés et considéré comme l'un des initiateurs du classicisme. Dans sa Pratique du théâtre (1657), entreprise dès 1640 à la demande de Richelieu afin de codifier le tragique français, il cherche à fonder des règles non « en autorité, mais en raison ». Il place à la base de l'esthétique la vraisemblance et les bienséances, clés de voûte de l'écriture classique. Toute vérité n'étant pas bonne à dire, il faut préférer le vraisemblable au vrai. Voulant faire du théâtre un équivalent du réel, Aubignac prône l'illusion mimétique. Il insiste sur l'importance de l'unité de lieu et surtout de l'unité de temps et d'action, fondant ainsi la règle des trois unités. Il étudie les différentes parties de la tragédie et condamne les monologues, puis s'intéresse aux personnages, aux discours et au décor, qu'il désire le plus discret possible, aspirant à un gommage total des processus de production. Il voit dans les tragédies de Corneille la perfection de la dramaturgie classique.

Aubigné (Théodore Agrippa d')

Écrivain français (hôtel Saint-Maury, près de Pons, Saintonge, 1552 – Genève 1630).

Si l'on est, à propos d'Agrippa d'Aubigné, plus que de tout autre écrivain, fondé à parler d'une unité interne de l'œuvre, d'une part, et d'une unité de l'œuvre et de la vie, d'autre part, ce n'est pas dans la mesure où, comme on l'entend souvent dire, « l'œuvre reflète la personnalité de son auteur », mais pour autant que la vie et l'œuvre ont fondamentalement un même sujet (le militant au service d'une cause, la cause protestante) et une même force (le combat pour cette cause) : voué par son père, devant le spectacle des suppliciés d'Amboise, à la défense de la religion réformée, il sera le compagnon incorruptible d'Henri IV ; il n'achètera jamais carrière et honneurs au prix d'une messe, et à la fin de sa vie, compromis dans la conspiration contre Luynes (1620), il se réfugiera à Genève. L'ironie de la vie et de l'histoire fait de lui le grand-père de Mme de Maintenon. On peut distinguer plusieurs versants de l'œuvre : historiographique et autobiographique (l'Histoire universelle et Sa vie à ses enfants), épico-lyrique (les Tragiques), lyrique (le Printemps et l'Hiver), satirique (les Aventures du baron de Faeneste et la Confession catholique du sieur de Sancy).

   L'Histoire universelle et les Tragiques représentent deux modalités parallèles – historiographique, épico-lyrique – sous lesquelles s'accomplit le même dessein : témoigner du combat des huguenots pour leur foi. L'Histoire universelle depuis 1550 jusqu'en 1601 (1616-1620), que d'Aubigné tenait pour son œuvre maîtresse, constitue encore pour les historiens un témoignage précieux  sur les guerres de Religion. Les Tragiques réalisent l'amalgame de plusieurs genres différents : l'épopée, le poème lyrique, la tragédie, la satire. Plus singuliers encore apparaissent les contrastes internes de l'œuvre : œuvre transhistorique qui met en scène le drame éternel de l'affrontement entre le Bien et le Mal (les Justes et leurs persécuteurs) et, en même temps, directement en prise sur l'actualité historique la plus prégnante ; œuvre mystique, et en même temps partisane ; œuvre au manque apparent d'unité, et en même temps fortement axée (grâce à la fonction que le surnaturel ne cesse d'exercer sur les événements humains).

   L'œuvre comporte sept livres : « Misères » (I) évoque la patrie déchirée et agonisante. « Princes » (II) et « la Chambre dorée » (III) stigmatisent, en une satire féroce, les vices de la Cour et la turpitude d'une justice cannibale. « Les Feux » et « les Fers » (IV et V) décrivent les bûchers de la persécution, puis les massacres des guerres civiles. Viennent alors les « Vengeances » (VI), par lesquelles la vindicte céleste s'exerce dans le cours de l'histoire humaine, et le « Jugement », qui voit au dernier jour la résurrection des corps (VII).

