Sarment (Jean Bellemère, dit Jean)
Comédien et auteur dramatique français (Nantes 1897 – Boulogne-Billancourt 1976).
Il joua au théâtre de l'Œuvre, en 1920, sa première pièce, la Couronne de carton, mise en scène par Lugné-Poe. D'une série d'œuvres intimistes, où passe le double personnage de l'auteur qui désespère de créer et de l'interprète, jouet d'apparences qui lui échappent (le Pêcheur d'ombres, 1921 ; le Mariage d'Hamlet, 1922 ; Je suis trop grand pour moi, 1924 ; les Plus Beaux Yeux du monde, 1925 ; Léopold le Bien-Aimé, 1927), il évolua vers un théâtre proche du vaudeville (Sur mon beau navire, 1928 ; le Plancher des vaches, 1931), mais dont les personnages se réfugient dans l'imaginaire (Peau d'Espagne, 1933), pour oublier leurs échecs. On lui doit aussi des Poèmes (1964) et un roman autobiographique (Cavalcadour, 1977).
Sarmiento (Domingo Faustino)
Homme d'État et écrivain argentin (San Juan 1811 – Asunción, Paraguay, 1888).
Il participa à la lutte contre Quiroga, caudillo qui sera plus tard le personnage central de son livre Facundo. Fait prisonnier, il s'enfuit au Chili (1831). De retour dans sa patrie (1837), il fonda la Sociedad literaria et le périodique El Zonda, avant d'être emprisonné pour ses écrits politiques. À nouveau réfugié au Chili, il collabora au Mercurio et soutint contre Andrés Bello une célèbre polémique sur l'idée de progrès dans la culture et sur l'imitation des modèles français : Sarmiento préconisait une rupture brutale avec le passé, condition nécessaire, selon lui, à l'élaboration de nouvelles formes de pensée et d'expression. Simultanément, il fondait El Progreso (1843), premier quotidien de Santiago. Puis il se rendit aux États-Unis et en Europe pour y étudier les différents systèmes pédagogiques, rentra au Chili (1848), fonda la Crónica et rejoignit (1851) Urquiza dans sa lutte victorieuse contre le dictateur Rosas. En désaccord avec Urquiza, il dut une nouvelle fois s'exiler au Chili (1852), s'installa enfin à Buenos Aires (1855), où il fut élu à la présidence de la République (1868-74). Après ce mandat, il fut ministre de l'Éducation, sénateur, et fonda El Censor.
L'œuvre de Sarmiento a été recueillie en 52 volumes, constitués par un nombre impressionnant d'essais en tout genre, histoire, biographie, pédagogie, doctrine politique, sociologie, philosophie, géographie, ainsi que par des romans et des centaines de textes de conférences, de lettres et d'articles. Son roman le plus célèbre, considéré comme une des œuvres maîtresses de l'Amérique du XIXe s., est Facundo (1845), histoire des guerres civiles argentines et de leurs causes, étude des mœurs et des archétypes de l'Argentine de l'époque et réflexion de géographie politique qui débouche sur une interprétation philosophique de l'histoire. Dans Voyages à travers l'Europe, l'Afrique et l'Amérique (1849), Sarmiento étudie les pays visités, d'un point de vue philosophique et historique, soutient que l'Europe est à son déclin et propose les États-Unis comme modèle aux jeunes démocraties latino-américaines. Souvenirs de province (1850), refonte et développement de Ma défense (1843), est un plaidoyer pour lui-même, où il se justifie des accusations portées contre lui par Rosas, en même temps qu'une émouvante évocation de sa province natale et d'une communauté qu'il s'est donné pour tâche d'instruire. Ses ouvrages de réflexion pédagogique ou sociologique complètent l'œuvre de ce « gaucho » qui assuma ce qu'il tenait pour sa vocation principale, son destin historique : instruire son peuple et, grâce à l'éducation, l'arracher à la barbarie pour l'intégrer à la civilisation. C'est là l'objet principal d'une œuvre écrite dans une langue torrentielle qui, malgré ses outrances et les défauts de son style, fait de lui un grand romantique et l'un des meilleurs prosateurs de l'Amérique latine.
Saro Wiwa (Ken)
Romancier nigérian de langue anglaise (1941 – 1995).
