Dictionnaire de l'Histoire de France 2005Éd. 2005
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presse (suite)

Avec la Restauration, la presse d'information bénéficie d'un certain répit. Les journaux, dont le lectorat n'excède guère la couche des notables, renaissent : c'est le cas du Conservateur de Chateaubriand ou de la Minerve française de Benjamin Constant. La politique libérale se révèle cependant de courte durée : une ordonnance de 1820 rétablit la censure. Dix ans plus tard, en prétendant établir une législation particulièrement répressive contre la presse, Charles X provoque une réplique des journalistes groupés autour de Thiers et du National, prélude à une révolution qui aboutit à la chute des Bourbons. Quant à Louis-Philippe, il finit par renouer avec l'attitude de ses prédécesseurs. Cinq ans après avoir proclamé, par la Charte de 1830, la fin de la censure, il tente de se débarrasser des feuilles de l'opposition légitimiste ou républicaine en aggravant les délits de presse, en favorisant la suspension des journaux par les tribunaux et en alourdissant le cautionnement.

Exception faite de la brève IIe République qui rétablit la liberté (au printemps 1848, plus de 170 feuilles se créent à Paris), la politique répressive se poursuit jusqu'à la fin du Second Empire. Si Napoléon III tolère certains organes légitimistes (la Gazette de France), orléanistes (le Journal des débats), libéraux et républicains modérés (le Siècle, la Presse), il n'adoucit le sévère régime de la presse qu'en 1868. Il supprime alors l'autorisation préalable et l'avertissement (qui pouvait entraîner l'interdiction du journal), mais maintient le cautionnement, le droit de timbre, et conserve aux tribunaux correctionnels le pouvoir de statuer sur les délits.

Industrialisation de la presse et avènement d'une culture de masse

Malgré tout, par la richesse de ses innovations, la période prépare la révolution de la presse qui marque la fin du XIXe et le début du XXe siècle. Trois domaines connaissent une sensible transformation. D'abord, celui de la fabrication du journal : la mécanisation, de plus en plus sophistiquée, favorise l'accroissement des tirages, la chute des coûts de revient, l'augmentation de la pagination. En 1867, le Petit Journal adopte la rotative Marinoni, qui peut imprimer jusqu'à 10 000 pages à l'heure. La pâte à bois remplace le papier chiffon. La lithographie, qui a permis l'introduction de l'illustration dans les journaux des années 1830, laisse bientôt la place à d'autres procédés (zincogravure, similigravure, héliogravure). En revanche, devant la résistance des ouvriers du Livre, la linotype ne s'impose guère avant 1905.

Ensuite, l'information se rationalise. L'agence Havas, créée en 1835, profite des progrès du réseau télégraphique pour s'imposer comme la source essentielle des nouvelles. À la veille de la Grande Guerre, une quarantaine de quotidiens bénéficient des services de la puissante agence de presse.

Enfin, le siècle innove en matière de modes de vente et de diffusion. En 1836, Girardin, avec la Presse, et Dutacq, avec le Siècle, inventent la presse à bon marché. Le principe en est simple : diminuer le prix de l'abonnement par l'augmentation du tirage et le recours aux annonceurs (publicité). Girardin parvient ainsi à réduire de moitié le tarif de ses abonnements. En innovant dans le contenu (roman-feuilleton), la presse à bon marché conquiert de nouveaux publics. À partir de 1856, les feuilles non politiques peuvent être transportées par des messageries privées aux tarifs attractifs. C'est ce qui permet au Petit Journal, lancé en 1863 par Millaud, de connaître son essor. Grâce au chemin de fer, il se répand sur tout le territoire. Prototype du « journal à un sou », le Petit Journal, qui mise d'emblée sur un public populaire friand de faits divers (comme l'affaire Troppmann, en 1869) et de romans-feuilletons, use des méthodes nouvelles de la publicité, tire bientôt à des centaines de milliers d'exemplaires et bouleverse l'histoire de la presse mondiale.

La dernière impulsion à l'avènement de la presse moderne est fournie par la République. Non seulement la loi du 29 juillet 1881 met en place un régime de liberté mais, en supprimant toutes les entraves financières qui pesaient jusqu'alors sur les journaux, elle ouvre totalement le marché de l'information. Grâce à l'abolition du timbre, la vente au numéro se généralise promptement : le Petit Journal est le premier à en bénéficier. La presse peut désormais répondre à la demande croissante, conséquence de l'alphabétisation des Français. Les tirages des quotidiens parisiens ne cessent d'augmenter : 200 000 exemplaires en 1863 ; 1 million en 1870 ; 2 millions en 1880 ; 5,5 millions en 1910. Entre-temps, le nombre de titres a quintuplé (de seize à quatre-vingts). Ces mutations profitent surtout à la grande presse d'information populaire, qui, avec ses éditions quotidiennes ou ses suppléments hebdomadaires illustrés, finit par supplanter les feuilles d'opinion. Les quatre « majors », le Petit Journal, le Petit Parisien (1876), le Matin (1883), le Journal (1892), contrôlent 40 % du marché des quotidiens en 1914. À lui seul, le Petit Parisien diffuse, à la même date, 1,5 million d'exemplaires chaque jour. Les publications de province (la Petite Gironde, le Progrès de Lyon, la Dépêche de Toulouse, etc.) profitent, à leur tour, de l'envolée. De 1880 à 1914, leur tirage total passe de 700 000 à 4 millions d'exemplaires.

Le contenu même de l'information se modifie en profondeur : les genres traditionnels (chronique, critique) cèdent le pas aux grand et petit reportages. Des feuilles spécialisées apparaissent, qui visent des publics particuliers, comme les femmes (le Petit Écho de la mode), les enfants (le Journal de la jeunesse, la Semaine de Suzette) ou les amateurs de sport (le Vélo, l'Auto). La photographie conquiert les magazines en images (l'Illustration, en 1890) avant la grande presse ; elle donne même naissance à un quotidien qui l'utilise comme argument de vente (Excelsior, 1910). Le Rire et l'Assiette au beurre renouvellent le genre caricatural.

Portée par la vague des changements économiques et sociaux du XIXe siècle, la presse est sortie de l'âge de l'artisanat pour entrer dans l'ère de l'industrie. Les grands journaux sont devenus de vastes entreprises qui exigent de puissants capitaux, aiguisent l'appétit des milieux d'affaires, attirent les annonceurs. Dès 1881, le Petit Journal s'est constitué en société anonyme au capital de 25 millions de francs. Le Matin, dirigé par un entrepreneur en travaux publics, Bunau-Varilla (lui-même associé à un banquier et courtier d'assurances, Poidatz), emploie 900 personnes en 1914. La concentration qui s'est engagée dès les années 1880 touche jusqu'à la distribution. À la veille de la guerre, la maison Hachette, après avoir acheté une à une les messageries concurrentes, a établi un quasi-monopole sur la diffusion de l'information.