   Cette œuvre est constituée de l'entrecroisement permanent de deux plans : celui de l'immanence, correspondant à la narration des faits historiques ; et celui de la transcendance, déterminé par la relation entre ces faits historiques et leur signification surnaturelle. Elle se rattache à l'épopée : présence d'un héros (collectif, le peuple protestant), clivage selon le Bien et le Mal (l'axe protestantisme/catholicisme), actions héroïques (exploits guerriers, sacrifices des martyrs), procédés rhétoriques du grossissement et de l'amplification, etc. L'ouverture du récit épique sur une transcendance se manifeste principalement par trois traits. En premier lieu, par un élargissement de la perspective historique qui transforme cette « épopée du protestantisme » en épopée universelle du peuple de Dieu (récits des persécutions subies par l'Église chrétienne des premiers siècles, références à l'histoire du peuple juif). En second lieu, par les spectacles décrits dans les livres III (la Chambre dorée) et IV (les Feux), vus par l'œil de Dieu lui-même, et les événements narrés dans le livre V (les Fers), qui sont la description de tableaux représentant, dans le ciel, ces événements terrestres. Mais l'effet le plus remarquable de l'ouverture du récit sur le surnaturel est l'inversion de la symbolique propre à la narration épique traditionnelle : dans la perspective chrétienne, les défaites deviennent victoires et les victoires, défaites ; le supplice et la mort des Justes sont leur éclatante victoire, le triomphe apparent des persécuteurs vaut condamnation aux yeux de Dieu. La « lecture » surnaturelle des événements anticipe à chaque instant sur le dénouement (le Jugement dernier, livre VII), de sorte que ce drame est présent dans chacun de ses moments : la progression apparente du récit est l'accomplissement d'un programme fixé et connu à l'avance, inscrit dans chacune des phases de son déroulement. Plus encore qu'une entreprise épique, dramatique ou lyrique, les Tragiques sont une entreprise de dévoilement de la vérité. Les forces du Mal ont travesti l'injustice en justice : il s'agit de rétablir la vérité, en imposant une lecture juste de l'Histoire.

   Cette lecture repose sur un imaginaire que l'on peut rattacher à des déterminations de trois ordres. Au sujet même du poème, tout d'abord, qui favorise la présence d'images de la violence : le sang, le feu, les supplices... Ces images constituent par ailleurs un élément fondamental du baroque, dont les manifestations sont loin de se limiter au seul domaine de la littérature militante. Une troisième source de l'univers imaginaire des Tragiques est la tradition judéo-chrétienne : s'y rattachent certains thèmes fondamentaux (le sacrifice) et une symbolique de la parenté dont les grandes figures (le Père et le Fils) se superposent aux principaux actants du drame.

   Si la rhétorique des Tragiques présente une série de traits relevant du baroque : foisonnement des images, fréquence des figures d'opposition (l'antithèse, l'oxymoron), hyperbole ostentatoire, alliance du concret et de l'abstrait, etc., ces traits sont-ils bien à mettre au compte d'une esthétique ? Il semble que la rhétorique des Tragiques doive surtout être rattachée non à des déterminations d'ordre purement formel et esthétique, ni non plus au propos et au contenu d'une œuvre, mais à un certain mode d'appréhension de l'univers intérieur et extérieur propre à la littérature de la fin du XVIe et du tout début du XVIIe s., et fort différent de la sensibilité baroque du XVIIe s. ; par deux traits, notamment, les Tragiques se situent aux antipodes de ce futur baroquisme : aucune complaisance pour les jeux de l'apparence et du faux-semblant ; une structure profonde soumise à une rigoureuse unité.

   Tout devrait séparer le lyrisme militant des Tragiques du lyrisme amoureux du Printemps. Écrite entre 1570 et 1577, cette œuvre est constituée de l'Hécatombe à Diane, recueil de sonnets amoureux inspirés au poète par Diane Salviati, nièce de la Cassandre chantée par Ronsard ; d'un livre de Stances, pièces d'inspiration également amoureuse vouées à la même dame ; et d'un livre d'Odes, constitué de poèmes d'inspiration diverse. Or il est surprenant de retrouver, dans le Printemps, des procédés semblables à ceux des Tragiques : thèmes du meurtre et du sacrifice, images du sang, du fer et du feu, rhétorique de l'antithèse, de l'hyperbole, de l'accumulation, ampleur (dans les Stances surtout) des mouvements lyriques.