Éditeur et militant des droits de l'homme, il est l'auteur d'un roman sur la guerre civile nigériane, Sozaboy (1985), un voyage au bout de la nuit de la guerre du Biafra à laquelle il avait participé. Après la guerre, il occupe un poste politique important, puis fait fortune dans les affaires. Devant la timidité des éditeurs surpris par la langue originale, mélange de pidgin et de poésie fantaisiste, de son roman, il édite lui-même ses livres. Il gagne la liberté d'écrire grâce à ses talents d'homme d'affaires dont il nourrit ses récits picaresques et feuilletons télévisés, notamment le très populaire Basi et compagnie (1987). Il fut une personnalité majeure de la vie littéraire du Nigéria, pays dont il comprenait intimement la rouerie, les ressources et les richesses. Il a été pendu le 10 novembre 1995 après un procès inique que lui valut son action en faveur des peuples indigènes du delta du Niger, qu'il estimait spoliés des bénéfices de l'exploitation pétrolière. Un roman inédit a été publié après sa mort, Lemona (1996).
Saroyan (William)
Écrivain américain (Fresno, Californie, 1908 – id. 1981).
D'origine arménienne, il fait ses débuts avec une nouvelle, le Jeune Trapéziste intrépide (1934), et compose une œuvre romanesque (notamment Quand même un Américain, 1940) et dramatique (le Meilleur moment de votre vie, 1939) optimiste et anarchiste où il dit, avec humour, la réalité du rêve américain, identifié au rêve de l'humanité.
Sarraute (Nathalie)
Femme de lettres française (Ivanovo, Russie, 1900 – Paris 1999).
Avocate de formation, elle commence en 1932 une série de textes brefs, achevée en 1937, qui paraît en volume deux ans plus tard, dans une indifférence à peu près générale. Son titre, Tropismes, emprunte à la biologie un terme désignant, chez les organismes animaux ou végétaux, des « réactions d'orientation ou de locomotion causées par des agents physiques ou chimiques ». Il s'agit donc de traquer « les sensations à l'état naissant » et de chercher à recréer « sous une forme très condensée » ces mouvements, essentiels dans la mesure même de leur imperceptibilité, qui sont à l'origine de nos comportements. « Ce sont des drames microscopiques [...] toujours internes, cachés, on ne peut que les deviner à travers la surface, à partir de nos conversations et de nos actions, des actions tout à fait banales », dont l'auteur s'efforce de dégager une « réalité nouvelle ». D'emblée, le ton est donné : derrière les clichés de la parlerie quotidienne, les lieux communs des convenances sociales, les conformismes des apparences, les rôles stéréotypés que chacun joue dès qu'il est en présence d'autrui, il faut débusquer l'univers de la « sous-conversation », lieu authentique où résident les passions et les complexités de l'être véritable.
Sarraute continue de plaider de petites affaires jusque fin 1940, date à laquelle elle est radiée du barreau de Paris, par application des lois antijuives de Vichy. Encouragée par son époux, également passionné de littérature, elle abandonne définitivement le droit et entame, en 1942, la rédaction de son premier roman. Portrait d'un inconnu (1948) n'aura guère de retentissement à sa publication, malgré le concours de Sartre, qui préface cette « vision protoplasmique de l'univers » où des échappées de conscience tâtonnent sur les lambeaux d'un réel tentaculaire, suivant toujours ces mêmes « mouvements secrets, ces sentiments à l'état naissant qui ne portent aucun nom et forment la trame de nos rapports avec autrui et chacun de nos instants ». Martereau (1953) ne retient aussi l'intérêt que de quelques initiés, sensibles à une œuvre novatrice qui se place volontairement en amont de l'observation psychologique caractéristique du romanesque traditionnel, dont les grandes orchestrations sont désormais reléguées au rang d'épiphénomènes. Inscrits dans la lignée de Dostoïevski, les personnages de Sarraute ne sont pas des types mais de « simples supports, porteurs d'états encore inexplorés ».
De 1947 à 1956, Sarraute publie également une série d'articles critiques dans les Temps modernes et la Nouvelle Nouvelle Revue française ; bientôt regroupés pour former l'Ère du soupçon (1956), ils attirent notamment l'attention de Butor et de Robbe-Grillet. Conformément à l'un des constats de l'ouvrage, selon lequel « c'est l'élément psychique à l'état pur qu'aujourd'hui quelques romanciers cherchent à saisir chez n'importe qui », Sarraute fait paraître l'année suivante l'édition revue et augmentée de Tropismes, recueil définitif dont Claude Mauriac signale aussitôt qu'il constitue un appel à un « nouveau réalisme ». La coïncidence de publication avec la Jalousie, de Robbe-Grillet, et un article qu'Émile Henriot consacre à ces deux livres dans le Monde associent leurs auteurs sous l'étiquette « nouveau roman » et ouvrent une période d'effervescence littéraire, dont l'Ère du soupçon est le premier manifeste. Balzac, Zola et Tolstoï ont vécu. Le romancier comme le lecteur ne savent plus rien : ils doutent de tout et s'inquiètent. Le temps des certitudes épistémologiques et romanesques est révolu.
De fait, tandis qu'à la fin du siècle précédent le positivisme triomphant prétendait connaître pour toujours les lois de l'univers, le XXe siècle en général et l'après-Seconde Guerre mondiale en particulier sont l'époque d'un questionnement plus angoissé sur la signification du monde. On découvre non seulement que toute apparence n'est que l'aboutissement d'un processus obscur, mais surtout que celui-ci échappe à la cognition, parce que non identifiable dans sa complétude. Résistant aux théories censément exhaustives et aux présupposés généraux les plus compacts, les valeurs établies que synthétise le ciel artificiel du Planétarium (1959), sont autant d'illusions derrière lesquelles grouille le vrai monde, fantasmagorique, dont la matière, faite de grattements insignifiants et d'insaisissables secousses, se dérobe à la compréhension et pose les lacunes des définitions reçues. Les « solides fauteuils de cuir », censément inusables, symbolisent bien ce quotidien faussement rassurant qui verse dans l'opacité marécageuse à la moindre impulsion émise par les réseaux intermittents de la vie psychologique, dans le foisonnement de l'infra-conscient et du subliminal. Les plus « infimes drames réels » rappellent un désordre fondamental et instinctif, totalement étranger à l'ordre que prétendent instaurer les « arguments d'autorité » d'une intelligentsia bouffie d'orgueil (les Fruits d'or, 1963). Plus que jamais, la satire de l'arrivisme social est un instrument de démystification.
Continuant d'explorer « cette substance fluide qui circule chez tous, passe des uns aux autres, franchissant des barrières arbitrairement tracées » (« Ce que je cherche à faire », 1972), l'examen des interactions entre l'individuel et le collectif se joint à une réflexion sur le sens et la possibilité même de l'écriture, qui refuse la théorisation formaliste. À partir d'Entre la vie et la mort (1968), l'inspiration se dégage progressivement de l'héritage proustien, très présent dans les premiers textes narratifs. La phrase ample et complexe cède peu à peu la place à une syntaxe au rythme syncopé, entrecoupée de nombreux silences. Les points de suspension, caractéristiques de l'écrivain, marquent alors une figure de réticence qui enjoint le lecteur de déchiffrer l'implicite et l'indicible. À mesure que le langage éprouve son enlisement dans le ressassement du monologue intérieur, l'œuvre cherche une issue dans le dialogue. Or le conflit des générations peut rendre impossible cet échange (Vous les entendez ?, 1972), à moins qu'il ne se déroule sur le mode de la surdité, chacun se figeant dans l'image qu'il veut donner de lui (« disent les imbéciles », 1976).
Auteur de pièces radiophoniques aux titres évocateurs (le Silence, 1964 ; le Mensonge, 1966), Sarraute expérimente les malentendus de la communication dans un théâtre plus élaboré (Isma ou ce qui s'appelle rien, 1970 ; C'est beau, 1973 ; Elle est là, 1980 ; Pour un oui ou pour un non, 1982). Le courant linguistique n'est conductible qu'entre pôles distincts, voire opposés, telles les voix contradictoires qui mènent à la fois ensemble et l'une contre l'autre le récit autobiographique d'Enfance (1983), tandis que le dialogue philosophique et polyphonique de Tu ne t'aimes pas (1989) confirme la scission du sujet et l'impossibilité de la plénitude. Le drame interne à l'Usage de la parole (1980) culmine dans Ici (1995) et Ouvrez (1997), où les mots, dégagés du référent, deviennent les porteurs de la fiction romanesque.