   Cet imaginaire prébaroque est l'un des liens qui rattachent l'écriture du Printemps à celle des Tragiques. Mais les deux œuvres sont unies par des analogies plus précises et plus fondamentales encore. Toutes deux en effet mettent en scène – l'une sur un plan collectif, l'autre sur un plan individuel – des cœurs et des corps torturés qui réclament vengeance au ciel. D'où la présence d'une même symbolique de la violence, de l'offrande sacrificielle, de la rétribution. Dans les deux œuvres, enfin, le discours poétique est destiné à témoigner d'une vérité cachée, à réclamer justice, à susciter la colère divine contre les tourmenteurs.

   Satire sociale et religieuse tout à la fois, les Aventures du baron de Faeneste (publiées en 1617 pour les deux premiers livres, en 1619 pour le troisième et en 1630 pour le quatrième) ne sont pas sans liens avec les Tragiques  ; mais elles représentent, dans l'œuvre de d'Aubigné (avec le Sancy), l'autre versant de la satire : celui du comique et du burlesque. L'œuvre se présente comme un dialogue entre deux personnages (Faeneste et Enay) entrecoupé de récits divers. Selon une tradition du récit comique, les deux interlocuteurs forment un couple constitué autour d'une opposition majeure entre l'être (Enay) et le paraître (Faeneste), sur laquelle se greffent des oppositions corrélatives : catholique (Faeneste) contre huguenot (Enay), homme de cour (Faeneste) contre provincial (Enay), etc. De cette série d'oppositions procèdent différentes formes de satires : satire sociale du courtisan soucieux du seul « paraître », satire politique des mœurs de la Cour et des intrigues des parvenus, satire religieuse des dogmes et des pratiques catholiques. Ces satires visent ce qui constitue aux yeux de d'Aubigné le mal profond de la société française des années 1610-1630 : la dissociation de l'être et du paraître, perversion qui fausse les fondements du jeu social et inaugure l'âge des vanités.

   Selon un schéma fréquemment adopté par la littérature de l'époque, le Faeneste est constitué de l'intrication d'un discours dialogique et d'un discours narratif. Œuvre bigarrée s'il en est par sa composition, ses thèmes et sa langue (s'y entrecroisent le dialecte gascon, les patois de Saintonge, du Poitou, de la Picardie), le Faeneste réalise un amalgame de genres traditionnels, et annonce la littérature burlesque du XVIIIe s.

   La Confession catholique du sieur de Sancy (écrite à la même époque que le Faeneste, mais publiée pour la première fois seulement en 1660) se rattache à l'une des veines du Faeneste : la satire anticatholique. Cette fois, la satire prend pour cibles trois personnages historiques : Nicolas de Harlay, seigneur de Sancy, huguenot converti au catholicisme en 1597 ; le cardinal-poète Davy du Perron – le « Grand Convertisseur » – ; et le roi renégat Henri IV. La confession (fictive) de Sancy sert de support à une triple satire : celle des dogmes catholiques récemment redéfinis par le concile de Trente ; celle des huguenots renégats, dont la conversion est attribuée à la cupidité ou à l'arrivisme ; celle des nouveaux théologiens et directeurs de conscience catholiques (représentés par le cardinal du Perron), dont la morale est prête à toutes les compromissions.

   Dire que, chez d'Aubigné, l'écrivain n'est pas séparable du militant n'éclairerait que très partiellement le rapport spécifique de cette œuvre à son temps. D'Aubigné se trouve étroitement associé à chacun des trois grands événements qui ont marqué le XVIe s. français et européen : l'humanisme, la Réforme et les guerres de Religion. Le militant huguenot ne doit point en effet faire oublier l'humaniste : celui qui brille dans les Tragiques et le Printemps, mais aussi celui qui dans l'Hiver, s'essaya à une poésie en vers mesurés imitée de l'antique ; celui également du Traité sur la musique française, aujourd'hui perdu. Mais cet humanisme n'est plus exactement celui des écrivains comme Rabelais et ceux de la Pléiade. Pour ces derniers, l'humanisme était en lui-même une cause, à quoi leur âme et leur vie étaient dévouées : pour d'Aubigné, comme pour beaucoup d'hommes de sa génération dont la cause est leur foi (protestante ou catholique), l'humanisme n'est qu'une force mobilisée au service de cette foi.